Bloc-notes Éco

Un identifiant pour caractériser les stratégies d’implantation des groupes

Mise en ligne le 27 Janvier 2021
Auteurs : Dominique Durant, Kevin Parra Ramirez, Geneviève Toubol

Billet n°201. Les éléments descriptifs associés à l’identifiant international des entités légales ou « LEI » apportent une information à jour sur la structure des groupes, la forme juridique et la localisation de leurs implantations, y compris dans les centres financiers off-shore (CFOs). Étendre l’obligation d’avoir un LEI contribuerait ainsi à une plus grande transparence des transactions financières internationales.

Image Répartition de la localisation des filiales étrangères, selon la nationalité du parent
Graphique 1 : Répartition de la localisation des filiales étrangères, selon la nationalité du parent Source : Global LEI Fundation (GLEIF) – Calculs des auteurs Note : 22% des filiales d’entreprises enregistrées aux États-Unis, Royaume-Uni, Canada, Australie et Nouvelle-Zélande sont localisées dans les CFOs non européens

Les CFOs sont des juridictions qui développent des activités financières orientées vers les non-résidents, sans commune mesure avec la taille de l’activité domestique. Seule une partie d’entre eux constituent des paradis fiscaux, qui en raison de leur opacité, permettent d’éviter l’impôt et facilitent le financement des activités illégales. Les listes dépendent de l’usage qui en est fait. La France et l’Union Européenne publient la liste noire des paradis fiscaux qui ne coopèrent pas en matière fiscale. Dans la cadre de son action lancée en 2000 pour plus de transparence et de coopération fiscale, le FMI a publié une liste des CFOs pour la dernière fois en 2008.

Les avantages pour les groupes internationaux à conduire des opérations financières à partir des CFOs font, de nombre d’entre eux, des hubs financiers dont la surveillance par les autorités est indispensable à la stabilité financière globale. La diffusion du LEI dans les CFOs facilite cette surveillance, car elle permet d’avoir une information à jour sur les organismes, parties aux transactions financières, qui y sont localisés.

Le LEI apporte une information à jour sur la structure des groupes

Le LEI est un code alphanumérique à 20 positions qui identifie les entités légales, financières ou non financières. Le Global LEI System (GLEIS) assure la gouvernance, l’attribution et la publication des LEI. Le G20 a souhaité sa création après la faillite de Lehmann Brothers pour faciliter l’identification des contreparties aux transactions financières. Par rapport aux identifiants nationaux, il a l’avantage de l’unicité mondiale, de la transcription en alphabet romain et de la mise à jour annuelle des informations attachées (nom, adresse, forme juridique). En outre, parmi les éléments descriptifs collectés pour une inscription ou un renouvellement, les entités déclarent le LEI de leurs parents directs et ultimes au sens de la consolidation comptable. Lorsque ces parents ne sont pas des personnes physiques et qu’il existe un actionnaire majoritaire astreint à publier des comptes consolidés, on peut reconstituer la structure entière du groupe et localiser ses différentes filiales, y compris dans les CFOs. On peut ainsi distinguer les transactions financières intragroupes des autres transactions qui passent par ces hubs financiers internationaux.

Si les CFOs n’imposent pas eux-mêmes à leurs entités résidentes d’avoir un LEI, l’obligation peut résulter des réglementations prises dans d’autres juridictions. Depuis 2018 par exemple, le règlement européen sur les marchés et les instruments financiers (MIFIR) impose un LEI pour émettre, acheter ou vendre tout produit financier sur une plateforme de négociation européenne. Les entités localisées dans les CFOs, même hors d’Europe, sont ainsi obligées d’avoir un LEI si elles veulent réaliser une transaction sur produit financier en Europe. Entre fin 2016 et fin 2018, la progression des LEI à jour est de 333% dans les CFOs contre 160% au total.

Le graphique 2 montre l’impact de la mise en œuvre de MIFIR sur les demandes de LEI dans les CFOs, y compris hors Union européenne. à fin décembre 2020, il y a plus de 1,7 million de LEI et 20% sont enregistrés dans un CFO.

Image émissions mensuelles de nouveaux LEI en 2020 – en milliers de LEI
Graphique 2 : émissions mensuelles de nouveaux LEI en 2020 – en milliers de LEI Note : en décembre 2017, 167 000 nouveaux LEI ont été émis dans le monde, dont 19 000 dans les CFOs hors UE et 24 000 dans les CFO de l’UE.

Il en est de même pour les entreprises localisées dans les paradis fiscaux. La base GLEIS peut ainsi soutenir les efforts des états et des organisations internationales pour lutter contre l’érosion fiscale. Les Iles Vierges Britanniques qui sont sur la liste noire française et les Iles Caïmans sur la liste européenne, sont désormais dans le top trois mondial du nombre de LEI par milliard de dollar de PIB (tableau 1). Le LEI apporte aussi une transparence supplémentaire en mentionnant la forme juridique des entités qui y sont enregistrées. Par exemple, aux Iles Caïmans, on trouve des "entreprises exemptées" et des "entreprises non résidentes ordinaires", qui bénéficient explicitement d’avantages légaux ou fiscaux.

Image Nombre de LEI et LEI/PIB dans les paradis fiscaux de la liste française et européenne
Tableau 1 : Nombre de LEI et LEI/PIB dans les paradis fiscaux de la liste française et européenne Sources : Legifrance, Conseil Européen, GLEIF, FMI

Toutefois, des progrès doivent encore être réalisés pour que plus de groupes puissent être décrits. Il faut tout d’abord que le LEI se développe dans les groupes non financiers, qui n’ont aujourd’hui pas les mêmes astreintes réglementaires que les groupes financiers. Il faut également engager des actions pour que les entités renouvellent effectivement leur LEI tous les ans : en l’absence d’obligation y compris dans MIFIR, cette étape est omise pour 30% des LEI, ce qui affecte la qualité des informations. Il faut enfin améliorer la déclaration des liens de parenté, qui ne couvre aujourd’hui que 7% des entités, en précisant notamment les informations attendues lorsque la consolidation comptable ne s’applique pas.

Le LEI éclaire les stratégies d’internationalisation des groupes

Même si on pourrait souhaiter que leur champ s’étende, les informations disponibles dans la base GLEIS permettent déjà d’établir une cartographie de l’implantation des groupes et de déterminer le rôle des CFOs dans leurs stratégies d’internationalisation. Pour mieux cerner l’utilisation des CFOs par les groupes internationaux, on s’appuie sur la déclaration des parents dans la base LEI en mars 2019, en ne retenant que les LEI mis à jour depuis moins d’un an.

Les entreprises situées dans les pays anglo-saxons ont une plus grande proportion de filiales étrangères dans les CFOs que les entreprises européennes (graphique 1), que ce soit dans les CFOs européens (24% contre 19%) ou dans les CFOs hors Europe (22% contre 5%). La spécialisation géographique est manifeste : les entités des CFOs qui ont leur siège social aux États-Unis sont pour 66% établies aux Iles Caïmans, un paradis fiscal selon l’Union Européenne, et pour 19 % en Irlande et au Luxembourg. Sur 1 150 entités légales établies dans les CFOs déclarant un parent en France, 44% sont au Luxembourg et 14% en Asie ou au Moyen Orient. En raison de la surreprésentation des entités financières dans la base LEI, ces mêmes 1 150 entités déclarent un parent dans une activité financière à concurrence de 64%. Elles déclarent une activité spécialisée (par exemple : conseil juridique ou comptable) à hauteur de 22%, ce qui est plus remarquable.

Le positionnement dans les groupes des entreprises qui y sont localisées révèle une spécialisation propre à chaque CFO. On définit le parent ultime comme une entité qui a des filiales et n’est pas consolidée, le « conduit » comme une entité qui est à la fois consolidée et consolidante, l’enfant ultime comme une entité qui est consolidée mais pas consolidante.

Le Liban, le Lichtenstein, les Bermudes et les Bahamas se distinguent par une très forte proportion de parents ultimes (graphique 3). Les Pays-Bas et Singapour sont au contraire spécialisés dans les conduits qui, représentent 30% ou plus de leurs LEI. Enfin, les CFOs avec une forte industrie de gestion d’actifs, comme le Luxembourg, ont plus d’enfants ultimes.

Image Proportion de conduits et d’enfants ultimes dans les CFOs
Graphique 3 : Proportion de conduits et d’enfants ultimes dans les CFOs Source Base GLEIS – Calculs des auteurs

Note : Le Liban (LB) a 20% d’enfants ultimes, 20% de conduits, et donc 60% de parents ultimes.
AE Émirats arabes unis ; BB Barbade ; BM Bermudes ; BS Bahamas ; CH Suisse ; CY Chypre ; GG Guernesey ; GI Gibraltar ; HK Hong Kong ; IE Irlande ; JE Jersey ; KY Iles Caïmans ; LB Liban ; LI Liechtenstein ; LU Luxembourg ; MC Monaco ; MH Iles Marshall ; MT Malte ; MU Maurice ; MY Malaisie ; NL Pays-Bas ; PA Panama ; SG Singapour ; VG Iles vierges britanniques.