Observatoire

Rapport de l’Observatoire des délais de paiement 2021

Mise en ligne le 24 Juin 2022
Banque de France - Philippe Jolivel

Par Jeanne-Marie Prost et Jean-Pierre Villetelle

Si les mesures sanitaires de restriction d’activité prises en 2020 pour endiguer la diffusion du virus de la Covid-19 ont immédiatement provoqué de vives tensions sur les délais de paiement, les mesures de soutien en trésorerie prises quasi simultanément ont rapidement permis de les contenir. La détente s’est poursuivie en 2021, ne permettant cependant pas un retour au niveau d’avant-crise. Alors que les conséquences de la crise sanitaire persistaient, la reprise s’est enclenchée plus fort que prévu, s’accompagnant de problèmes d’approvisionnement et de hausses de prix des matières premières et de certains matériaux. Dans ce contexte, d’après les données d’Altares, les retards de paiement au quatrième trimestre 2021 étaient encore en moyenne de 12,4 jours, soit un jour de plus qu’avant le début de la pandémie. En fin d’année 2021, le secteur de l’hébergement-restauration affichait encore plus de 20 jours de retard en moyenne, chiffre à peine inférieur d’un jour comparé à son point le plus haut pendant la pandémie (21,2 jours au troisième trimestre 2020). Des secteurs sous revue, il est le seul dont la situation s’améliore aussi lentement. D’autres secteurs ayant connu en 2020 des retards comparables sont en revanche parvenus à des réductions de 4 à 6 jours en fin d’année (services aux particuliers, information-communication).

Le constat fait à partir de premières données dans le rapport de l’Observatoire 2020 est confirmé par les données comptables collectées par la Banque de France. Les délais de paiement sont finalement restés stables en 2020 comparés à 2019, à 43 jours de chiffre d’affaires pour les délais clients (contre 43,4 en 2019) et 49,4 jours d’achats pour les délais fournisseurs (contre 49,3 en 2019).

Pour autant, la crise sanitaire et ses conséquences économiques n’ont pas été neutres. Tout d’abord, la baisse des délais de paiement amorcée depuis 2018 (voire 2017 pour les délais fournisseurs) a été interrompue. Ensuite, en particulier au troisième trimestre 2020, les difficultés et les incertitudes sur l’activité des entreprises ont conduit à des retards de paiement moyens qui ont atteint 14,4 jours à cette date, contre 11,3 au premier trimestre (données Altares).

À l’issue d’une année 2020 sous forte tension, les organisations professionnelles attestent d’une relative détente en 2021 mais également de délais de paiement qui restent élevés avec les problèmes d’approvisionnement et les hausses de prix des matériaux et des matières premières. Les enquêtes présentées dans le rapport confirment que les retards de paiement de 2020 ne sont pas encore entièrement résorbés. Elles indiquent par ailleurs que, suite aux conséquences de cette crise sur leur trésorerie, les entreprises seraient désormais plus nombreuses à avoir mis en place un suivi plus étroit de leurs factures mais aussi de leurs règlements fournisseurs.

Les comportements de paiement en général ne sont donc pas revenus à la normale mais ceux des grandes entreprises posent tout particulièrement question. En effet, d’après les données de la Banque de France pour 2020, cette catégorie d’entreprises est la seule pour laquelle on observe une augmentation constante des délais de paiement. Par ailleurs, d’après les données Altares pour 2021, les retards de paiement des entreprises de plus de 1 000 salariés sont supérieurs de 5 ;jours en moyenne à ceux des entreprises de moins de moins de 200 salariés. L’Observatoire a cherché, en lien avec l’Association française des entreprises privées (Afep), à réunir des informations sur les pratiques des grandes entreprises afin de mieux comprendre cette situation. Une première raison tient à des délais de réception de factures parfois très importants, dans certains cas même après la date à laquelle elles étaient dues. Néanmoins, d’autres causes de retard tiennent à des processus de validation complexes, voire inadaptés, et des fréquences de campagnes de règlement trop faibles. Dans son analyse qualitative des motifs de retard de paiement, la direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes (DGCCRF) relève les mêmes lacunes, ce qui conforte le diagnostic. Il est donc patent que, pourvu qu’elles en aient la volonté, les grandes entreprises peuvent remédier à une large partie du problème en adaptant leurs processus de contrôle, traitement et paiement des factures, comme certaines le font d’ailleurs, et comme le font également avec succès les services de l’État.

En ce qui concerne ces derniers en effet, les dispositions législatives et réglementaires adoptées en 2020 pour faire face à la crise, s’ajoutant au contexte général de la modernisation des processus de la dépense publique, ont permis, pour l’État, de réduire de plus de 2 jours le délai global de paiement de la commande publique en métropole. En 2021, malgré une forte augmentation des demandes de paiement (+ 7 %), celui-ci demeure pratiquement stable (+ 0,3 jour, à 17,5 jours). L’État consolide donc ses acquis en matière de paiement par la rationalisation, la modernisation et la dématérialisation de ses processus.

Pour les collectivités locales, l’évolution également encourageante constatée en 2020 se poursuit en 2021. Hormis pour les Régions, le délai de paiement moyen diminue pour chaque type de collectivité. Comme dans le cas de l’État, les collectivités locales s’étaient fortement mobilisées en 2020 pour accélérer leurs paiements dans le contexte de la crise sanitaire. Avec parallèlement un taux de dépassement du délai réglementaire de 30 jours bien souvent en baisse, elles consolident donc de manière générale les acquis de 2020. Reste néanmoins le cas des Régions où tant le délai de règlement moyen que le taux de dépassement du délai réglementaire de 30 jours sont en hausse entre 2020 et 2021.

Les établissements publics de santé, directement touchés par la crise sanitaire en 2020, amorcent en 2021 une réduction de leurs délais de paiement moyens, de 55,1 jours en 2020 à 54,5 jours en 2021. Ainsi, 40 % des établissements de santé payent en moyenne au-delà de 50 jours. De nombreuses entreprises souffrent de cette situation extrêmement préoccupante qui ne montre pas d’amélioration depuis plusieurs années.

Le rapport revient sur les résultats des contrôles effectués par la DGCCRF pour s’assurer du respect de la législation relative aux délais de paiement, et sur les éventuelles sanctions qui en ont résulté. En 2021, la DGCCRF a notamment ciblé les entreprises ayant bénéficié d’un prêt garanti par l’État. Ces contrôles PGE sur 610 établissements ont fait apparaître un taux d’anomalie de 33 %, donc du même ordre que sur l’ensemble des contrôles (32 %) alors que l’accès à cette garantie était accompagnée d’un engagement des bénéficiaires au respect des délais de paiement. Ces contrôles confirment les constats des années antérieures concernant les plafonds applicables aux délais de paiement, les défaillances en matière d’organisation comptable et la mauvaise appréhension du principe de coresponsabilité qui prévoit que si le vendeur est tenu de délivrer sa facture, l’acheteur est également tenu de la réclamer, au risque de se voir lui-même sanctionné.

Par ailleurs, dans son analyse de la transposition de la directive 2019/633 sur les pratiques déloyales dans la chaîne d’approvisionnement, la DGCCRF indique qu’à ce titre le délai dérogatoire "grand export", qui accordait un délai de 90 jours pour les achats de marchandises alimentaires destinées à être exportées en dehors de l’Union européenne, a été supprimé. L’Observatoire, qui s’était fortement opposé à l’instauration de ce délai dérogatoire, se félicite de sa suppression (cf. rapport 2016, p. 87).

L’Observatoire rappelle à cet égard son hostilité constante à la surenchère réglementaire qui ne conduit souvent en pratique qu’à une accumulation de mesures inefficaces. Ainsi, on peut s’interroger sur l’attestation demandée aux commissaires aux comptes concernant les délais de paiement fournisseurs et clients des sociétés dont ils certifient les comptes annuels. Les moyens et le temps à consacrer à l’examen et au traitement de la masse d’informations, qui devrait être collectée auprès de la société et de ses filiales pour cela, paraissent être sans commune mesure avec les procédures de certification de comptes dans laquelle cette vérification de factures doit s’inscrire, et elle ne peut donc matériellement pas aboutir.

En revanche, l’Observatoire attend la création d’une base de données des délais de paiement des collectivités territoriales, consultable et téléchargeable gratuitement par les entreprises sur le site du ministère des Finances. Cela permettra aux entreprises de s’informer avant de répondre à un appel d’offre public, et pourrait discipliner les comportements de paiement des collectivités elles-mêmes.

Les fortes incertitudes liées à la guerre en Ukraine et les problèmes d’approvisionnement qui en découlent constituent des constantes de tensions sur les délais de paiement interentreprises. Dans ce contexte, il convient de rappeler les entreprises, et notamment les plus grandes, à leurs responsabilités en la matière, sachant qu’il s’agit d’un élément essentiel au bon fonctionnement de l’économie. L’Observatoire restera très attentif à l’évolution de ces comportements dans cette période de tensions.

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