Bloc-notes Éco

Pourquoi une réponse forte des banques centrales en cas de crise ?

Mise en ligne le 5 Juin 2020

Billet n°164. Face à la pandémie de Covid-19, les interventions de prêteur en dernier ressort et les achats massifs d’actifs par les banques centrales s’imposaient d’autant plus que la transmission de la politique monétaire à l’économie réelle est asymétrique. En effet, une politique monétaire expansionniste a des effets plus limités qu’une politique restrictive, notamment en raison de la rigidité à la baisse des taux débiteurs bancaires.

Image Variations annuelles de l’Eonia et des taux débiteurs bancaires dans la zone euro (%)
Figure 1 - Variations annuelles de l’Eonia et des taux débiteurs bancaires dans la zone euro (%)
Source : Levieuge et Sahuc (2020)

Une réaction rapide et massive des banques centrales à la pandémie de Covid-19

La pandémie de Covid-19 est à l’origine de la plus grave récession mondiale depuis 1945. Elle a suscité d’importantes mesures budgétaires et des réponses fortes et rapides de la part des banques centrales.

La Banque centrale européenne (BCE), en particulier, a lancé un vaste programme de soutien comprenant un nouveau programme d’achats d’urgence face à la pandémie (Pandemic Emergency Purchase Programme, PEPP), l’extension et le maintien des programmes d’achats d’actifs existants, l’assouplissement des conditions des opérations ciblées de refinancement de long terme (TLTRO III) et un assouplissement sans précédent des normes en matière de garanties Odendahl, Penalver et Szczerbowicz, 2020).

Ces mesures visent à garantir que tous les secteurs bénéficient de conditions de financement favorables leur permettant d’absorber le choc négatif. Elles sont essentielles dans ce contexte, mais également parce que les effets de la politique monétaire sont asymétriques. En effet, les économistes considèrent que mener une politique monétaire accommodante en période de récession pour tenter de stimuler l’économie, c’est comme "pousser sur une corde" (pushing on a string), donc moins efficace qu’un resserrement monétaire destiné à maîtriser l’économie (Barnichon, Matthes et Sablik, 2017).

Les effets de la politique monétaire sont moins puissants durant une récession

Cette asymétrie peut être due à des rigidités à la baisse des prix et des salaires, ainsi qu’à un comportement de précaution en période de récession. En outre, le rationnement du crédit en cas de hausse des taux d’intérêt rend le resserrement de la politique monétaire plus efficace qu’une réduction des taux d’intérêt.

Levieuge et Sahuc (2020) montrent que l’asymétrie de la politique monétaire peut également résulter d’une rigidité à la baisse des taux débiteurs des banques : ces taux s’ajustent de façon plus lente et moins complète à une réduction qu’à un relèvement des taux directeurs. Il y a plusieurs explications. Premièrement, les banques n’abaisseront leurs taux que si les avantages qu’elles en retirent sont supérieurs aux coûts d’ajustement inhérents à cette opération. Deuxièmement, la structure du marché bancaire joue un rôle. Lorsque le marché est concentré, il est probable que les banques renoncent à abaisser leurs taux débiteurs afin d’accroître ou de maintenir leurs marges. Cet effet de pouvoir de marché est renforcé par les coûts liés au changement de banque des clients. Enfin, conformément à une logique "d’anti-sélection inversée", les prêteurs peuvent être réticents à abaisser leurs taux débiteurs, craignant d’attirer des crédits à haut risque.

La figure 1 représente les variations annuelles de l’Eonia et des taux débiteurs des banques sur les prêts aux entreprises et aux ménages dans la zone euro pour la période 1999-2012. Les points s’écartent considérablement de la bissectrice, en particulier pour les variations négatives de l’Eonia, où les réactions des taux débiteurs sont très au-dessous du rapport un pour un. Par conséquent, les taux débiteurs réagissent moins fortement à un assouplissement qu’à un resserrement de la politique monétaire. Ce fait stylisé est valable quelle que soit la période, y compris avant la crise de 2008.

En introduisant ces rigidités à la baisse des taux d’intérêt dans un modèle macroéconomique pour la zone euro, Levieuge et Sahuc (2020) constatent que la réponse initiale du PIB à un choc négatif de politique monétaire est inférieure de 25 % à sa réponse à un choc positif de même ampleur. Cela implique que la banque centrale doit abaisser son taux directeur de 50 % à 75 % de plus pour produire un impact à moyen terme sur le PIB qui soit symétrique à celui résultant du choc positif.

Cette rigidité à la baisse est plus forte dans un environnement de faibles taux d’intérêt

De plus, Levieuge et Sahuc 2020 montrent que la rigidité à la baisse des taux débiteurs des banques est encore plus forte lorsque les taux directeurs sont maintenus à leur plancher effectif. Cela peut être dû à des frictions intrinsèquement liées au modèle d’activité des banques, comme des activités de contrôle coûteuses, des coûts fixes d’exploitation élevés et des primes appliquées aux prêts. En outre, les taux sur les dépôts tombant rarement au-dessous de zéro (Heider, Saidi et Schepens, 2018), les banques peuvent être réticentes, pour des questions de rentabilité, à abaisser davantage leurs taux débiteurs.

Image Variation du taux virtuel (shadow rate) et des taux débiteurs des banques sur la période 2012-2018 (%)
Figure 2 - Variation du taux virtuel (shadow rate) et des taux débiteurs des banques sur la période 2012-2018 (%)
Source : Levieuge et Sahuc (2020)
Image Variation du taux virtuel (shadow rate) et des taux débiteurs des banques sur la période 2012-2018 (%)
Figure 2 - Variation du taux virtuel (shadow rate) et des taux débiteurs des banques sur la période 2012-2018 (%)
Source : Levieuge et Sahuc (2020)

La figure 2 représente les évolutions concomitantes des taux débiteurs bancaires et du taux d’intérêt virtuel (shadow rate) depuis juillet 2012, lorsque la BCE a abaissé pour la première fois le taux de la facilité de dépôt à zéro, avant de le rendre négatif. Extrait d’un modèle de structure par terme, le taux virtuel est le taux de maturité la plus courte qui génèrerait la courbe de rendement observée en l’absence de plancher effectif. Comme il prend en compte l’incidence des interventions de marché sur les taux de maturités intermédiaires et plus longues, il est un bon indicateur des mesures de politique monétaire aussi bien conventionnelles que non conventionnelles (Wu et Xia, 2016Mouabbi et Sahuc, 2019). La figure montre que les taux débiteurs ont légèrement baissé concomitamment à la baisse du taux virtuel, mais l’ampleur de cette réaction a été constante, indépendamment de celle des variations du taux virtuel. Levieuge et Sahuc (2020) montrent que cette perturbation de la transmission de la politique monétaire peut être reproduite dans un modèle en augmentant considérablement les paramètres régissant les degrés de rigidité et d’asymétrie associés aux variations des taux débiteurs.

Par conséquent, la transmission asymétrique de la politique monétaire, qui est accentuée en période de très faibles taux d’intérêt, justifie des réponses fortes aux chocs négatifs. Cela va dans le sens des mesures non conventionnelles de grande ampleur récemment prises par les banques centrales face à la pandémie de Covid-19. En particulier, en modifiant certains des paramètres clés de ses TLTRO III, la BCE a précisément cherché à garantir l’efficacité de la transmission de sa politique monétaire accommodante. Selon ces nouvelles conditions, les banques peuvent bénéficier de taux plus favorables liés à leurs performances en matière d’octroi de crédit, soutenant ainsi les prêts aux entreprises et aux ménages.