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Billet n°66. Pour lutter contre les récentes crises financières, les banques centrales ont adopté des stratégies inédites. En 2012, elles ont permis aux banques de la zone euro d'utiliser en garantie une gamme élargie de prêts aux entreprises pour emprunter à l'Eurosystème. Selon deux études récentes, cette politique a joué un rôle décisif pour favoriser les prêts bancaires aux entreprises durant la crise.
Source : Cahn, Duquerroy, and Mullins (2017).
Note : Ce graphique présente le taux de croissance moyen des crédits accordés aux entreprises devenues éligibles en février 2012 et de ceux accordés aux entreprises non éligibles notées un cran plus bas. L'échantillon se compose de PME françaises indépendantes ayant une seule banque.
En période de tensions financières, comme dans la zone euro fin 2011, le montant de liquidité disponible dans le système bancaire est fortement réduit. Pour éviter une pénurie de crédit, la banque centrale peut agir comme prêteur en dernier ressort, prêtant de la monnaie centrale (ou des réserves) aux banques contre des garanties adéquates (collatéral). La banque centrale a donc besoin d'un dispositif définissant la gamme d'actifs éligibles en garantie et les décotes qui leur sont associées. Les opérations de prêt de l’Eurosystème se caractérisent par une large part d'actifs non négociables (comme les prêts bancaires aux entreprises) remis en garantie parallèlement à d'autres actifs négociables plus traditionnels comme les obligations d'État. Entre 2007 et 2011, la part d'actifs non négociables sur le total des garanties apportées est passé de 3 % à 23 % (cf. par exemple, Bignon et al., 2016).
Toutefois, en période de tensions financières, la valeur de collatéral des actifs éligibles dans le système bancaire peut diminuer en raison d'une baisse des valorisations et des notations. Pour atténuer les effets de la crise, l'Eurosystème a choisi d'accepter en garantie une gamme élargie d'actifs, avec l'annonce du programme de créances privées supplémentaires (ACC) en décembre 2011, juste après l'introduction de deux opérations de refinancement à long terme (LTRO) de trois ans. La mesure visait à s'assurer que les banques de la zone euro avaient assez de collatéral pour emprunter sur cette durée inhabituellement longue. En France, le programme ACC, mis en œuvre en février 2012 a consisté en l’extension non - anticipée du collatéral éligible aux prêts d'entreprises de qualité moyenne (avec une probabilité de défaut à un an maximum de 1 %).
Cahn, Duquerroy et Mullins (2017) et Mésonnier, O’Donnell et Toutain (2017) examinent l'effet du programme ACC sur l'offre de crédit bancaire aux entreprises françaises dans deux études récentes. La première mesure les effets de l'ACC sur les prêts aux PME indépendantes et souligne l'importance de la relation banque-entreprise dans la transmission. La seconde quantifie l'impact de cette mesure sur les taux d'intérêt des prêts offerts aux entreprises nouvellement éligibles et montre que la transmission est plus forte pour les banques dont les garanties remises comportent des parts plus élevées de prêts aux entreprises. Au total, ces études montrent que le canal du collatéral est actif dans la transmission de la politique monétaire et permet à la banque centrale d’influer sur les coûts de financement des banques indépendamment de la décision de modifier les taux directeurs.
Une politique de collatéral ciblée est-elle efficace pour soutenir le crédit bancaire?
En examinant les volumes prêtés aux PME indépendantes, Cahn, Duquerroy et Mullins (2017) constatent que les mesures adoptées en termes de politique de collatéral peuvent constituer un outil efficace pour soutenir le crédit bancaire aux PME et réduire les effets de contagion en période de difficultés financières. Selon la principale hypothèse, le programme ACC, en ciblant les prêts à certaines entreprises, entraîne une réduction des coûts marginaux des banques lors du financement de ces prêts. Les banques devraient ensuite ajuster leur portefeuille de crédit aux entreprises en faveur de ces entreprises nouvellement éligibles, ces dernières voyant ainsi leurs résultats financiers s’améliorer.
Le principal résultat est que les PME indépendantes nouvellement éligibles enregistrent une hausse de 8 % des emprunts par rapport aux PME similaires, mais non éligibles dans l'année suivant la mesure (cf. graphique 1). Ces entreprises enregistrent également une baisse de leur probabilité de défaut de paiement aux fournisseurs (- 1,5 % des montants à payer) et de dégradation de leurs notations par rapport aux autres. Cet effet est fortement déterminé par les entreprises ayant une seule banque. Par ailleurs, certaines données indiquent qu'en 2011, les entreprises en relation avec une seule banque ont été soumises à des contraintes de crédit nettement plus fortes que celles ayant plusieurs banques.
Les résultats indiquent aussi que la transmission du programme tient aux caractéristiques des bilans des entreprises. L'effet est déterminé par les entreprises ayant des relations de crédit fortes avec une seule banque et des caractéristiques observables plus solides, telles qu'un endettement faible et de hauts niveaux d'actifs corporels.
Demande de collatéral utilisable en garantie et "discount d’éligibilité"
Mésonnier, O’Donnell et Toutain (2017) montrent que l'éligibilité du collatéral peut aussi influer sur l'offre de prêt des banques en raison de leur demande de collatéral utilisable en garantie. Par conséquent, les prêts aux entreprises éligibles peuvent bénéficier d'une réduction relative de taux d'intérêt, le "discount d’éligibilité". Les auteurs constatent l’existence d'un discount d’éligibilité pour les entreprises de qualité moyenne nouvellement éligibles. En moyenne, le programme a réduit de 7 points de base la marge de taux relative proposée à ces entreprises par rapport à celles de qualité légèrement supérieure. Cette réduction, quoique pouvant sembler modeste en terme absolu, représente un tiers de la différence moyenne de taux d'intérêt observée ex ante entre les entreprises nouvellement éligibles et les entreprises similaires notées un cran au-dessus. De plus, les auteurs montrent que ce discount d’éligibilité est associé à une hausse relative de la quantité de crédit accordée à ces mêmes entreprises. La combinaison d'une baisse du taux d'intérêt et d'une hausse de la quantité prêtée indique que le programme ACC est parvenu à soutenir l'offre de crédit bancaire.
Note : Ce graphique présente les écarts moyens de taux pour les entreprises éligibles (4) au programme ACC par rapport aux entreprises déjà éligibles (4+) et à celles qui ne le sont pas (5+).
Pour les auteurs, l'effet du programme diffère selon les banques pour plusieurs raisons. Premièrement, les banques peuvent avoir des besoins différents en termes de collatéral ou de liquidité : celles soumises à des contraintes plus fortes devraient bénéficier le plus du programme. Deuxièmement, certaines banques peuvent trouver plus avantageux d'offrir en garantie des créances plutôt que des actifs négociables. Cela peut refléter des différences de modèle d'activité ou des avantages en termes d'information dans l'émission de prêts. Les auteurs constatent qu’en moyenne le discount d’'éligibilité est surtout déterminé par la réaction des banques qui, avant le programme, gageaient déjà une proportion plus élevée de créances auprès de l’Eurosystème. En revanche, aucun effet n'est constaté en lien avec la capitalisation des banques ex ante ou avec les tensions sur le collatéral potentiellement induites par l’utilisation des LTRO. Cela suggère que ce sont les banques confrontées au coût d'opportunité le plus bas en termes de mise en garantie de créances qui ont le plus profité du programme.
Il ressort de ces deux études qu'une extension du collatéral éligible aux prêts aux entreprises (des PME pour l'essentiel) améliore le canal de transmission de la politique monétaire en permettant à ces entreprises d'emprunter plus et à des taux plus bas. Toutefois, la politique de collatéral n'affecte pas uniquement les actifs devenant éligibles mais également les contreparties qui détiennent ces actifs. Une politique de collatéral active peut donc être un outil alternatif efficace pour réduire les coûts de financement des banques, en particulier lorsque la politique monétaire conventionnelle atteint le plancher de la borne zéro.
Mise à jour le 25 Juillet 2024