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Pas de risque excessif dans la qualité des collatéraux déposés auprès de l’Eurosystème durant la crise
Billet n°54. D’après certaines critiques, l’Eurosystème aurait pris trop de risques pour combattre la crise en acceptant des collatéraux de mauvaise qualité en garantie de ses opérations de refinancement. L’analyse exhaustive des collatéraux déposés auprès de la banque centrale conduit à réfuter ces critiques. Leur qualité a suivi celle des actifs disponibles sur le marché, et s’est fortement améliorée après l’annonce du Quantitative Easing.
Source : Eurosystème, calculs des auteurs.
Note : Les pays EPIGI sont l’Espagne, Portugal, Italie, Grèce, Irlande. Ne sont considérés ici que les actifs négociables.
Lecture: les banques de la zone euro ont déposé en janvier 2011 des actifs notés en moyenne AA- (courbe rouge) soit une note en dessous de la note moyenne des actifs éligibles en zone euro (courbe bleue).
Les mesures prises par les banques centrales pour combattre la crise ont conduit à une augmentation considérable de la taille du bilan des banques centrales. En zone euro, le bilan de l’Eurosystème a augmenté de près de 3000 milliards d’euro entre 2007 et 2018 dont environ 1000 milliards correspondent à des prêts supplémentaires aux banques, garantis par des actifs déposés en collatéral. Cette augmentation a-t-elle conduit à une prise de risque excessive de la banque centrale au titre des actifs déposés en garantie ?
Le collatéral pour protéger l’Eurosystème
Pour limiter le risque pris par l’Eurosystème lors de ces opérations de politique monétaire, l’ensemble des prêts consentis aux banques sont garantis par le dépôt d’actifs. En cas de défaut d’une banque ayant contracté un prêt, ces actifs sont saisis par l’Eurosystème. Ainsi lors de la faillite de Lehman Brothers, les actifs que sa filiale européenne avait déposés en garantie auprès de l’Eurosystème, ont permis de rembourser entièrement les montants prêtés, isolant l’Eurosystème des vicissitudes des marchés.
La politique de collatéral de la banque centrale protège ainsi l’Eurosystème du risque de défaut lorsqu’il prête les liquidités nécessaires pour lutter contre les crises financières. Elle se définit par les types d’actifs éligibles en garantie (obligations d’État ou d’entreprises ou produits structurés par exemple), ainsi que par leur niveau de risque maximal acceptable (leur note minimale). Étant données ces règles d’éligibilité, les banques choisissent le panier d’actifs qu’elles déposent.
Le débat sur la qualité du collatéral
Le débat sur la prise de risque du système bancaire et de la banque centrale causée par le prêt en dernier ressort est aussi ancien que les banques centrales.
En réponse à la crise, les règles de collatéral ont été étendues dans le but d’assurer la transmission de la politique monétaire. Certains économistes ont critiqué la permissivité de ces règles, qui inciteraient selon eux les banques à déposer les actifs éligibles les plus risqués à la banque centrale (Nyborg, 2017 et Sinn, 2014). D’autres suggèrent que cela a conduit les banques à une prise de risque excessive dans leur activité de financement de l’économie (Drechsler, Marques-Ibanez et Schnabl, 2016). Le présupposé de ces analyses est que les banques déposeraient toujours le collatéral de plus mauvaise qualité auprès de l’Eurosystème.
A l’inverse, des banquiers centraux recommandent une large éligibilité du collatéral pour éviter d’entraver la reprise économique (Bindseil, Corsi, Sahel et Visser, 2017 et Tucker, 2014). Cette recommandation s’inscrit dans la tradition de l’éditorialiste à The Economist Walter Bagehot (1873) qui préconise en période de crise une politique d’intervention illimitée en échange de garanties de bonne qualité en temps normal (Bignon, Flandreau et Ugolini, 2012).
De la polémique aux faits
Les critiques de l’Eurosystème n’ont cependant pas démontré que les banques déposeraient toujours le collatéral de plus mauvaise qualité auprès de l’Eurosystème. Nous construisons une mesure permettant d’infirmer cette hypothèse. Pour cela nous calculons l’évolution du risque moyen des actifs déposés en garantie auprès de l’Eurosystème entre janvier 2011 et mai 2016, tel qu’évalué par les notes attribuées par les agences de notation.
Le graphique 1 retrace l’évolution de la note moyenne des paniers d’actifs déposés en garantie par les banques de la zone euro en rouge et par les banques des pays ayant été touchés de plein fouet par la crise - Espagne, Portugal, Italie, Grèce et Irlande (EPIGI) - en jaune. Plus la note moyenne des paniers est proche de la note AAA, plus le risque de défaut associé à ces paniers est faible. Par comparaison, les courbes bleue et verte décrivent les notes moyennes de l’ensemble des actifs éligibles en garantie sur le marché en fonction de la résidence de l’émetteur de l’actif.
La qualité des actifs déposés en zone euro suit la tendance du marché
Entre janvier 2011 et mai 2016, la qualité moyenne des paniers d’actifs déposés varie d’une à deux notes. Les séries ne montrent pas de dégradation permanente de la qualité. Les notes des paniers déposés par les banques dans les pays en crise EPIGI (Espagne, Portugal, Italie, Grèce et Irlande) et en zone euro reviennent à leur moyenne de janvier 2011 au cours de l’hiver 2015.
La baisse de la qualité moyenne des paniers d’actifs déposés pendant la crise, est au maximum de 2 notes en 2013 par rapport à 2011. Elle s’est améliorée de la note A– à A+ dans les pays EPIGI entre janvier 2014 et janvier 2016 alors que la qualité moyenne sur le marché n’a pratiquement pas changé. Ces niveaux sont restés très éloignés de BBB-, qui est la qualité minimale acceptée par la banque centrale.
La qualité des paniers d’actifs déposés auprès la banque centrale ne peut pas être séparée de l’évolution de la qualité des actifs échangés sur le marché. Une crise financière se caractérise par une élévation du risque de crédit dans l’économie et par une raréfaction des actifs les plus sûrs. Pour éviter que la politique du collatéral soit pro-cyclique, c’est-à-dire qu’elle exacerbe les difficultés de refinancement des banques pendant les crises, il faut donc juger l’évolution de la qualité au regard de la qualité sur le marché.
La dégradation de la qualité des actifs a été temporaire
Avec la réduction du stress financier au printemps 2013, la note moyenne des paniers s’est améliorée relativement au marché. Le graphique 2 décrit l’évolution de ce ratio. Une valeur supérieure à 1 signifie que les paniers ont un risque de crédit plus faible que la moyenne du marché. Ceci s’observe après janvier 2015 et le lancement du programme d’achat d’actifs, alors même que les notes attribuées par les agences de notation n’ont pas été modifiées. Les banques ont donc choisi de retirer les actifs les moins sûrs en premier, ce qui bat en brèche l’idée selon laquelle elles déposeraient systématiquement le collatéral le plus risqué auprès de la banque centrale.
Par ailleurs, le graphique 2 montre une coévolution remarquablement similaire entre les banques des pays EPIGI et les banques de la zone euro (voir Barthélemy, Bignon et Nguyen 2018). Cela signifie que les différences de qualité moyenne des paniers déposés par les banques des EPIGI par rapport à la moyenne de la zone euro (graphique 1) sont la conséquence de l’impact asymétrique de la crise des dettes souveraines mais pas d’un comportement différent de dépôt de collatéral par les banques des EPIGI.
Source : Eurosystème, calculs des auteurs.
Note : Les pays EPIGI sont l’Espagne, Portugal, Italie, Grèce, Irlande.
Lecture: Les banques de la zone euro ont déposé en janvier 2016 des paniers d’actifs ayant une note moyenne supérieure de 10% à celle du marché (courbe bleue). Ceci est également vrai pour les banques des pays EPIGI (courbe rouge).
Ces résultats montrent que la qualité des paniers d’actifs déposés en garantie des opérations de politique monétaire ne peut pas être interprétée indépendamment des évolutions du risque de crédit dans l’économie et de la politique monétaire. Depuis la crise, on ne constate pas de prise de risque excessive par rapport au marché en matière de collatéraux déposés auprès de l’Eurosystème.
À condition de considérer l’après-crise comme le temps normal, notre analyse suggère que l’Eurosystème a suivi la doctrine de Bagehot (1873) en acceptant des collatéraux qui seraient jugés de bonne qualité en temps normal, c’est-à-dire, dont la hausse du risque de crédit s’est avérée temporaire. Cette interprétation de la règle de Bagehot découle du fait que la qualité est endogène à la politique économique, celle-ci modifiant le risque de crédit en améliorant la capacité des agents à faire face à leurs échéances.
Mise à jour le 25 Juillet 2024