Synthèse


Les acteurs du secteur financier sont tenus de mettre en oeuvre, en application des obligations règlementaires de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (LCB/FT), des mesures de vigilance à l’égard de leurs clientèles. Ces obligations de vigilance, justifiées par les risques majeurs que représentent, pour la stabilité des systèmes financiers et la cohésion des sociétés, le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme et par le rôle essentiel des institutions financières dans la prévention de ces phénomènes, leur imposent de recueillir des informations sur leurs clientèles. Ces informations sont destinées à leur permettre de comprendre les risques présentés par chaque client et les opérations qu’il est susceptible de réaliser, pour établir ensuite le profil de ce client et veiller, dans le cadre d’une vigilance constante, à la correspondance des opérations au profil dudit client. Cette vigilance permet de détecter les opérations suspectes, de les analyser et le cas échéant de les déclarer au service de traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins (Tracfin). Cela rejoint les préoccupations politiques actuelles qui visent à sortir la France du piège du narcotrafic, notamment en renforçant la lutte contre le blanchiment.

Le dispositif de LCB/FT suppose ainsi une sollicitation directe des clientèles. Cette sollicitation s’inscrit le plus souvent dans une procédure dite de « KYC » (« Know your customer », « Connais ton client »), qui peut répondre également aux obligations nées d’autres règlementations, en particulier en matière de devoir de conseil ou de lutte anticorruption. Elle passe par la mise en oeuvre de mesures d’identification à l’entrée en relation d’affaires et de vigilance tout au long de cette dernière. Faute de réponse des clients aux sollicitations ou de réponse satisfaisante, les entités assujetties peuvent décider, selon le cas, soit de ne pas entrer en relation d’affaires, soit, lorsque cette relation est déjà établie d’une restriction temporaire ou définitive de certaines opérations, voire d’une rupture de la relation.

La disponibilité des informations ainsi que leur qualité étant largement dépendante de la bonne volonté des clientèles, la compréhension et l’acceptation des obligations règlementaires de LCB/FT par ces dernières est cruciale pour assurer l’efficacité du dispositif préventif.

Or, la réception par les clientèles des demandes qui leur sont adressées en application de ces obligations est difficile à appréhender avec précision, faute d’indicateurs chiffrés à ce sujet et de remontées massives de doléances de la part notamment des associations de consommateurs. Les effets de la législation LCB/FT sur les clientèles paraissent toutefois réels. Au-delà d’irritants liés à une mauvaise compréhension par les clients des exigences en matière de LCB/FT, les insatisfactions, voire difficultés, les plus marquées semblent concentrées sur les clientèles professionnelles, les associations – notamment celles exerçant des activités de solidarités internationales –, et certaines clientèles de particuliers parmi lesquelles les personnes politiquement exposées (PPE), les Français de l’étranger, etc.

Les raisons de ces insatisfactions et/ou difficultés rencontrées par les clientèles sont diverses et difficiles à isoler : sollicitations parfois fréquentes et répétées, variabilité des exigences en fonction des établissements et des clientèles, communication et pédagogie parfois insuffisantes. Elles sont notamment liées aux obligations de la règlementation elle-même qui impose une sollicitation régulière des clientèles, tout en étant fondée sur une approche par les risques qui entraîne nécessairement des pratiques différentes au sein des entités assujetties.

Les exigences en matière de LCB/FT vont être renforcées avec l’adoption du nouveau « paquet européen anti-blanchiment » dont les principaux textes doivent entrer en application en 2027.

Le nouveau paquet prévoit en effet des obligations plus strictes s’agissant de certaines mesures de vigilance, de la nature et de la périodicité du recueil des informations relatives aux clientèles. Ses effets sur les clientèles doivent d’ores et déjà être anticipés. 

La mission identifie seize propositions pour favoriser la compréhension et l’acceptabilité des obligations règlementaires de LCB/FT par les clientèles des institutions financières, tout en ne dégradant pas
le niveau de vigilance et la sécurité nécessaires. Elles peuvent être mises en oeuvre à cadre normatif constant, selon les axes suivants :
• suivre les insatisfactions ou difficultés nées de l’application des obligations règlementaires de LCB/FT, afin d’être en capacité d’en mesurer les enjeux ;
• simplifier le recueil et l’actualisation des données de connaissance du client ;
• former et communiquer ;
• clarifier les attentes envers les entités assujetties ;
• anticiper les effets du développement de l’identité numérique sur les diligences de connaissance du client.

Propositions pour favoriser la compréhension et l’acceptabilité par les clientèles des obligations règlementaires de LCB/FT

NB : À chaque proposition sont identifiés entre parenthèses les porteurs des mesures.

Axe n° 1 : Suivre les insatisfactions ou difficultés nées de l’application des obligations règlementaires de LCB/FT

1) Identifier et suivre les réclamations reçues des clientèles liées à l’application des obligations règlementaires de LCB/FT (Banque de France, ACPR).

2) Identifier et analyser, de manière proportionnée à l’activité et à la taille des établissements, les insatisfactions des clientèles potentiellement liées à l’application des obligations réglementaires de LCB/FT, en vue d’améliorer la relation client, les entités restant libres quant aux modalités choisies (entités assujetties).

Axe n° 2 : Simplifier le recueil et l’actualisation des données de connaissance du client

3) Inciter les entreprises à se doter du numéro d’identifiant d’entité juridique (LEI), de manière à faciliter le recueil par les entités assujetties, dans le cadre de leur processus de connaissance client, des informations sur la structure de l’entité, les relations de contrôle et les filiales (organisations patronales ou associations représentant les clientèles professionnelles).

4) Explorer, avec l’ensemble des parties prenantes, la possibilité, l’intérêt et les éventuels ajustements normatifs nécessaires afin de constituer une plateforme sécurisée permettant la tenue à jour des données de connaissance du client des entités assujetties à partir des données collectées auprès des administrations (entités assujetties et
administrations concernées).

5) Mutualiser au sein d’une même entité assujettie la collecte des informations et pièces demandées au titre des diverses obligations légales de connaissance du client (LCB/FT, lutte contre la corruption, etc.) ainsi que celles nécessaires à la réalisation du devoir de conseil, afin d’éviter les sollicitations répétées et redondantes des clients (entités assujetties).

6) Fiabiliser le registre des bénéficiaires effectifs des sociétés et faciliter les modalités de déclaration des divergences par les assujettis ; permettre aux professions assujetties d’avoir accès au registre des bénéficiaires effectifs des associations (DG Trésor, ministère de l’Intérieur, entités assujetties).

Axe n° 3 : Former et communiquer

7) Intégrer la thématique LCB/FT dans le cadre de la stratégie nationale d’éducation économique, budgétaire et financière (Educfi).

8) Enrichir et systématiser l’information des personnes politiquement exposées (PPE) par leurs employeurs ou les entités auxquelles elles sont rattachées ; veiller à ce que les administrations de tutelle des entreprises publiques s’assurent de l’effectivité de l’information des PPE ; prévoir une page dédiée d’information sur le site servicepublic.fr rappelant la règlementation et intégrant une foire aux questions (employeurs et entités auxquelles les PPE sont rattachées, DG Trésor).

9) Renforcer la pédagogie au niveau des réseaux de distribution, que ce soit lors de l’entrée en relation (par exemple par la remise au client de documents explicatifs, institutionnels ou non, ou une présentation pédagogique du conseiller clientèle) et en particulier lors de l’actualisation des données de connaissance client, et inclure cette dimension dans les formations existantes dédiées à la LCB/FT des collaborateurs des entités assujetties (entités assujetties).

10) Mettre en place un dialogue tripartite autorités nationales, banques, représentants des Français de l’étranger pour faciliter les échanges, partager les bonnes pratiques, trouver des solutions aux obstacles qui apparaissent et mener des actions de sensibilisation (DG Trésor, ministère des Affaires étrangères, Banque de France/ACPR,
Fédération bancaire française – FBF, associations de représentants des Français de l’étranger).

Axe n° 4 : Clarifier les attentes envers les entités assujetties

11) Établir une liste des entreprises publiques, en particulier des entreprises publiques locales (EPL), concernées par le nouveau règlement au titre des PPE (DG Trésor, ministère de l’Intérieur).

12) Évaluer l’opportunité de la publication d’une liste de documents de base nécessaires lors d’une relation d’affaires avec une PPE (ACPR, AMF, DG Trésor, entités assujetties).

13) Poursuivre les travaux pour fournir des aides à l’identification des PPE (DG Trésor, ministère de l’Intérieur, entités assujetties, employeurs et entités auxquelles les PPE sont rattachées).

14) Engager une réflexion entre organismes assureurs (France Assureurs, FNMF, CTIP) et distributeurs sur l’identification des éventuelles difficultés liées à la mise en oeuvre de la connaissance client dans le cadre des obligations de LCB/FT, et sur le renforcement d’actions de sensibilisation sur l’importance des  enjeux (France Assureurs, FNMF, CTIP, distributeurs).

Axe n° 5 : Anticiper les effets du développement de l’identité numérique sur les diligences de connaissance du client

15) Analyser, à la lumière des nouveaux textes européens, la façon dont le justificatif d’identité généré par l’application France identité pourrait être utilisé dans le cadre des mesures de vérification d’identité prévues à l’article R. 561-5-1 du Code monétaire et financier (DG Trésor, ministère de l’Intérieur, ACPR, Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information – ANSSI, entités assujetties).

16) Veiller à prendre en compte, dans le cadre des programmes de numérisation de documents officiels comme les titres de séjour, les conséquences éventuelles en termes d’accès aux services bancaires, liées à l’application des obligations règlementaires de LCB/FT (ministère de l’Intérieur, DG Trésor).

Mise à jour le 6 Mai 2025