Note : Augmentation du coût de financement des entreprises françaises par dette bancaire et obligataire pendant l’épisode de la crise financière de 2008, indiquée entre les lignes pointillées rouges.
La pandémie actuelle de Covid-19 a entrainé une baisse d’activité et de revenus inédite pour les entreprises. Un des dispositifs de la réponse publique en France a résidé en la mise en place d’un programme de prêts garantis par l’État (PGE). Il vise à sécuriser les besoins de financement des entreprises via le renouvellement des dettes arrivées à échéance et l’obtention de nouveaux crédits nécessaires à absorber le choc de liquidité. Ce programme a été utilisé à la fois par des petites et moyennes entreprises et par de grands groupes : les entreprises de taille intermédiaire et les grandes entreprises représentent environ un quart des montants prêtés (à fin août). Une telle mesure est cruciale afin, d’une part, de permettre aux entreprises d’honorer leurs paiements à court terme et, d’autre part, de préserver la capacité productive en évitant que des dépenses stratégiques de long terme comme l’investissement ne servent de variable d’ajustement, ce qui compromettrait la phase de reprise.
En effet, les contraintes de financement – l’impossibilité de renouveler sa dette en période de crise – peuvent conduire les (grandes) entreprises à couper fortement leurs dépenses d’investissement, comme le montre l’exemple de la crise financière de 2008.
Investissement et coût de financement en temps de crise
Une entreprise décide d’investir dans un projet si sa rentabilité anticipée excède son coût. La décision d’investissement repose donc sur deux éléments distincts : d’une part, une estimation des bénéfices futurs liés à cet investissement (facteur de "demande") et, d’autre part, une évaluation de son coût de financement (facteur "d’offre"). Les conditions d’accès au financement externe (crédit ou émission de titres) constituent ainsi un déterminant central de la décision d’investissement et in fine de la dynamique de l’investissement au niveau macroéconomique (Carluccio et al., 2018).
Comprendre dans quelle mesure les fluctuations de l’investissement sont liées à des facteurs de demande (comme les perspectives de croissance et les opportunités d’investissement) ou à des facteurs d’offre (financements trop coûteux ou trop rares) est un enjeu capital car les implications en termes de politique économique sont très différentes, notamment en période de crise lorsque l’accès au crédit se détériore.
Comment mesurer la réaction de l’investissement à un choc d’offre de financement ?
Isoler l’effet d’une contraction de l’offre de financement sur le comportement d’investissement des entreprises est un exercice délicat. En effet, l’analyse empirique se heurte à deux difficultés principales.
1. Il convient d’identifier un "choc" qui ne soit pas lié à une modification du risque des entreprises qui empruntent, ou à une baisse de leur demande de financement. Nous utilisons ici l’épisode de crise financière de 2008 qui a suivi la faillite de la banque américaine Lehman Brothers.
Cet épisode peut être considéré comme indépendant de la situation des entreprises françaises puisqu’il est lié à la crise des crédits hypothécaires et du marché immobilier aux États-Unis. Il s’est traduit néanmoins par une très forte hausse du coût de la dette des entreprises en France (Graphique 1) avec une hausse des taux bancaires et obligataires, de plus de, respectivement, 92 et 200 points de base, entre janvier et septembre 2008.
2. Il convient ensuite d’isoler l’effet sur l’investissement imputable aux seules conditions financières de l’effet lié à l’impact du choc sur les perspectives de croissance des entreprises, c’est-à-dire isoler les effets d’offre et de demande. Pour cela, nous empruntons à la médecine et la biologie une méthode popularisée en économie par la prix Nobel Esther Duflo : cette méthode repose sur des groupes dits "traités", c’est-à-dire soumis au choc, et des groupes dits "de contrôle" ou "témoins".
Nous comparons ainsi deux types d’entreprises : (i) celles dont une grande part de la dette arrive à échéance juste avant la crise de 2008 et (ii) celles dont une faible part de la dette arrive à échéance au moment de la crise. Notre approche se fonde sur le constat suivant : l’échéancier de la dette n’a pas de raison d’influer sur le comportement d’investissement ; en revanche, un choc sur les conditions de financement à une date donnée affectera en premier lieu les entreprises ayant besoin de manière concomitante de renouveler la dette arrivée à maturité. Face à une contraction de l’offre ou un renchérissement du prix de financement les entreprises seront potentiellement contraintes d’ajuster leur investissement à la baisse. Le groupe témoin montre ainsi quelle aurait été la dynamique de l’investissement en l’absence du choc.
En pratique : une baisse de l’investissement plus forte chez les entreprises à forts besoins de refinancement
Dans un premier temps nous vérifions que les entreprises à forts besoins de refinancement ont connu un renchérissement du coût de leur dette : en effet, leur coût moyen de financement externe a été supérieur d’environ 1 point de pourcentage à ce qu’il aurait été en l’absence de choc. Puis nous nous intéressons à la réponse de l’investissement. Selon nos estimations, en 2009, le taux d’investissement moyen des entreprises exposées au choc de refinancement est inférieur de 4 points de pourcentage à ce qu’il aurait été en l’absence du choc, soit près de 20% du niveau moyen de l’investissement pré-crise (Graphique 2). À titre de comparaison, Almeida et al. (2009) estiment que l’investissement des entreprises américaines faisant face à un fort besoin de financement à long terme en 2007 a diminué de près de 30% par rapport à leur niveau pré-crise.