Bloc-notes Éco

L’internet haut débit modifie la géographie du commerce international

Mise en ligne le 12 Décembre 2018
Auteurs : Clément Mazet-Sonilhac, Clément Malgouyres, Juan Carluccio, Thierry Mayer

Billet n°94. La diffusion des technologies de l’information et de la communication (TIC) est considérée comme un facteur de croissance économique, notamment dans les pays développés. En particulier, la diffusion de l’internet haut débit pourrait améliorer la capacité des entreprises à trouver à l’étranger des partenaires commerciaux et des biens adaptés à leurs besoins. En France, le déploiement de l’ADSL entre 1998 et 2008 est corrélé à une augmentation significative des importations des entreprises.

Image Graphique 1 : Une décennie de déploiement progressif de l’internet haut débit Source : Banque de France et calcul des auteurs
Graphique 1 : Une décennie de déploiement progressif de l’internet haut débit Source : Banque de France et calcul des auteurs

Note : Le pourcentage de couverture ADSL des communes françaises est indiqué pour quatre années. Un chiffre entre 0 et 1 (i.e. 0% et 100%) indique qu’une ville est partiellement couverte ou qu’elle n’a bénéficié d’un accès qu’en cours d’année.

Quel est l’impact de l’internet haut débit sur le commerce international ?

L’impact de l’internet haut débit sur les salaires, le taux de chômage ou encore la productivité des firmes a fait l’objet de plusieurs travaux récents (voir  Bertschek et al. (2016) pour une revue de littérature). Cependant, son effet sur le commerce international demeure peu exploré, alors même que la diffusion des TIC est un facteur important de la mondialisation.

En effet, l’internet haut débit est perçu comme une réduction des frictions informationnelles dont pâtissent la plupart des relations économiques. Par exemple, Friedman (2005) prophétise la « mort de la distance » et explique que les nouvelles technologies de l’information rendent caducs les obstacles traditionnels aux échanges d’idées et de biens. Ce point de vue est aujourd’hui contesté par des économistes selon lesquels  l’importance de la distance physique pour les échanges diminuerait peu malgré la diffusion des TIC (cf. Disdier et Head, 2008). La question de l’impact de la diffusion de l’internet haut débit sur le commerce international  reste donc pertinente.

Au niveau macro-économique, Clarke et Wallsten (2006) montrent que le niveau d’accès à l’internet d’un pays est positivement corrélé avec une augmentation des exportations de biens, notamment pour des pays en voie de développement qui exportent vers des pays développés. Cet effet positif pourrait être lié à la réduction des coûts de communication et de recherche du bon partenaire commercial.

Dans une étude fondée sur des données individuelles d’entreprises norvégiennes, Akerman et al. (2018) ne trouvent pas d’effet direct de l’accès à l’internet haut débit sur le commerce des firmes. En revanche, ils montrent que l’ADSL accroît la sensibilité du commerce international à la distance entre les pays importateurs et exportateurs, ainsi que la sensibilité au poids économique de leurs marchés. En conséquence, l’ADSL modifierait la géographie du commerce international en raison  d’une réduction des frictions informationnelles.

Le cas français : un effet hétérogène sur les importations de biens

Le lancement commercial de l’internet haut débit a été effectué par France Télécom en 1999 avec la technologie de l’Asymmetric Digital Subscriber Line (ADSL). Cette technologie permet d’utiliser le réseau téléphonique préexistant (environ 33 millions de lignes physiques en cuivre) pour transmettre des données numériques. La diffusion de l’ADSL a été très progressive : comme l’illustre le Graphique 1, les grands centres urbains furent équipés dès le début des années 2000 tandis que les zones rurales et reculées n’en bénéficièrent que dix ans plus tard. Une des raisons du déploiement progressif de l’ADSL se trouve dans l’éligibilité des lignes du réseau téléphonique à cette nouvelle technologie. En effet, en 2000, seulement 11 millions de lignes (soit le 1/3 du réseau) pouvaient être équipées de cette technologie. En outre, des investissements en infrastructures importants étaient nécessaires pour moderniser les deux-tiers du réseau restant.

Image Graphique 2 : Les communes les plus densément peuplées ont bénéficié en priorité Sources : BdF, INSEE, calcul des auteurs
Graphique 2 : Les communes les plus densément peuplées ont bénéficié en priorité Sources : BdF, INSEE, calcul des auteurs

Note : il s’agit de taux de couverture. Le nombre d’abonnés à l’ADSL est  plus faible : à titre d’exemple, seuls 8 millions de français étaient abonnés au haut débit en 2005 (alors que la population couverte est proche de 95%)

Si le déploiement de la technologie fût très progressif au niveau géographique, les premières communes ayant accédé à l’ADSL étaient les plus densément peuplées. En 2002, les 20% des communes équipées correspondent à 70% des firmes, tandis qu’environ 85% de la population se trouvait dans une zone couverte par l’ADSL (voir Graphique 2).

Dans une étude en cours, Carluccio, Malgouyres, Mayer et Mazet-Sonilhac, (2018) utilisent le déploiement progressif de l’ADSL en France pour évaluer l’impact de l’accès à cette technologie sur les importations des entreprises françaises. Pour cela, les auteurs mobilisent les variations spatiales et temporelles d’accès au haut débit pour comparer les entreprises bénéficiant d’un accès à celles n’en bénéficiant pas. L’étude s’intéresse plus particulièrement aux petites et moyennes entreprises importatrices, présentes dans une seule commune. Celles-ci sont théoriquement plus exposées aux frictions informationnelles. 

Pour ces entreprises, l’accès à l’internet haut débit entraine une augmentation de la valeur des importations, toutes destinations confondues, qui s’élève à environ 20% à moyen-terme (i.e. cinq ans après l’accès à l’ADSL). L’effet positif de la diffusion de cette technologie en France varie selon les pays depuis lesquels les biens sont importés. L’augmentation des importations françaises est particulièrement  forte (par rapport à l’effet global estimé) pour des biens en provenance de Chine et d’Europe de l’Est. Cette hétérogénéité est cohérente avec la théorie des frictions informationnelles puisque l’effet positif de l’ADSL semble affecter davantage les marchés émergents. Ceux-ci sont considérés comme plus difficiles d’accès (distance, différence de langue, de culture et de niveau de développement) et les réseaux de fournisseurs y sont initialement peu développés.

Image Graphique 3 : L’augmentation de la valeur des importations françaises de biens étrangers aurait été plus faible sans accès à l’ADSL Sources : Douanes, calcul des auteurs
Graphique 3 : L’augmentation de la valeur des importations françaises de biens étrangers aurait été plus faible sans accès à l’ADSL Sources : Douanes, calcul des auteurs

Note : Le Graphique 3 décrit l’augmentation de la valeur totale par année des importations de biens des entreprises françaises en milliard d’euros entre 1997 et 2007 ainsi que l’évolution contrefactuelle en l’absence de l’ADSL.

Les résultats de l’étude indiquent que la hausse des importations françaises entre 1999 et 2007 aurait été plus faible de 15% (environ 30 milliards d’euros) sans  la diffusion de l’ADSL au début des années 2000 en France. Ce chiffre est obtenu est retranchant aux flux d’importations observés la part attribuée à la diffusion de l’ADSL telle que mesurée dans l’étude.

Ainsi,  la diffusion de l’internet haut débit augmente la capacité des entreprises à trouver à l’étranger les bons partenaires commerciaux et à importer des biens adaptés à leurs besoins. La productivité de ces entreprises en serait améliorée, comme l’indiquent les résultats d’une étude récente qui souligne l’importance des biens de consommation intermédiaire dans le processus de production (Blaum et al., 2018). Ce résultat souligne également l’importance des investissements en infrastructures des États et des opérateurs privés afin de réduire les inégalités géographiques d’accès au haut débit subsistantes. En France, c’est l’objectif du plan « Très Haut Débit » lancé en février 2013, qui mobilise les opérateurs privés et les collectivités territoriales: seuls 31,2% des ménages et locaux professionnels dans les territoires ruraux avaient accès à l'internet très haut débit au 31 décembre 2016.

Des travaux sont en cours pour étudier si la diffusion de l’internet haut débit a eu, ou non, un impact sur la capacité des entreprises françaises à exporter. Mais ils ne sont pas encore disponibles.

Mise à jour le 25 Juillet 2024