Augmenter le nombre de propriétaires est l’objectif de nombreuses politiques publiques en France depuis les années 50. La littérature économique a plutôt tendance à justifier cette volonté en montrant par exemple que le bien-être des ménages serait plus élevé lorsqu’ils sont propriétaires ou que le patrimoine immobilier permettrait de s’assurer contre des baisses de revenus au cours de la vie active ou lors du départ à la retraite. Mais certains travaux affirment que les propriétaires sont moins mobiles sur le marché du travail et donc plus souvent au chômage.
Le rythme d’accession à la propriété des jeunes ménages français s’est maintenu malgré la crise, contrairement à d’autres pays, mais au prix d’un accroissement des disparités au sein de ces ménages (Clerc, Monso, Pouliquen, 2011), disparités qui s’observaient d’ailleurs déjà avant le début des années 90 (Fack, 2007).
Ce billet s’appuie sur Bonnet, Garbinti, Grobon (2017) et résume l’évolution de l’accès à la propriété des ménages les plus jeunes au cours des 40 dernières années en mettant en évidence certaines dynamiques à l’œuvre, notamment le rôle croissant des aides de la famille.
Des disparités croissantes entre les ménages les plus et les moins aisés
En 40 ans, l’accès à la propriété s’est fortement détérioré pour les ménages de 25 à 44 ans aux revenus les plus faibles (Graphique 1). En 1973, 34 % d’entre eux sont propriétaires. En 2013 ils sont 16 %, soit une baisse de moitié. Le taux de propriétaires au sein des jeunes ménages aisés a, quant à lui, augmenté de plus de 50 % : il est passé de 43 % à 66 %.
L’augmentation des taux d’intérêt réels à la fin des années 80, puis le doublement des prix de l’immobilier entre 1996 et 2010 ont freiné l’accès au marché immobilier des plus modestes (Arnauld, Cresson, 2012). Bien qu’elles aient permis de soutenir l’accès à la propriété, les politiques du logement n’ont pas enrayé cette dynamique. Elles l’auraient même, dans une certaine mesure, accentuée (Bonvalet, Bringé, 2013). Les prêts à taux zéro, en particulier, n’ont pas ciblé les plus modestes (Gobillon, Le Blanc, 2005). Plus largement, l'ensemble des aides à l'accès à la propriété n’ont probablement pas suffi à rendre possible l’acquisition d’un logement pour nombre de ménages à faible niveau de vie que ce soit dans le contexte de prix élevés de l’immobilier des années 2000 ou même plus récemment malgré la baisse des taux d’ intérêt et la stabilité des prix depuis le début des années 2010.
Les aides familiales sont davantage reçues par les ménages aisés
Plusieurs travaux (Spilerman, Wolff, 2012) ont précédemment insisté sur l’effet déterminant des donations et héritages sur l’accès à la propriété, notamment en France (Arrondel et al., 2014). Notre analyse sur longue période est centrée sur les ménages les plus jeunes. Ceux-ci sont différenciés en fonction de leur niveau de vie. La part de jeunes ménages aidés par leur famille augmente au cours des années 2000. 20 % des premiers propriétaires récents âgés de 25 à 44 ans sont concernés en 2002. Ils sont 27 % en 2013. Malgré le quasi-doublement des prix de l’immobilier dans les années 2000, la part du don dans le prix d’achat du logement reste assez stable, autour de 20 %. Cette relative stabilité dans un contexte de croissance des prix peut recouvrir différents mécanismes. Certaines familles peuvent avoir adapté leur aide aux prix croissants de l’immobilier. En effet, des ménages ont pu acheter des biens moins chers (de qualité moindre) ou, certains ménages peuvent avoir été évincés du marché, ne bénéficiant pas d’aide familiale suffisante.
La probabilité de devenir propriétaire augmente nettement avec la réception d’une aide. Chez les plus modestes, les ménages n’ayant pas reçu d’aide ne sont que 3 % à être propriétaires, contre 30 % lorsqu’ils déclarent avoir reçu une aide. L’écart est également important pour les autres ménages : la probabilité d’être propriétaire est plus de deux fois plus forte pour les plus aisés qui reçoivent une aide. Ce sont d’ailleurs les plus aisés qui reçoivent le plus souvent des donations : près d’un quart (contre 16 % pour les plus modestes) déclarent avoir reçu une aide directe au moment de l’achat.
Diverses dynamiques à l’œuvre derrière cette tendance inégalitaire
Entre 1978 et 2013, la baisse de la probabilité de devenir propriétaire chez les jeunes ménages les plus modestes peut très largement s’expliquer par les mutations de cette population au cours du temps.
Tout d’abord les configurations familiales ont beaucoup varié chez les jeunes ménages les plus modestes où la part de familles monoparentales est multipliée par 3 entre 1978 (9 %) et 2013 (29 %). A l’inverse, la proportion de couples avec enfants diminue fortement. Ils représentent 78 % des ménages modestes en 1978, contre 38 % en 2013. Les couples avec enfants ayant une propension plus élevée que la moyenne à accéder à la propriété, à l’inverse des familles monoparentales, cette évolution explique une part significative de la baisse du taux de propriétaires des plus modestes. De plus la part des jeunes ménages modestes vivant en milieu rural a considérablement baissé. Elle est divisée par 2, chutant de 31 à 15 %, au profit des villes de plus grande importance, Paris compris, accompagnant en cela les mutations du marché du travail.
Enfin, au cours des années 2000, le fait d’avoir reçu une aide a un effet de moins en moins fort sur l’accession à la propriété de ces ménages. Les montants reçus sont probablement devenus de moins en moins suffisants pour faire face à la hausse des prix de l’immobilier. Ces ménages ont d’ailleurs moins souvent bénéficié d’aide (8 % en 2002 contre 6 % en 2013). Moins souvent aidés et, lorsqu’ils le sont, bénéficiant d’aides ayant un moindre effet sur leur capacité d’achat, les jeunes ménages modestes sont moins fréquemment devenus propriétaires.
Les évolutions au sein des plus aisés sont diamétralement opposées. C’est au sein de ces ménages que l’évolution du rôle des donations et héritages paraît la plus spectaculaire. Entre 2002 et 2013, la part des jeunes ménages aisés aidés par leur famille passe de 19 % à 25 %, soit une augmentation d’un tiers. Leur probabilité d’accès à la propriété augmente de 11 points de pourcentage (passant de 55 % à 66 %) dont 15 % s’expliquent par les aides reçues. Le rôle croissant de ces aides explique le plus cette hausse.
Cette perspective historique met ainsi en évidence, chez les jeunes ménages les plus modestes, une difficulté croissante à accéder à la propriété. Elle conforte la nécessité d’une réévaluation des politiques publiques du logement et d’un meilleur ciblage vers cette population dont la situation s’est dégradée au cours des 40 dernières années.