En 2019, la zone euro a entamé sa septième année de croissance consécutive, avec une expansion annuelle moyenne du PIB d’environ 1.8% depuis mi-2013. Cette durée, déjà longue, signifie-t-elle que ce cycle d’expansion devient de plus en plus fragile ? Le retournement du cycle est-il imminent ?
Non d’après les propos tenus par Janet Yellen lors de la dernière réunion annuelle de l’Association économique américaine : « l’idée selon laquelle les expansions meurent de vieillesse est un mythe […]. Le fait qu’une expansion dure depuis longtemps ne m’amène pas à penser que ses jours soient comptés », et auxquels Ben Bernanke a rétorqué sur le ton de la plaisanterie : « J’aime à penser que les expansions se font assassiner ». Cette opinion est notamment fondée sur le travail de Diebold et Rudebush (1990), qui ont étudié la dépendance du cycle économique américain à l’égard du temps depuis la Seconde Guerre mondiale.
Oui pour d’autres. Dans un billet publié sur VoxEU, Franck Portier montre, à partir de données américaines, que pour une expansion ancienne de seulement 5 trimestres, la probabilité d’entrer en récession est d’environ 10%. Cette probabilité s’élève à 30-40% lorsque l’expansion est âgée de plus de 35 trimestres. Selon ces résultats, les expansions seraient donc supposées mourir de vieillesse. Le cycle économique serait assimilable au cycle biologique de l’être humain : le vieillissement entraîne de manière inévitable un arrêt du cycle, phénomène également connu sous le nom de sénescence.
Les résultats de ces études sont toutefois uniquement basés sur des données américaines et ne sont donc pas forcément transposables à l’économie de la zone euro.
De Bondt et Vermeulen (2018) ont récemment étudié la question de la dépendance des phases économiques à l’égard de leur durée pour l’ensemble des pays du G7 et démontrent que la pérennité des expansions allemandes dépend de leur âge, mais que cela ne serait pas le cas pour la France et l’Italie. Cette étude rencontre toutefois deux limites. Premièrement, la classification des phases d’expansion et de récession est obtenue à partir de leurs dates de pics et de creux déterminées par l’Institut de Recherche sur le Cycle Économique (ECRI). La classification n’est donc pas directement inférée, de manière probabiliste, par le modèle statistique utilisé. Deuxièmement, seulement trois des dix-neuf pays de la zone euro sont étudiés, ce qui ne permet pas d’en déduire un résultat pour l’économie de la zone euro dans son ensemble.
Les expansions économiques de la zone euro ne meurent pas de vieillesse…
Ce billet teste l’hypothèse de la dépendance des phases économiques de la zone euro à l’égard du temps en appliquant la méthode de « duration dependence » de Durland et McCurdy (1994) sur les données historiques du taux de croissance du PIB réel de la zone euro de 1970 à aujourd’hui (reconstituées par agrégation avant 1999). Ces auteurs développent un modèle statistique permettant de capturer et de distinguer, de manière probabiliste, les phases d’expansion et de récession au cours du temps, tout en tenant compte de la dépendance potentielle de chaque phase à l’égard de son ancienneté. Il s’agit donc de déterminer si les données de la zone euro permettent d’établir un lien statistique fort entre la probabilité de basculer d’une phase à une autre et l’âge de la phase actuelle.
La méthode utilisée n’est évidemment pas exempte de critiques. Premièrement, le modèle emploie seulement un indicateur économique et ne prend donc pas en compte un vaste ensemble de données relatif à l’état de l’économie. Deuxièmement, bien que similaire aux modèles macroéconomiques modernes, le système statistique ne permet pas de prendre en compte le développement de vulnérabilités en phase d’expansion (telles que l’accumulation excessive de dettes) susceptibles de déclencher un retournement du cycle. Cette méthode ne peut donc se substituer à un exercice classique de prévision macroéconomique.
Le Graphique 1 présente la probabilité de transition et traduit donc la probabilité de survie de chaque phase en fonction de son âge. La probabilité de survie d’une phase d’expansion apparaît clairement indépendante du nombre de trimestres d’ancienneté acquis par la phase. Cette probabilité est proche de 0.95 au bout de deux ans et reste constante au-delà. La survenance d’une récession ne dépend donc pas de l’âge de l’expansion en cours. Les expansions économiques anciennes ont autant de chance de disparaître que les jeunes expansions. En revanche, les récessions sont plus enclines à « vieillir ». Le modèle démontre qu’au-delà d’un an, les récessions ont une chance sur deux de disparaître et de laisser place à un nouveau cycle. Au-delà d’un an et demi, leur chance de survie serait même inférieure à 20%.