Fin avril 2020, un tiers des employés étaient en télétravail (Dares, 2020) avec de grandes disparités en fonction du secteur, du niveau de qualification et donc de la région géographique. Ainsi d’après l’enquête DARES-ACEMO, en avril 2020, la part des employés en télétravail atteint 65% dans le secteur de l’information et de la communication, 54% dans la finance et les assurances et seulement 4% dans l’hébergement-restauration et 15% dans les transports. Récemment, un certain nombre d’études ont permis de mieux percevoir les transformations qui pourraient résulter d’une plus grande utilisation du télétravail (Bergeaud et Ray, 2020, Batut, 2020).
Un bouleversement du marché du travail ?
Le télétravail va vraisemblablement transformer significativement le fonctionnement du travail des salariés, qui globalement valorisent une plus grande flexibilité dans l’organisation de leur temps de travail. En effet, une majorité d’employés concernés se disent globalement satisfaits de leur expérience de télétravail (59,3% en France d’après l’enquête de La Fondation européenne pour l'amélioration des conditions de vie et de travail juin/juillet 2020). De même, de nombreux employeurs prévoient une plus grande utilisation du télétravail : une étude de la Fed d’Atlanta anticipe un triplement du télétravail dans un futur proche Une telle transformation doit s’accompagner de négociations préalables entre employeurs et employés. Dans de telles négociations, les employeurs pourront faire valoir les gains pour les travailleurs : temps de transport, meilleure gestion du temps de travail, plus grande flexibilité et autonomie dans la gestion des tâches (avec toutefois des problématiques légales importantes). À l’inverse, les employés pourront opposer les gains de productivité potentiels que l’entreprise pourrait réaliser et surtout le transfert de coûts de fonctionnement des locaux (loyers, électricité, chauffage etc…). Or la question des gains de productivité pour l’entreprise reste encore débattue (voir Cette, 2020, Batut et Tabet, 2020) ce qui pourrait compliquer encore davantage les négociations.
Vers moins de bureaux ?
Une amplification du recours au télétravail, en particulier des cadres des entreprises de service qui sont les plus concernés, pourrait entrainer des transformations importantes sur l’immobilier d’entreprise. La demande d’espaces de bureau dans des centres urbains très denses et dont les prix par m² sont déjà très élevés devrait baisser en entrainant une baisse de ces prix, infléchissant une tendance d’agglomération observée depuis les années 1980, en France comme aux États-Unis. Une étude menée au début de l’épidémie confirme, pour les États-Unis, l’existence d’une corrélation négative entre le recours au télétravail et la projection que l’entreprise fait de ses besoins futurs en espace de bureau.
Cependant, une baisse de la demande de bureaux à l’issue de la crise ne semble pas nécessairement acquise d’après les résultats d’une enquête conduite aux États-Unis au mois de juin auprès d’un panel de dirigeants. D’après cette étude, la baisse de la demande en immobilier de bureau induite par le recours au télétravail serait contrebalancée par la hausse anticipée de l’activité à l’issue de la crise pour les entreprises survivantes. Cette perspective optimiste tient sans doute également à la vigueur du plan de relance américain, notamment au début de l’été, et à l’impact de ce dernier sur la confiance des entreprises. Or cette dernière est potentiellement affectée par des biais de perception, ce qui interroge la validité de ces résultats dans le temps, a fortiori dans d’autres pays.
Toutes ces modifications ne prendront place que si le télétravail se pérennise et entre définitivement dans les modes de travail en France
Une illustration des effets géographiquement hétérogènes à l’échelle française
Il est possible de répliquer l’étude de Dingel et Neiman (2020) en France afin de calculer une exposition locale au télétravail au niveau de chaque commune. Pour se faire, nous combinons des données de sécurité sociale (DADS) avec des informations croisées au niveau du secteur et de la catégorie socio-professionnelle sur la possibilité qu’un emploi donné soit éligible au télétravail en fonction de son contenu. À partir de ces informations, nous constatons tout d’abord, conformément à ce que dicte l’intuition, que la répartition des emplois télétravaillables n’est pas uniforme sur le territoire. La carte du Graphique 1 montre en effet que les départements les plus denses semblent davantage exposés. En descendant au niveau de la commune, le Graphique 2 met en relation le niveau d’urbanisation tel que calculé par l’INSEE et notre mesure d’exposition au télétravail. Il montre que cette mesure est surtout importante dans les communes les plus urbanisées qui concentrent traditionnellement plus de cadres et d’emplois de services.