Bloc-notes Éco

Les technologies vertes, un allié essentiel pour atteindre les objectifs climatiques

Mise en ligne le 21 Septembre 2023
Auteurs : Claire Alestra, Gilbert Cette, Valérie Chouard, Rémy Lecat

Billet n°322. Dans quelle mesure la technologie peut-elle contribuer à la réalisation des objectifs de l’Accord de Paris, à savoir atteindre la neutralité carbone et limiter le réchauffement climatique ? Le modèle ACCL (« Advanced Climate Change Long-term Model ») d’Alestra et al. (2022) est utilisé pour évaluer différents scénarios d’innovation technologique et de taxation carbone. Seule une stratégie faisant intervenir plusieurs leviers d’action peut permettre d’atteindre ces objectifs climatiques.

Image Hausse de la température d’ici 2100 dans un scénario de taxe carbone basse et en l’absence de combinaison de plusieurs technologies
Graphique 1 : Hausse de la température d’ici 2100 dans un scénario de taxe carbone basse et en l’absence de combinaison de plusieurs technologies
Note : Scenario de taxe carbone basse avec une hausse de 1 % par an du prix relatif des combustibles fossiles, une baisse de 3 % par an du prix relatif de l’électricité « propre », une séquestration de 7,6 Gt de CO2 par an et des gains d’efficience énergétique de 1,6 % par an.

Selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), le progrès technologique doit constituer un élément de la panoplie d’actions pour atteindre l’objectif d’émissions nettes nulles de gaz à effet de serre (GES) et limiter le réchauffement de la planète et le changement climatique. Mais quels types de technologies peuvent nous aider à atteindre les objectifs de l’Accord de Paris, à savoir parvenir à la neutralité carbone ? Et quelles sont les implications économiques d’une telle transition technologique ? Dans un récent document de travail, des simulations réalisées avec le modèle climatique d’Alestra et al. (2022) (modèle ACCL) évaluent différents scénarios d’innovation technologique et de taxation du carbone.

Aucune technologie n’est à elle seule suffisante pour atteindre les objectifs climatiques

Le modèle ACCL est un outil gratuit et disponible sur internet, qui quantifie les effets de chocs technologiques et de chocs sur les prix de l’énergie. Il fournit une simulation approfondie de la dynamique de la productivité globale des facteurs (PGF) et une différenciation des sources d’énergie, en distinguant cinq types d’énergies : quatre étant « sales » en termes d’émissions de CO2 (charbon, pétrole, gaz et électricité « sale ») et une étant« propre » (électricité « propre »).

Le modèle ACCL est utilisé ici pour évaluer la contribution de trois types d’améliorations technologiques visant directement à réduire la quantité de GES : les gains d’efficience énergétique, la diffusion des technologies de captage, stockage et valorisation du CO2 (CCUS - Carbon Capture, Use and Storage) et une baisse du prix relatif de l’énergie « propre ».

Les gains d’efficience énergétique correspondent à une baisse en volume du ratio consommation d’énergie sur produit intérieur brut (PIB). Depuis le premier choc pétrolier, les économies avancées ont réalisé des gains d’efficience énergétique, qui ont atteint 1,6 % par an dans les années 2010 (AIE, 2021). Ces gains proviennent d’innovations visant à réduire la consommation d’énergie, mais aussi de la diffusion de technologies existantes et d’améliorations qualitatives à contenu technologique limité. Dans l’évaluation de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), la rénovation des bâtiments existants, par exemple, constitue un levier important des gains d’efficience énergétique (devant les gains dans les transports et l’industrie). La mise en place d’une taxe carbone ou de réglementations des émissions de carbone sont nécessaires pour accélérer les gains d’efficience énergétique.

Les technologies CCUS consistent à capter le CO2 lors de son émission, à l’utiliser dans les processus industriels ou à le stocker dans des espaces naturels. La séquestration naturelle par les puits de carbone (par exemple les forêts) n’en fait pas partie. Les technologies CCUS matures sont utilisées pour capter les émissions de CO2 des sites industriels de grande taille (production d’électricité, d’acier ou de ciment). Technologies onéreuses et à forte intensité énergétique, les CCUS n’ont pas été largement développées, même si elles sont disponibles depuis plusieurs décennies et auraient pu être mises en œuvre depuis longtemps. Les scénarios reposant sur les technologies CCUS dépendent de façon décisive d’une taxation du carbone fournissant les incitations nécessaires à la mise en œuvre de ces technologies.

Outre l’énergie nucléaire, les énergies non émettrices de CO2 comprennent les sources renouvelables telles que l’énergie solaire, l’énergie éolienne, l’énergie hydraulique ou la biomasse. Alors que le coût de l’énergie nucléaire s’est stabilisé au cours des dernières décennies, les technologies renouvelables sont devenues de plus en plus rentables avec le déploiement croissant de nouvelles capacités (IRENA, 2022). En fonction de la source d’énergie renouvelable utilisée, le coût de l’électricité a baissé dans une fourchette comprise entre 48 % (éolien offshore) et 85 % (solaire photovoltaïque à grande échelle) entre 2010 et 2020. Le coût de la production d’électricité à partir d’énergies renouvelables est désormais équivalent à celui des nouvelles capacités de production à partir de combustibles fossiles. Certaines innovations potentielles telles que l’hydrogène renouvelable la biomasse moderne ou l’amélioration des capacités de stockage de l’énergie produite, ainsi que la réorientation des subventions publiques vers une production d’électricité plus propre, pourraient encore améliorer la faisabilité et la viabilité financière des énergies renouvelables à l’avenir.

Le modèle ACCL permet d’explorer différents scénarios. Le scénario de référence est celui d’une taxe carbone basse à l’échelle mondiale (TCB), prévoyant une hausse de 1 % par an (ou de 1,5 % par an) du prix relatif (par rapport au PIB) de chacune des quatre types d’énergie « sale » et un prix relatif stable de l’énergie « propre » sur l’ensemble de la période et dans tous les pays. Ce scénario de taxe carbone « basse », qui conduirait néanmoins à plus qu’un doublement du prix relatif des énergies « sales » d’ici 2100, semble plus réaliste que les scénarios de taxe carbone plus élevée, car nous supposons une mise en œuvre de la taxe dans tous les pays. Le modèle compare ce scénario à d’autres scénarios ajoutant différentes innovations technologiques au scénario d’une taxe carbone basse.

Les simulations réalisées montrent qu’aucun scénario ne faisant intervenir une technologie seule n’est suffisant pour atteindre les objectifs climatiques d’ici 2100 (cf. graphique 1). Les scénarios sans technologies « vertes » s’appuient sur des hypothèses peu réalistes, comme une parfaite coordination internationale de la mise en œuvre immédiate de politiques climatiques très ambitieuses (scénario de taxe carbone élevée), afin de limiter les dommages climatiques grâce à une hausse de la température inférieure à 2 °C. Les scénarios faisant intervenir chacune des technologies « vertes » sans aucune autre ne permettent pas d’atteindre des émissions nettes nulles d’ici 2100, ce qui implique un réchauffement climatique nettement supérieur à 2 °C.

Combiner toutes les technologies à une taxe carbone permet d’atteindre les objectifs climatiques

Nous examinons ensuite quatre scénarios composites qui combinent le scénario d’une taxe carbone basse avec des progrès technologiques « usuels », ou avec le déploiement d’un ensemble de technologies « vertes », ou avec la combinaison des deux scénarios précédents. L’hypothèse du progrès technologique « usuel » représente un choc technologique qui n’est pas spécifiquement orienté vers les objectifs climatiques, tandis que le mix « vert » est une combinaison des différentes technologies présentées ci-dessus. Les simulations montrent que seul un scénario composite associant les différentes technologies vertes à une hausse réaliste du prix relatif de l’énergie « sale » permet d’atteindre les objectifs climatiques (cf. graphique 2).

Ce résultat est en ligne avec la synthèse du dernier rapport d’évaluation du GIEC, et ce scénario devrait être mis en œuvre immédiatement et être coordonné dans tous les pays (une hypothèse peu réaliste au regard de la situation géopolitique actuelle). Une mise en œuvre tardive ou incomplète signifie que les efforts devront être fortement renforcés dans une deuxième phase pour compenser les GES émis en surcroit de la trajectoire vers un scénario 2°C.

Image Hausse de la température d’ici 2100 dans un scénario de taxe carbone basse associé à différents mix technologiques
Graphique 2: Hausse de la température d’ici 2100 dans un scénario de taxe carbone basse associé à différents mix technologiques
Note : Taxe carbone basse (TCB) aboutissant à une hausse du prix relatif des combustibles fossiles de +1% ou +1,5% par an, associée à des progrès technologiques (PT) et/ou un mix de technologies « vertes » (TV).