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Les fonds monétaires tokenisés : quelles conséquences pour la stabilité financière ?
Billet de blog 408. Au cours de l’année 2024, les initiatives de tokenisation des fonds se sont multipliées et notamment la tokenisation des fonds monétaires. S’il s’amplifiait, ce mouvement pourrait renforcer les interconnexions entre le système financier traditionnel et le secteur des cryptoactifs et entrainer à terme de nouveaux risques pour la stabilité financière.
Graphique 1 : Capitalisation du marché des actifs réels tokenisés

La tokenisation des fonds monétaires : un nouveau pont entre finance traditionnelle et finance tokenisée
La tokenisation des actifs désigne un processus d’émission et d’enregistrement d’un actif sous une forme numérique, par le biais d’une base de données distribuée au sein d’une communauté d’utilisateurs, appelée registre distribué (DLTs, Distributed Ledger Technologies). Les fonds monétaires tokenisés sont similaires aux fonds monétaires traditionnels, mais en diffèrent par leur fonctionnement. Leur nature juridique et leur rendement restent identiques à ceux d’un fonds monétaire traditionnel. La nouveauté réside dans l’enregistrement des parts de fonds sous forme de jetons (tokens) échangés sur des DLTs plutôt qu’auprès d’un dépositaire central des titres comme pour un fonds monétaire traditionnel. Ceci permet l’automatisation des opérations, par des programmes informatiques, nommés smart contracts à des fins de réduction des coûts et d’accélération des transactions.
En termes de capitalisation, les principaux titres convertis sous forme de jetons, devant les fonds monétaires, sont les fonds de créances privées (Graphique 1), principalement destinées à soutenir le développement de fintechs, des projets immobiliers et de petites entreprises dans les pays émergents. La tokenisation des fonds monétaires, détenteurs de bons du Trésor américain, se développe particulièrement rapidement sur le marché américain avec une capitalisation de plus de 7 milliards de dollars en juin 2025 contre seulement 100 millions fin 2022 (Graphique 2). En outre, le marché américain a connu une progression du nombre de gestionnaires de fonds tokenisés depuis 2024, même s’il reste relativement concentré, avec quatre principaux fonds monétaires tokenisés situés aux États-Unis qui se partagent ce marché. En Europe, le marché est très faible à ce jour. Néanmoins, le marché des fonds monétaires tokenisés représente environ 0,1% de la taille du marché des fonds monétaires traditionnels, dont la taille est supérieure à 7000 milliards de dollars.
Les caractéristiques d’un fonds monétaire tokenisé sont comparables à celles d’un stablecoin à plusieurs égards : les actifs à court terme dans lesquels investissent les fonds monétaires tokenisés sont similaires aux actifs très liquides qui composent les réserves des stablecoins, dont les bons du Trésor américain de courtes maturités; à l’instar des stablecoins, les parts de fonds monétaires tokenisés sont facilement transférables.
Cependant, ces deux types d’actifs présentent aussi des différences. Contrairement aux stablecoins, les fonds monétaires tokenisés offrent un rendement, en général, le rendement des bons du Trésor américain (4,4% pour les bons du Trésor américain à 10 ans en juin 2025) via le versement d’intérêts journaliers, voire à la seconde pour certains fonds et 365 jours par an. Mais, la liquidité des fonds monétaires tokenisés peut être plus réduite que celle des stablecoins suivant le type de fonds tokenisé, la liquidité des actifs et les conditions contractuelles.
Graphique 2 : Capitalisation du marché des fonds monétaires tokenisés détenant des titres du Trésor américain

La tokenisation des fonds monétaires pourrait engendrer à terme des risques pour la stabilité financière
La tokenisation des fonds monétaires pourrait créer de nouveaux canaux de contagion vers les marchés financiers, même si leur encours reste faible à ce jour.
La tokenisation des fonds monétaires engendre de nouvelles interconnexions entre les cryptoactifs et la finance traditionnelle via les mécanismes de rachat des parts du fonds (Federal Reserve, 2023). Par exemple, lors de périodes de forte volatilité sur le marché des cryptoactifs, les détenteurs de cryptoactifs sont susceptibles d’acheter des stablecoins afin de stabiliser la valeur de leur portefeuille. À l’avenir, plutôt que des stablecoins, ils pourraient préférer acheter des parts de fonds monétaires américains tokenisés qui présentent l’avantage de procurer un rendement tout en restant dans l’univers tokenisé. Lors d’une baisse de volatilité, ils pourraient convertir ces parts en monnaie légale ce qui pourrait imposer au gestionnaire des fonds monétaires de revendre les sous-jacents constitués de bons du Trésor américain et favoriser ainsi une baisse de valeur de ces derniers.
La disponibilité permanente des plateformes d'échange d'actifs tokenisés introduit un risque de décalage des prix des actifs entre les deux marchés et un potentiel risque d’asymétrie de liquidité si les rachats des parts de fonds monétaires tokenisés sont possibles 24h/7j. En cas de pic de demandes de rachat en dehors des heures des plages d’ouverture des marchés traditionnels, l’émetteur ne pourrait pas liquider les actifs sous-jacents pour y faire face. Les smart contracts présents dans les fonds monétaires tokenisés, du fait de l’automaticité des transactions qu’ils entraînent lorsque des paramètres atteignent certains niveaux, pourraient amplifier la contagion vers les marchés traditionnels internationaux, de même que pour les stablecoins. Les risques semblent néanmoins contenus à ce stade, compte tenu de la taille encore faible du marché des fonds monétaires tokenisés (Banque de France, 2024).
En outre, les fonds monétaires tokenisés sont soumis aux risques technologiques propres aux cryptoactifs, y compris les stablecoins. La dispersion des parts de fonds tokenisés sur différentes DLT, dont l'interopérabilité reste limitée, fragmente la liquidité et complexifie les opérations (OCDE, 2025). Par ailleurs, la concentration des prestataires de services peut créer des points de vulnérabilité en cas d’incident et accroître les risques de monopole. Enfin, les DLT peuvent être vulnérables aux cyberattaques visant les smart contracts, comme en témoignent les pertes record dans le secteur des cryptoactifs depuis 2021 (Graphique 3).
Graphique 3 : Attaques cyber visant le secteur des cryptoactifs

Pour faire face à ces risques, l’enjeu clé d’un cadre réglementaire en évolution
Dans l’Union européenne, le règlement sur les marchés de cryptoactifs (Markets in Crypto-Assets, MiCA) et le Régime Pilote visent tous les deux à offrir des cadres juridiques adaptés à l’usage de la DLT. Le règlement MiCA encadre les cryptoactifs, dont les stablecoins. Quant au Régime Pilote, il vise spécialement à offrir un cadre règlementaire dérogatoire, pendant trois ans, reconductible une fois, afin d’expérimenter les activités relatives à la négociation et au post-marché de titres tokenisés. La règlementation financière traditionnelle continue à s’appliquer aux titres tokenisés, selon les principes de « mêmes risques, mêmes règles » et de « neutralité technologique » selon lesquels la tokenisation des instruments financiers n’affecte pas la qualité d’instruments financiers et donc l’applicabilité des règlementations afférentes.
Par conséquent, les fonds monétaires tokenisés établis dans l’UE - qui présentent les caractéristiques des fonds monétaires et les risques associés - sont soumis aux mêmes règles spécifiques applicables aux fonds monétaires traditionnels définies par le règlement sur les fonds monétaires (MMFR). Le règlement MMF harmonise les exigences prudentielles applicables aux fonds monétaires européens et impose des règles de gouvernance et de transparence à leurs gestionnaires garantissant la protection de l’investisseur.
De plus, les parts dans un fonds monétaire tokenisé, bien qu’émises sous forme de jetons sur DLT, sont qualifiées d’instruments financiers et ne relèvent donc pas du règlement MiCA.
Au niveau international, les efforts se poursuivent pour évaluer si les cadres règlementaires existants répondent de manière adéquate aux caractéristiques des différents actifs financiers tokenisés (ex. cadre prudentiel, risque opérationnel, risque cyber, gestion des tiers). Pour le Financial Stability Board (FSB), il convient d’abord de pallier le manque de données et d’information sur le développement de la tokenisation et de faciliter le partage d'informations réglementaires et de supervision transfrontalières sur cette technologie. À cet égard, l’accès à des données en open-source, notamment issues des plateformes DLT, est un enjeu essentiel pour la surveillance des risques (FSB, 2024).
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Mise à jour le 1 Juillet 2025