Bloc-notes Éco

Les étapes de l’intégration financière européenne de la France

Mise en ligne le 12 Janvier 2023
Auteurs : Iris Chagnaud, Jean-Baptiste Gossé, Florian Le Gallo, Rémy Lecat

Billet n° 300. L’intégration financière européenne de la France, mesurée par l’évolution de ses flux de capitaux vers ses principaux partenaires, a fortement accéléré avec l’euro et les mesures européennes d’unification des services financiers. Elle s’est nettement repliée avec la grande crise financière puis la crise de la zone euro. Son rebond en 2018-2019 est depuis à l’épreuve des crises Covid-19 et énergétique.

Image Graphique 1. Flux nets de capitaux de la France vers l’étranger (1980-2021, % du PIB) Source : BDF et BRI, calcul des auteurs.
Graphique 1. Flux nets de capitaux de la France vers l’étranger (1980-2021, % du PIB) Source : BDF et BRI, calcul des auteurs.
Note : Somme des flux d’investissement direct, de portefeuille et d’autres investissements.  UE10 : Allemagne, Benelux, Italie, Danemark, Irlande, Grèce, Espagne, Portugal. Décomposition par pays manquante pour 1994, 1995 et 1999.

Ce billet analyse l’intégration européenne de la France par les flux internationaux de capitaux. À partir d’archives de publications et de données de la Banque de France et de la Banque des règlements internationaux (BRI), il reconstitue une base de flux financiers annuels de la France vers et en provenance de ses principaux partenaires depuis 1980. Certaines séries comprennent des ruptures méthodologiques dues aux changements de référentiel statistique sur la période. Leur évolution depuis 1980 témoigne du passage d’un marché national cloisonné au « grand marché » européen, dans le contexte de l’ouverture financière croissante des États membres.

Un premier développement au cours des années 1980

Le projet de construction européenne inclut dès sa conception une dimension financière. Le premier mouvement de libéralisation est centré sur la mise en place du marché commun mettant fin aux restrictions sur certains échanges de capitaux commerciaux ou privés (directives de 1960 et 1962). En 1980, les flux financiers totaux vers et depuis la France demeurent assez faibles, à respectivement 2% et 1% du PIB. Ils croissent ensuite progressivement pour s’établir autour de 7% du PIB à la veille du passage à l’euro (graphique 2).

Image Graphique 2. Flux nets de capitaux en provenance et en direction de la France (% du PIB) Source : BDF et BRI, calcul des auteurs.
Graphique 2. Flux nets de capitaux en provenance et en direction de la France (% du PIB)
Source : BDF et BRI, calcul des auteurs.
Note : Flux entrants et sortants nets, ventilés selon le premier pays de contrepartie (désinvestissement si signe négatif).

L’essor des flux financiers sur la période résulte notamment de la réorientation de la politique économique du gouvernement qui a contribué à en renforcer la crédibilité (Drumetz, 2003) et des différentes mesures de libéralisation financière survenues au cours des années 1980 dans un contexte de forts déficits courants (besoin de devises étrangères). Ainsi, l’assouplissement progressif des possibilités de transactions financières hors du territoire, la création d’un marché à terme et le lancement des obligations assimilables du Trésor ouverts aux investisseurs étrangers ont contribué à attirer les capitaux étrangers (Quennouëlle-Corre 2018). Ce premier mouvement de libéralisation s’achève par la mise en œuvre anticipée par la France dès 1990 de la directive communautaire sur l’ouverture complète du compte de capital.

Par ces mesures, la France parvient ainsi à attirer davantage de capitaux et à soutenir les investissements directs à l’étranger (IDE) importants des entreprises françaises des années 1990, dans un contexte de libéralisation financière au sein de la CEE.

Image Schéma. Étapes de l’intégration financière européenne Source : Auteurs.
Schéma. Étapes de l’intégration financière européenne
Source : Auteurs.

L’essor de l’intégration financière européenne après le passage à l’euro

Le passage à la monnaie unique change l’échelle des flux financiers, du fait notamment de la suppression du risque de change. Après des directives sectorielles isolées dans les années 1980 et 1990, l’introduction de l’euro s’accompagne du Financial Services Action Plan, plan global destiné à favoriser les échanges financiers intra-communautaires (cf. schéma). Comprenant 27 directives mises en œuvre de 1999 à 2007, il contribue directement à l’accélération des flux intra-zone euro en harmonisant le cadre réglementaire (Kalemli-Ozcan et al., 2010).

L’intégration financière des années 2000 est alors principalement portée par les investissements directs et de portefeuille sortants. Les flux de la France vers l’UE atteignent ainsi 18% du PIB en 2007, en particulier vers l’Allemagne, les Pays-Bas et le Royaume-Uni (principalement en investissements directs), tandis que l’intégration vis-à-vis du reste du monde hors UE stagne autour de 9% (graphique 1). Les flux de portefeuille français vers les pays du Sud de l’Europe (Espagne, Italie, Grèce, Portugal) et l’Irlande s’amplifient également, dans un contexte d’accroissement des déséquilibres internes à ces pays. La composition des flux français vers l’UE est profondément modifiée avec une forte progression de l’acquisition de dettes (investissements de portefeuille en titres de créances et des autres investissements, graphique 3). Ces flux sortants sont financés, en retour, par des flux entrants d’investissements de portefeuille et d’autres investissements (principalement des prêts interbancaires) provenant de pays extérieurs à la zone euro qui atteignaient 18% du PIB en 2004. La France joue ainsi un rôle d’intermédiaire des flux de financement entre le reste du monde et la zone euro.

La décennie des crises : la grande crise financière et la crise de la zone euro

Sous l’effet de la crise financière de 2008 et de la crise de la dette européenne en 2010-2012, les flux financiers français sortants se rétractent provisoirement avec des désinvestissements en 2008 pour les autres investissements et en 2011 pour les investissements de portefeuille. Le recul des flux intra-européens s’explique principalement par la réduction de la taille du bilan des banques et le repli des prêts interbancaires (Emter et al. 2018), auxquels se sont substitués les prêts directs de l’Eurosystème aux banques (via la politique d’appels d’offre intégralement servis).

Suite à la crise de la zone euro, on observe également une forte réduction des expositions aux titres de créances émis par le reste de l’UE. Du fait de l’initiation d’un cercle vicieux, la défiance vis-à-vis des dettes publiques s’est étendue aux banques qui détenaient une part importante de titres publics nationaux. Les détentions transfrontières de titres de créance, notamment publiques, au sein de la zone euro ont ainsi été réduites après le déclenchement de la crise grecque (de Haan et Vermeulen 2018).

Depuis 2000, les acquisitions de dettes fluctuent davantage que les acquisitions de capital (IDE et actions) dans le reste de l’UE. Comme dans le reste du monde, les flux d’IDE sont plus résilients, particulièrement dans les périodes de crise.

Image Graphique 3. Détail des flux de capitaux français vers l’UE11 en part du PIB (%) Source : Banque de France et BRI, calcul des auteurs.
Graphique 3. Détail des flux de capitaux français vers l’UE11 en part du PIB (%)
Source : Banque de France et BRI, calcul des auteurs.
Note : Données 1999 manquantes. Flux d’investissements sortants nets (investissements – désinvestissements) de la France vers l’étranger

L’intégration croissante de l’Union bancaire depuis 2014, en réduisant les risques sur les investissements transfrontaliers (Bottineau et al. 2022), pourrait contribuer à expliquer la croissance des autres investissements avec une hausse des expositions des grands groupes bancaires français centrée sur la zone euro (hors pays du Sud de l’Europe et Irlande). Malgré une mise en œuvre encore inachevée, les plan d’action européens sur l’Union des marchés de capitaux (UMC) visant à approfondir la circulation intra-européenne des capitaux, ont pu contribué au regain récent d’intégration. Les acquisitions nettes d’actions et parts d’OPCVM retrouvent à partir du milieu des années 2010 des niveaux seulement comparables au début des années 2000. Les acquisitions de titres de créance intra-UE, après des flux négatifs pour les pays du Sud de l’Europe et l’Irlande sur la période 2008-2014 (cf. graphique 3) restent faibles depuis 2014 et toujours très éloignées des niveaux d’avant crises ; ceci peut s’expliquer en grande partie par les mesures de politique monétaire non conventionnelle de l’Eurosystème, qui entraînent en effet un retrait des non-résidents du marché des titres de la zone euro (cf. fiche n°1 rapport annuel de la balance des paiements 2019).

La reprise des flux de capitaux de la France vers l’Union européenne à l’épreuve des nouveaux chocs

Les flux financiers sortants nets ont repris en 2016 pour les flux totaux et 2018 pour les flux vers l’UE. Ces derniers ont alors retrouvé leurs niveaux du début des années 2000, mais restent encore en deçà des niveaux – très élevés – du milieu de la décennie. Cette reprise vers l’UE est principalement portée par les autres investissements et dans une moindre mesure par les IDE.

Suite au Brexit, les entités financières britanniques ont perdu la possibilité d’offrir directement leurs services dans l’UE et certaines activités ont été rapatriées sur le continent (cf. trading sur actions à Amsterdam). En témoignent d’une part la baisse des flux d’investissements français vers le Royaume-Uni (graphique 1) et d’autre part, comme corollaire des relocalisations, la hausse des exportations de services financiers français outre-Manche (cf. RA balance des paiements 2021).

La crise de la Covid-19 a conduit à un recul temporaire des flux, touchant en particulier les IDE. Les effets de la guerre en Ukraine sont encore à constater : les sanctions financières, en particulier, pourraient entraîner à long terme des modifications significatives de la configuration des flux de capitaux, rendant d’autant plus important le renforcement de la résilience économique de l’UE par l’approfondissement de son intégration financière (cf. deuxième plan d’action pour l’UMC de 2020 par exemple).