Dans la phase accélérée de rattrapage que connaît l’UE, les fonds extra-européens – notamment américains (Pitchbook, 2021) – recherchent dans l’UE des tailles de valorisation relativement moins élevées qu’aux États-Unis (34 M€ en moyenne en Europe entre 2016 et 2021 contre 130 M€ aux États-Unis). On remarque au demeurant, parmi ces investisseurs extra-UE, une participation croissante d’investisseurs non traditionnels (fonds souverains, hedge funds, private equity funds) aux levées de fonds des start-ups européennes.
Ces fonds viennent combler un manque de financements identifié de longue date pour les start-ups européennes en phase de croissance (Ekeland et al., 2016 ; Duruflé et al., 2017 ; Tibi, 2019). Néanmoins, à la suite du mouvement de correction actuellement observé aux États-Unis, les flux de capitaux extra-UE pourraient diminuer au 2nd semestre 2022.
Dépasser les limites du capital-risque européen
Alors que l’UE dispose d’un excédent d’épargne significatif (capacité de financement moyenne de plus de 300 Mds€ par an sur les 5 dernières années), le manque de financements européens dans les phases de croissance des start-ups perdure. Cela tient tant aux caractéristiques des fonds d’investissement européens qu’à la structuration de l’épargne privée.
Les fonds de capital-risque européens ont une taille bien inférieure aux fonds de même type américains et asiatiques ou aux fonds non traditionnels. Ainsi, le plus important fonds de capital-risque créé en 2021 aux États-Unis était de 5,7 Mds€ (cf. rapport annuel de l’association américaine du capital-risque) contre 1,6 Md€ dans l’UE. La nécessaire diversification de leurs expositions limite ainsi la capacité des fonds européens à investir dans les opérations de grande ampleur.
Une raison régulièrement avancée pour expliquer ce retard européen est la moindre appétence des investisseurs institutionnels pour cette classe d’actifs (Hafied et al., 2021). Celle-ci repose sur plusieurs facteurs principaux. D’une part, les fonds de pension sont moins présents en Europe que dans d’autres pays où ils jouent un rôle important pour financer la croissance des start-ups. D’autre part, les règles prudentielles applicables aux assureurs (Solvabilité 2) imposent une charge en capital élevée en cas de détention d’actions non cotées. Enfin, les ménages européens ont tendance à préférer des placements garantis du fait notamment d’une plus forte aversion au risque (Bekhtiar et al., 2019). Afin d’offrir ce type de produits d’épargne, les investisseurs institutionnels privilégient donc des placements liquides et sûrs, les détournant ainsi des investissements dans les start-ups.
Un impératif stratégique qui nécessite une meilleure mobilisation de l’épargne européenne
Le développement du capital-risque européen constitue un double enjeu économique et d’autonomie stratégique de l’UE. Le manque de capacités de l’UE en la matière, a fortiori dans les phases avancées de croissance, contribue à son retard dans la construction d’alternatives européennes aux entreprises de technologie américaines ou asiatiques. De surcroît, l’intervention d’investisseurs non résidents peut affaiblir l’écosystème entrepreneurial à long terme en favorisant la délocalisation des start-ups et la fuite des compétences hors de l’UE (Braun et al., 2019).
La fragmentation des marchés de capitaux européens constitue un obstacle au développement d’acteurs du capital-risque de taille continentale. Les plans d’actions de la Commission européenne concernant l’Union des marchés de capitaux (UMC) visent à favoriser l’augmentation de la taille des fonds et le développement des investissements transfrontières (notamment à travers les réformes du règlement EuVECA (European Venture Capital Funds) de 2017 et 2019, le rapprochement des régimes d’insolvabilité des entreprises ou le point d’accès unique aux informations des entreprises). Le nombre de transactions transfrontières en capital-risque dans l’UE a ainsi connu une forte croissance entre 2019 et 2021 (Demertzis et al., 2022). Enfin, pour valoriser davantage cette classe d’actifs, il apparaît nécessaire de développer les perspectives de sortie pour les investisseurs en capital-risque, à travers la cotation en bourse de start-ups ou leur acquisition par de plus grandes entreprises.
Le développement et la meilleure intégration du capital-risque au sein de l’UE favoriseront une meilleure allocation des capitaux européens, géographiquement et sectoriellement (notamment vers les entreprises contribuant à la transition écologique et à la transformation numérique), tout en renforçant son autonomie stratégique. Si les soutiens financiers publics, tels que la création récente d’un fonds soutenu par la Banque européenne d’investissement et dédié aux start-ups atteignant un niveau de développement avancé (scale-ups), jouent un rôle significatif, ils ne sauraient se substituer à la mobilisation de capitaux privés (cf. la nouvelle stratégie start-up du gouvernement allemand). Le renforcement du capital-risque européen sera donc tributaire de la bonne mise en œuvre de l’UMC, de soutiens financiers publics ciblés et, de manière générale, d’une plus grande maturation de l’écosystème entrepreneurial et financier.