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Les émissions sur les marchés domestiques de dette souveraine auraient‑elles aggravé l’éviction du crédit au secteur privé dans les unions monétaires d’Afrique centrale et de l’Ouest ?

Mise en ligne le 29 Décembre 2024
Auteurs : Guy Albert Kenkouo

Les marchés de capitaux performants et dynamiques sont essentiels à la croissance économique, en particulier en Afrique subsaharienne, où les besoins de financement des programmes de développement sont croissants. En effet, le développement de ces marchés facilite la mobilisation des ressources, agissant ainsi comme un catalyseur de croissance (Magnan‑Marionnet, 2016). Des études empiriques confirment ce lien, montrant une corrélation positive entre le développement des marchés de capitaux et la croissance économique, que ce soit par l’amélioration de la productivité ou par l’accumulation de capitaux physique et humain (De Serres et al., 2006).

Le développement des marchés de capitaux en Afrique constitue une source de financement des infrastructures et un outil pour les investisseurs régionaux (Mbeng Mezui, 2014). Cependant, ils sont généralement petits, avec des opérations de court terme et des bases d’investisseurs étroites (Christensen, 2004). Cette situation peut limiter l’efficacité de la canalisation de l’épargne institutionnelle vers des utilisations productives, affectant ainsi la capacité des États et du secteur privé à accéder aux financements pour assurer une croissance économique soutenue et durable. Par ailleurs, les marchés de capitaux africains sont dominés par celui de la dette souveraine (Mu et al., 2013). En effet, il est communément admis que son émergence est un prérequis au développement des marchés privés (Dittmar et al., 2008).

Selon Cabrillac et al. (2009), les marchés africains de dette souveraine sont vulnérables et présentent certaines faiblesses structurelles (faible culture de marché, risques élevés de défaut, manque de taille critique, étroitesse de la base des investisseurs et faible liquidité des actifs). Dans ce contexte, la prédominance des titres publics dans les emplois du système bancaire 2 est susceptible d’entraîner une éviction du crédit au secteur privé. Ce risque est encore plus élevé en zones Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC) 3 et Union économique et monétaire ouest‑africaine (UEMOA) 4, où l’accès au crédit bancaire constitue l’un des principaux obstacles au développement du secteur privé, pourtant indispensable pour assurer la transformation structurelle des économies des pays membres. Par ailleurs, le durcissement 5 des conditions financières sur les marchés internationaux au cours des dernières années a amplifié la dépendance des États aux ressources mobilisées sur le marché de la dette domestique, une situation susceptible d’aggraver l’éviction du crédit au secteur privé.

L’objectif de cette étude est d’examiner si l’effet d’éviction s’est renforcé avec l’approfondissement des marchés domestiques de dette souveraine dans les zones CEMAC et UEMOA. De manière spécifique, l’étude vise à i) faire un diagnostic des principaux défis relatifs au financement des économies en Afrique centrale et de l’Ouest ; et ii) évaluer les effets de l’accroissement du volume des émissions souveraines sur le financement du secteur privé par les banques dans ces deux zones.

Pour mesurer l’ampleur de l’effet d’éviction, un indice est élaboré à partir des travaux de Schmidt et Zwart (2018) et de ceux d’Attout et al. (2022). Par construction de cet indice, l’effet d’éviction se renforce lorsque les émissions de dette publique augmentent, lorsque la demande de crédit du secteur privé croît ou que les décisions des banques en matière de prêts favorisent la dette publique. Les données proviennent de la BEAC, de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), de l’UMOA‑Titres, de la Banque africaine de développement (BAfD) ainsi que des bases de données du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale. Elles couvrent la période allant de 2004 à 2023.

Après une analyse des principaux défis en matière de financement de l’économie en Afrique centrale et de l’Ouest, la suite de cette étude évalue l’évolution de la « gravité de l’effet d’éviction » dans les deux unions monétaires.

1. Défis de financement du développement en Afrique centrale et de l’Ouest

L’accès au crédit bancaire demeure un défi majeur pour le secteur privé en Afrique, entravant sa croissance et son potentiel de contribution au développement économique. Bien que les marchés de capitaux offrent une voie prometteuse pour mobiliser des ressources financières, la prédominance des marchés de dette souveraine soulève d’importantes questions. Cette section examine la contribution du secteur bancaire au financement de l’économie et analyse l’évolution des marchés de dette souveraine dans la CEMAC et l’UEMOA, en mettant en lumière les principaux facteurs de risque associés à leur expansion...

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Mise à jour le 15 Janvier 2025