Document de travail

Le capital au XXIe siècle : qui détient le capital des entreprises extractives de matières premières critiques ?

Mise en ligne le 12 Juillet 2024
Auteurs : Violaine Faubert, Nathan Guessé, Julien Le Roux

Document de travail n°952. Cet article analyse la détention du capital des principales entreprises cotées impliquées dans l’extraction de matières premières critiques (MPC). Si la très forte concentration géographique des ressources est bien documentée, la question du contrôle du capital des entreprises extractives est en revanche peu explorée, alors même que cette question est cruciale pour évaluer les dépendances stratégiques. Nous avons construit une base de données détaillée documentant l’origine géographique et les caractéristiques des actionnaires des entreprises minières cotées de cinq MPC (cobalt, cuivre, lithium, nickel et terres rares). Par souci de robustesse, nous élaborons plusieurs indicateurs de détention du capital, tels que des indicateurs pondérés par la capitalisation boursière ou par la production mondiale de MPC. Pour compléter cette analyse, nous élaborons des indicateurs reposant sur des seuils de contrôle, notamment des seuils de détention majoritaire. Nous soulignons l’écart entre la distribution géographique de la production et celle des investisseurs. En outre, nous montrons la prépondérance des investisseurs stratégiques, tels que les entreprises d’État, dans la détention du capital des entreprises minières. Nos différents indicateurs concordent : les investisseurs extracommunautaires contrôlent l’essentiel du capital des entreprises extractives de MPC. Nos résultats mettent en évidence la nécessité de renforcer l'autonomie stratégique de l'UE et d’élaborer une stratégie adaptée à chaque MPC.

Image WP952
Figure 1. Production-weighted holding rate in CRM mining companies

Avec l’adoption du Critical Raw Material Act, l’Union européenne (UE) a affiché la volonté de renforcer la sécurité de ses approvisionnements en matières premières critiques et d’accroître son autonomie stratégique. La transition énergétique nécessitera en effet des quantités considérables de matières premières critiques telles que le cobalt, le cuivre, le lithium, de nickel ou les terres rares. Toutefois, l’extraction et la transformation de ces matières premières sont géographiquement concentrées dans des pays éloignés de l’UE d’un point de vue géopolitique. Par exemple, 73 % de l’extraction mondiale de cobalt est effectuée en République démocratique du Congo (RDC), 69 % des terres rares sont extraites en Chine et l’Indonésie représente la moitié de l’approvisionnement mondial en nickel (selon les données de l’US Geological Survey, USGS). La concentration de l’offre suscite des inquiétudes : les pays producteurs pourraient utiliser leur position de marché comme un levier pour poursuivre d’autres objectifs stratégiques. Cette situation souligne la nécessité pour l’UE de diversifier ses approvisionnements en matières premières et de développer son potentiel d’offre sur le territoire européen.

Cet article analyse l’origine géographique des détenteurs du  capital des sociétés cotées impliquées dans l'extraction de cobalt, de cuivre, de lithium, de nickel et de terres rares. Si la concentration géographique des ressources est bien documentée, les participations dans des sociétés extractives le sont en revanche beaucoup moins. Pourtant, documenter les sources de contrôle des sociétés minières est essentiel pour évaluer les dépendances stratégiques. Nous comblons donc une lacune dans la littérature en construisant une base de données documentant l’origine des actionnaires des sociétés cotées mondiales impliquées dans l’extraction de matières premières critiques. Nous développons plusieurs indicateurs pour cartographier l’origine géographique des détenteurs du capital de ces entreprises, tels que des taux de détention pondérés par la production ou la capitalisation boursière, complétés par des indicateurs axés sur des seuils de détentions majoritaires. Tous nos indicateurs suggèrent que les investisseurs non membres de l’UE contrôlent une part significative du capital des sociétés minières cotées. Le graphique 1 représente, pour les cinq métaux sélectionnés, les taux de détention selon l’origine des investisseurs.

La position dominante des investisseurs chinois est particulièrement notable dans l’extraction de terres rares, de cobalt et, dans une moindre mesure, de lithium. En revanche, les investisseurs européens détiennent des participations limitées. La part relativement élevée de l’UE dans le secteur du nickel reflète en partie les investissements situés à Chypre et représentant des intérêts russes. Outre les investisseurs chinois, les investisseurs des États-Unis détiennent d’importantes participations, en particulier dans les secteurs du lithium et du cuivre. Bien que les investisseurs latino-américains détiennent une part significative du capital des entreprises productrices de lithium et de cuivre, ils sont sous-représentés eu égard au poids de cette région dans la production mondiale de ces minerais. Le poids des investisseurs australiens est également relativement limité pour le lithium, rapporté à l’importance des ressources australiennes en lithium. L’Australie produit en effet la moitié du lithium mondial (USGS, 2023). Toutefois, deux de ses plus grandes mines de lithium sont contrôlées par des capitaux chinois. Nous mettons donc en évidence l'écart entre la concentration géographique de la production d’une part, et celle des investisseurs d’autre part. Les investisseurs américains, et dans une moindre mesure, les investisseurs originaires de l’UE et du Royaume-Uni, sont surreprésentés dans le contrôle du capital des entreprises extractives de cuivre et de lithium eu égard à leurs productions nationales respectives. Les investisseurs chinois possèdent des participations importantes dans les entreprises productrices de nickel et de cobalt, alors même que ces minerais sont principalement extraits en Indonésie pour le nickel et en RDC pour le cobalt. En revanche, pour les terres rares, la production et la détention du capital sont alignées, les États-Unis et la Chine étant à la fois les principaux producteurs et les principaux détenteurs de capitaux.

Nous soulignons également la prépondérance des investisseurs stratégiques tels que les entreprises d’État dans la détention du capital d’entreprises impliquées dans l’extraction de terres rares et, dans une moindre mesure, de cobalt, de lithium et de cuivre. Nos résultats suggèrent que les investisseurs chinois sont majoritairement des investisseurs stratégiques, ce qui est cohérent avec la littérature existante. Les investisseurs stratégiques jouent également un rôle important dans l’exploitation des ressources de lithium et de cuivre situées en Amérique latine.

Dans un contexte de compétition mondiale pour l’accès aux matières premières critiques, cet article souligne la nécessité de renforcer l’autonomie stratégique de l’UE et l’opportunité de développer une stratégie adaptée à chaque métal. Notre base de données pourrait être utile pour éclairer les éventuelles décisions d’investissement des acteurs européens désireux d’accroître leurs participations dans ce secteur.
 

Mots-clés : transition énergétique, matières premières critiques, fragmentation géo-économique, actionnariat, sécurité économique, autonomie stratégique
JEL classification: Q02, Q5, Q42, L72, G3, Q3
 

Mise à jour le 25 Juillet 2024