Bloc-notes Éco

L’action des banques centrales pour aider l’économie à survivre au Covid-19

Mise en ligne le 15 Avril 2020
Auteurs : Florens Odendahl, Adrian Penalver, Urszula Szczerbowicz

Billet n°157. Le Covid-19 constitue une urgence de santé publique. L’activité économique est suspendue en raison des indispensables mesures de confinement prises presque partout dans le monde. Les mesures ciblées des principales banques centrales adoptées face à cette crise économique ont de nombreux points communs, mais elles diffèrent dans les détails et dans leurs libellés.

Image Calendrier des principales mesures prises par les banques centrales en réponse à la crise du Covid-19
Figure 1 : Calendrier des principales mesures prises par les banques centrales en réponse à la crise du Covid-19 Source : Banque de France.

Note : Le graphique présente un code couleur selon le principal canal de transmission (taux sans risque -rouge- , apport de liquidité aux clients des banques -vert- , soutien aux marchés de capitaux -bleu- , limitation des écarts de rendement -marron- , swaps -jaune- ), cf. texte. (Les mesures peuvent avoir plus d’un canal de transmission).

Le Covid-19 est un coronavirus extrêmement virulent et mortel, qui se propage rapidement. Sans intervention des gouvernements face à la pandémie, les systèmes de santé auraient été submergés de malades nécessitant des traitements lourds.

L’impératif médical d’imposer un confinement partiel ou général de la population a considérablement réduit l’activité économique avec un risque de faillites d’entreprises et une forte hausse du chômage. Dans ces circonstances, assurer un apport supplémentaire et temporaire de liquidité au profit des entreprises et des ménages s’est avéré essentiel. Parallèlement, l’augmentation de la volatilité sur les marchés financiers liée aux besoins en liquidité des investisseurs a nécessité d’autres mesures de politique monétaire ciblées. La figure 1 présente le calendrier des mesures prises par les quatre principales banques centrales du G7 : la Banque Centrale Européenne (BCE), la Banque du Japon (BdJ), la Réserve Fédérale des États-Unis (Fed) et la Banque d’Angleterre (BdA). À l’exception de la BdJ, qui a introduit un paquet de mesures unique, les principales banques centrales ont pris des mesures supplémentaires quand les estimations relatives aux perspectives économiques se sont détériorées.

La crise économique actuelle est différente de la crise financière de 2008...

L’ampleur de la récession causée par le Covid-19 pourrait dépasser celle qui a suivi la faillite de Lehman Brothers en 2008. Son coût final est très incertain et les estimations varient largement (selon le FMI, l'économie mondiale devrait connaître une contraction de 3 % en 2020).

L’une des principales différences par rapport à la crise financière est que les banques et les autres institutions financières sont en meilleure santé et ne sont pas à l’origine du choc. En dépit des très fortes baisses sur les marchés boursiers et de l’augmentation des spreads de risque, le système financier continue de fonctionner sans heurt.

Aujourd’hui, ce sont principalement les entreprises et les ménages des pays dont les systèmes de protection sociale et les dispositifs de chômage partiel sont moins développés qui sont au cœur de la crise. Les mesures de confinement prises à l’échelle mondiale ont suspendu l’activité économique dans l’ensemble des secteurs des services nécessitant une proximité physique, fortement contraint la production et les chaînes d’approvisionnement, et perturbé l’offre de main-d’œuvre partout dans le monde. La perte de revenus et de pouvoir d’achat qui en résulte pour les ménages et les entreprises aggravera la récession (Guerrieri et al., 2020).

Il est normal que les entreprises et ménages sous tension commencent à conserver leurs liquidités. Les entreprises essaient de se faire payer par leurs créanciers mais retardent le paiement de leurs fournisseurs. Or, cela nuit à la situation de liquidité du fournisseur et ainsi de suite. De même, la faillite d’une entreprise est susceptible d’entraîner des faillites en chaîne. De nombreuses entreprises en bonne santé pourraient disparaître avant la fin du confinement, entraînant une augmentation rapide du taux de chômage.

....nécessitant des réponses plus ciblées

Ces circonstances uniques appellent des réponses ciblées de la part des autorités (Gopinath, 2020). L’objectif n’est pas de stimuler aujourd’hui la demande attendue dans le futur, comme le ferait normalement la politique monétaire, dans la mesure où il est inutile d’accroître la demande immédiate lorsqu’il existe une contrainte sur l’offre. L’objectif consiste plutôt à préserver, autant que possible, des entreprises et des emplois viables jusqu’au retour à des conditions normales. La politique monétaire n’empêchera pas une récession économique, mais elle peut alléger son impact économique et contribuer à une reprise rapide.

Les gouvernements ont pris des mesures d’urgence destinées à éviter les licenciements massifs, à autoriser des dispositifs de chômage partiel, à accorder des allègements fiscaux et des garanties de crédit, à soutenir les petites entreprises et à accroître les dépenses publiques de santé.

Les banques centrales du monde entier ont pris des mesures pour soutenir l’économie

Les banques centrales ont également été très actives dans le cadre de leurs mandats en mettant en œuvre diverses mesures à grande échelle en un mois, c’est-à-dire beaucoup plus rapidement que lors des crises précédentes. Bien que les modalités diffèrent selon la structure de l’économie, les mesures convergent globalement, comme le montre le code couleur de la figure 1.

Ces mesures soutiennent les flux de crédit à l’économie via les marchés financiers et le système bancaire, et, cette fois, mettent toutes l’accent sur la nécessité de préserver le financement du secteur des entreprises (en 2008-2009, l’accent était mis sur le financement hypothécaire).

La figure 2, ciblée sur la BCE, montre que ces mesures agissent par le biais de plusieurs canaux distincts : soutien direct à l’économie réelle via la baisse des taux d’intérêt sans risque ; aide aux banques dans l’apport de liquidité à leurs clients, en particulier aux PME ; soutien aux marchés de capitaux et offre de crédit ; maintien de la possibilité de financement en dollars ; et, dans la zone euro, maintien du mécanisme de transmission unique.

Maintien des taux d’intérêt sans risque à un bas niveau (code couleur rouge)

Les banques centrales disposant d’une marge de manœuvre pour le faire ont abaissé leurs taux directeurs à court terme. La Fed et la BdA ont abaissé leurs taux directeurs à ce qu’elles considèrent comme leur plancher effectif, c’est-à-dire 0-0,25 % et 0,1 %, respectivement. La BCE et la BdJ menaient déjà des politiques monétaires très accommodantes avec des taux d’intérêt négatifs, de – 0,5 % et – 0,1 % respectivement.

Même lorsque les taux directeurs à court terme sont déjà à zéro ou négatifs, les banques centrales peuvent encore stimuler la demande en abaissant les taux sans risque à moyen et long terme grâce aux "mesures non conventionnelles". Elles ont par conséquent repris ou étendu leurs achats d’actifs à plus long terme. Outre l’enveloppe de 120 milliards d’euros consacrée à des achats d’actifs supplémentaires dans le cadre de l’APP, la BCE a introduit un programme d’achats d’urgence face à la pandémie (Pandemic Emergency Purchase ProgrammePEPP) de 750 milliards d’euros. La Fed a annoncé un programme d’achats illimités et la BdA un programme de 200 milliards de livres sterling. La Banque de réserve d’Australie a innové en annonçant un programme d’achats d’obligations d’État afin de plafonner à 0,25 % les rendements à trois ans.

Les achats d’actifs à plus long terme font baisser les taux d’intérêt sans risque le long de la courbe, ce qui devrait se répercuter sur les entreprises et les ménages, allégeant ainsi les tensions financières durant cette période et favorisant la reprise lorsque le confinement prendra fin.

Aide aux banques dans la fourniture de liquidité à leurs clients, en particulier aux PME (code couleur vert)

Le deuxième canal consiste à fournir une liquidité abondante aux banques et à les inciter davantage à répercuter cet apport sur leur clientèle. Cette mesure est particulièrement pertinente dans les économies qui ont fortement recours au crédit bancaire comme la zone euro. Pour cela, les banques centrales ont augmenté les montants disponibles dans les opérations de refinancement régulières. Elles ont également renforcé l’incitation pour les banques à consentir des prêts aux entreprises en assouplissant les conditions auxquelles elles peuvent emprunter si elles augmentent leurs crédits (les TLTRO III pour la BCE, le TFSME pour la BdA, et la Main Street Loan Facility (MSELF et MSNLF) ainsi que la Paycheck Protection Program Lending Facility (PPPLF) pour la Fed).

Les banques centrales ont également assoupli les exigences en matière de garanties. Cette mesure permet aux banques de disposer de montants plus élevés via leurs facilités de prêt et soutient les marchés d’actifs concernés.

Aide aux entreprises qui font appel aux marchés de capitaux (code couleur bleu)

Les banques centrales soutiennent également les entreprises qui ont recours aux marchés de capitaux pour leurs financements, en achetant leurs titres. Ces achats font baisser les rendements des titres de dette émis par les entreprises et augmenter la valeur des garanties des entreprises ; indirectement, ils devraient permettre aux grandes entreprises de payer leurs petits fournisseurs. La BCE a relevé les montants des achats réalisés dans le cadre du programme d’achats de titres du secteur des entreprises (CSPP) et effectuera des achats supplémentaires d’obligations émises par les entreprises dans le cadre du PEPP. La Fed a introduit pour la première fois des facilités d’achat d’obligations émises par des entreprises par le biais des facilités de crédit aux entreprises du marché primaire et secondaire (Primary and Secondary Market Corporate Credit Facility), PMCCF et SMCCF respectivement. La BdA a introduit sa facilité de financement des entreprises Covid (Covid Corporate Financing Facility, CCFF).

La BdJ, qui est la seule banque centrale à acheter des actions d’entreprises, a doublé ses achats de fonds négociés en bourse en actions (equity exchange traded funds, ETF).

Maintien du mécanisme de transmission (code couleur marron)

Ces dernières semaines, la transmission des taux contrôlés par les banques centrales aux autres taux d’intérêt a été perturbée et les primes de risque ont très fortement augmenté sur de nombreux marchés. La Fed a directement ciblé les marchés perturbés avec ses programmes de liquidité d’urgence pour les fonds d’investissement monétaires, les États et les administrations locales (via la Municipal Liquidity Facility, MLF) et les émetteurs de billets de trésorerie. La BdA a temporairement augmenté la taille du compte bancaire du gouvernement auprès de la banque centrale (ways and means facility) afin de garantir le bon fonctionnement des marchés monétaires à court terme.

Dans la zone euro, des disparités sont apparues entre pays membres dans les conditions de refinancement des États, des banques et des entreprises, menaçant la politique monétaire unique. Afin de remédier à ces disparités, le PEPP permet "des fluctuations dans la répartition des flux d’achats dans le temps, entre les catégories d’actifs et entre les pays".

Maintien des flux de financement en dollars (code couleur jaune)

Les banques centrales ont également coopéré en vue d’assouplir l’approvisionnement mondial en dollars en améliorant les modalités de leurs lignes de swap permanentes et en effectuant des opérations de repo avec la Fed (FIMA) (cf. Corsetti et al. (2020) pour une analyse récente des flux en dollars).

En agissant rapidement et avec des instruments visant à alléger les contraintes de financement pesant sur les entreprises, les banques centrales du monde entier aident les gouvernements, les entreprises et les ménages à surmonter cette période exceptionnellement difficile.

Image Flux stylisés relatifs aux interventions de politique monétaire
Figure 2 : Flux stylisés relatifs aux interventions de politique monétaire
Source : Banque de France.
Note : Le graphique présente les flux stylisés des mesures de politique monétaire de la BCE (même code couleur que la figure 1). Les flèches orange indiquent les effets recherchés par les mesures prises.