Bloc-notes Éco

La hausse du refinancement au Royaume-Uni vue de la zone euro

Mise en ligne le 13 Mars 2025
Auteurs : Adrian Penalver, Carlos Mateo Caicedo Graciano, Quentin Plasson

Billet de blog 395. Les tirages aux opérations de refinancement à court terme (Short Term Repo, STR) de la Bank of England se sont fortement accrus en lien avec l’augmentation des taux de marché dans un contexte de resserrement quantitatif. En zone euro, il n’y a pas de phénomène similaire à ce stade, en raison du prix relatif du financement via la banque centrale par rapport aux alternatives de marché. Mais l’expérience britannique offre un éclairage utile pour l’Eurosystème.

Graphique 1 : Position de liquidité et tirage à l’opération principale de refinancement en zones Euro et Sterling

Image Graphique 1 : Position de liquidité et tirage à l’opération principale de refinancement en zones Euro et Sterling Thématique Monnaie Catégorie Bloc-notes Éco
Source : Eurosystème et Bank of England

Note : Le volume de liquidités correspond au total des réserves bancaires excédentaires. Les opérations de refinancement sont la MRO (Main refinancing operations) pour la zone euro et STR pour la zone sterling.

Cadre opérationnel de politique monétaire et pilotage des taux

 
Les réserves bancaires, ou « liquidités », sont des dépôts détenus par les institutions financières auprès de leur banque centrale. Elles sont créées lorsque cette dernière achète des titres ou accorde des prêts à ses contreparties. Depuis le lancement des programmes d’assouplissement quantitatif et des opérations de refinancement à long terme, notamment après la Grande Crise Financière, le volume de réserves a considérablement augmenté générant un excédent de liquidités bien supérieur aux besoins des banques. Ce surplus a fait baisser les taux interbancaires à leur niveau plancher : le taux de la facilité de dépôt en zone euro (DFR), le taux appliqué aux réserves au Royaume-Uni (Bank Rate). Ce cadre opérationnel est appelé « supply-driven floor » : les taux sont pilotés par la banque centrale au niveau du plancher grâce à l’excès d’offre de liquidités.

Dans le nouveau contexte macroéconomique, avec le remboursement des prêts de long terme (TLTRO III en zone euro) et la mise en place du resserrement quantitatif, la quantité de liquidités diminue dans un environnement où la demande agrégée de réserves reste incertaine. La plupart des banques centrales ont choisi de maintenir leur cible de taux au plancher, un pilotage considéré comme plus précis, mais sont dès lors obligées de mettre à jour leur cadre opérationnel. La FED a choisi de rester dans un « supply-driven floor » en fournissant juste assez de liquidités pour maintenir les taux proches du plancher. Au contraire, la BoE est en transition vers un « demand-driven floor » dans lequel les banques peuvent se refinancer au même taux que celui appliqué aux réserves. Dans le nouveau cadre opérationnel annoncé en mars 2024, l’Eurosystème a retenu une approche intermédiaire quoi que plus proche de celle de la BoE car les opérations de refinancement seront l’instrument principal pour ajuster la quantité de liquidités.

 
La hausse des tirages à la STR s’inscrit dans la transition de la BoE vers un pilotage par la demande


Introduite en août 2022 par la BoE, la STR est une opération de prise en pension de maturité 7 jours permettant aux banques de se refinancer en sterling à taux fixe et en allocation intégrale contre du collatéral de haute qualité, essentiellement des obligations souveraines britanniques (Gilts). Conçue pour devenir un instrument central de pilotage des taux d’intérêt, la STR enregistre une augmentation soutenue des tirages (de 2,2 à 41,0 Mds de Sterling entre janvier et décembre 2024) qui s’explique par les dynamiques d’offre et de demande de réserves et par un prix avantageux. D’un côté, la BoE a entamé un resserrement quantitatif actif marqué par le non-réinvestissement des obligations arrivant à maturité, puis le lancement d’un programme de vente de ses titres. De l’autre, la demande de réserves demeure élevée compte tenu des exigences prudentielles en matière de liquidité introduites en 2015 dans le cadre de Bâle III.
 
Ceci crée une pression à la hausse sur les taux du marché monétaire. L’écart (spread) entre le SONIA (Sterling Overnight Interest Average, taux à 1 jour du marché monétaire non collatéralisé) et le Bank Rate s’est réduit de 2pb depuis janvier 2023, et le taux du marché collatéralisé (RFR Sterling) est passé au-dessus du Bank Rate avec un spread de +2pb aujourd’hui contre -16pb au premier trimestre de 2023 (cf. graphique 2). Or le prix de la STR est le Bank Rate, ce qui incite les banques à augmenter la part de leur financement via la BoE les jours d’adjudication, en raison de son coût compétitif, et contribue à réduire le stigma associé à l’emprunt auprès de la Banque centrale. 
La BoE a accompagné cette évolution par sa communication en indiquant explicitement qu’il s’agit d’un mode de financement normal dans le nouveau cadre opérationnel. La BoE souhaite également que les banques se préparent à une gestion de la liquidité plus durable en utilisant davantage les opérations à long terme, ce qui est crucial alors que l’excès de réserves dans le système financier britannique diminue.


Graphique 2 : Volume de tirage à la STR & Spread RFR Sterling-Bank Rate
 

Image Graphique 2 : Volume de tirage à la STR & Spread RFR Sterling-Bank Rate Thématique Taux et cours Catégorie Bloc-notes Éco
Source : Bloomberg et Bank of England

Note : Le spread RFR Sterling – Bank Rate est lissé (moyenne mobile sur 1 mois).

La MRO de l’Eurosystème ne connaît pas de hausse équivalente car son prix est moins attractif


Les cycles de liquidités des zones sterling et euro sont synchronisés. En janvier 2022, juste avant le début des politiques de resserrement quantitatif, les volumes de liquidités excédentaires dans les deux zones représentaient environ 28% de M3, un agrégat représentatif de la masse monétaire au sens large en circulation hors réserves bancaires. Cette proportion a progressivement diminué pour atteindre respectivement 20% et 17% en décembre 2024, comme illustré dans le graphique 3.

Pourtant, les tirages aux opérations principales de refinancement (MRO) de l’Eurosystème ne connaissent pas d’augmentation équivalente à ceux de la STR (ils demeurent inférieurs à 0,05% de M3, cf. graphique 1). Cela s’explique par le fait que l’écart entre le taux de la MRO et celui de la facilité de dépôt (DFR) est non nul (50pb puis 15pb depuis le 18 Septembre) contrairement au Royaume-Uni, où il n’y a pas d’écart. Une autre différence réside dans la disponibilité des titres utilisés comme collatéral sur le marché repo. Les programmes d’achat d’actifs ont contribué à réduire la disponibilité des titres renforçant le pouvoir de marché des emprunteurs dans le cadre de transactions repo cash (abondant) contre titres (peu abondants). Cette dynamique a accru la pression à la baisse sur les taux repo, notamment pour les titres souverains très recherchés. Par exemple, les transactions contre collatéral souverain allemand ont traité jusqu’à -52 bps en-dessous de la DFR en septembre 2022. Depuis, la réduction progressive du bilan de l’Eurosystème, l’augmentation des émissions nettes de dettes souveraines et la fin des TLTRO III permettent de libérer du collatéral et conduisent à une augmentation des taux repo. Toutefois, ceux-ci demeuraient, en décembre 2024, en-dessous ou autour du DFR, y compris pour des transactions contre des titres moins recherchés par le marché, dits « non spécifiques ». Par conséquent, là où les taux non collatéralisé et collatéralisé britanniques évoluent respectivement proche et au-dessus du taux de la STR, les taux €STR (Euro Short Term Rate, c.-à-d. le taux de référence du marché monétaire non collatéralisé au jour le jour) et RFR Euro (collatéralisé) sont largement inférieurs au taux de la MRO (resp. -23pb et -17pb fin 2024), de sorte que les opérations de crédit demeurent marginales dans le total de liquidités injectées par l’Eurosystème.

Graphique 3 : Synchronisation des volumes de liquidités en zones euro et sterling
 

Image Graphique 3 : Synchronisation des volumes de liquidités en zones euro et sterling Thématique Monnaie Catégorie Bloc-notes Éco
Source : Eurosystème et BoE

Note : La notion de liquidités excédentaires est sans objet en zone sterling car la BoE n’impose pas à ses contreparties de constituer des réserves obligatoires.

Un éclairage utile pour la révision du cadre opérationnel de l’Eurosystème

 
Dans le nouveau cadre opérationnel annoncé en mars 2024, l’Eurosystème continuera de piloter les taux monétaires au niveau du plancher. Les besoins de liquidités seront couverts à travers une gamme étendue d’instruments parmi lesquels les opérations principales de refinancement doivent jouer un rôle de plus en plus important. Ainsi, a-t-il été décidé, afin de renforcer leur attractivité, de réduire le spread entre le taux MRO et le DFR à 15pb à partir du 18 septembre 2024. Une augmentation des tirages à la MRO n’est pas anticipée immédiatement : l’excédent de liquidités demeure supérieur à ce qui est nécessaire pour maintenir les taux au niveau du DFR (« Floor Required Excess Liquidity », FREL) même si l’estimation de ce niveau est incertaine. Néanmoins, la MRO comporte des facteurs d’attractivité qui rendent possible une augmentation des tirages avant que les taux de marché n’atteignent le taux MRO. Contrairement à la STR, le cadre de collatéral de la MRO est large car il inclut des titres de moindre qualité dit « non-HQLA » (« non-High quality liquid assets »), par exemple des créances privées. Dès lors, l’arbitrage entre transaction de marché et MRO ne dépend pas seulement de leur prix car la MRO permet aux banques de transformer du collatéral non-HQLA en réserves – qui sont HQLA et éligibles au calcul du Liquidity Coverage Ratio –, un service qui peut justifier quelques points de base de plus qu’une transaction repo sur collatéral HQLA.

Pour finir, la hausse progressive des tirages à la STR montre que la transition d'une situation de surabondance de liquidités vers une gestion de trésorerie plus active via le marché interbancaire et le recours aux opérations de refinancement ne sera pas brutale. L’Eurosystème réévaluera les principaux paramètres de son cadre opérationnel en 2026, avec la possibilité de les ajuster plus tôt si nécessaire, afin de garantir une transition la plus souple possible.

Tableau 1 : Éléments de vocabulaire et de comparaison entre les deux cadres opérationnels 

 

  Zone euro Zone sterling
Taux représentatif du marché monétaire non collatéralisé
(au jour le jour)
Euro short-term rate (€STR) Sterling Overnight Index Average (SONIA)
Opération principale de refinancement auprès de la banque centrale Main Refinancing Operations (MRO) Short term repo (STR)
Taux appliqué aux réserves Taux de la facilité de dépôt (DFR), soit 15 points de base en dessous du taux de la MRO Bank rate

 

 

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Mise à jour le 13 Mars 2025