Bloc-notes Éco

La crise du COVID-19 et le risque d’une génération sacrifiée

Mise en ligne le 6 Décembre 2021
Auteurs : Jean-Baptiste Lézat-Eiffel

Billet n°242. 1er prix du concours 2021 Bloc-Notes Eco
Alors que les jeunes sont la catégorie de la population la moins affectée par le virus, ils sont parmi les plus touchés par les conséquences économiques de la crise. Il est nécessaire de simplifier les dispositifs de soutien financier à destination des jeunes pour en faciliter l’accès, et les réorienter vers davantage de moyens en faveur de l’autonomie et de l’insertion.

Image Graphique 1 : Situation des jeunes au regard de l’emploi et de la formation selon l’âge, en moyenne annuelle entre 2015 et 2019 Source : INSEE, enquêtes Emploi 2015 à 2019. Champ : France hors Mayotte, personnes vivant en logement ordinaire. Note : en moyenne annuelle entre 2015 et 2019,1,5% des jeunes de 15 ans ne sont ni en emploi, ni en études, ni en formation (NEET).
Graphique 1 : Situation des jeunes au regard de l’emploi et de la formation selon l’âge, en moyenne annuelle entre 2015 et 2019 Source : INSEE, enquêtes Emploi 2015 à 2019. Champ : France hors Mayotte, personnes vivant en logement ordinaire. Note : en moyenne annuelle entre 2015 et 2019,1,5% des jeunes de 15 ans ne sont ni en emploi, ni en études, ni en formation (NEET).

Une génération aux difficultés exacerbées par la crise

Une population hétérogène marquée par des difficultés structurelles

Le parcours et l’insertion socio-professionnelle des jeunes dépendent de variables sociales (milieu social), territoriales (quartiers prioritaires, départements et régions d’outre-mer…) et personnelles. Toutefois, ils ont en commun des contraintes et des incertitudes qu’on ne retrouve nulle part ailleurs dans la population.

Selon l’INSEE, plus de la moitié des personnes pauvres (au niveau de vie inférieur à 50% du revenu médian) en France ont moins de 30 ans. Un jeune sur cinq de 15 à 24 ans est au chômage et les jeunes salariés sont surreprésentés dans les emplois à durée limitée (CDD, intérim, apprentissage) ou dans le sous-emploi. Enfin, en 2019, les jeunes qui ne sont ni en études, ni en emploi, ni en formation (NEET) constituent un groupe à part : 12,9% de la classe d’âge des 15-29 ans, soit près d’un d’1,5 million de jeunes, (graphique 1). Si la part de NEET a augmenté avec la crise sanitaire pour atteindre 13,5 % en 2020, elle s’établit au troisième trimestre 2021 à 11,6%, un niveau encore élevé mais légèrement inférieur à son niveau d’avant crise, principalement en raison de la progression de l’emploi des jeunes.

La crise accentue les difficultés des jeunes

La crise augmente ces difficultés par deux canaux principaux : la perte de revenu et la compromission de l’insertion professionnelle. D’abord, "82% des étudiants avec un emploi rémunéré ont connu des difficultés financières depuis le début de la crise sanitaire" (IPSOS, Mai 2021). Plus grave encore, 58% des étudiants qui avaient une activité rémunérée l’ont perdue, réduite ou changée avec le confinementun chiffre sous-évalué à cause du caractère souvent informel de ces activités (ex : baby-sittings). La perte induite par les restrictions sanitaires s’élève en moyenne à 274€ par mois pour ces étudiants alors que les ressources mensuelles moyennes des étudiants s’élèvent à 919€ (OVE, 2021).

Dans un climat économique incertain, les jeunes ont été les premières victimes de la contraction du marché du travail. Selon près de 6000 étudiants interrogés, la crise a par ailleurs remis en cause les projets de stage et de mobilité internationale de nombre d’entre eux et 57% estiment que la poursuite de leurs études sera affectée négativement par cette période de confinement (OVE, 2020).

Alors qu’ils constituent un sésame vers l’emploi, les stages se sont raréfiés (-22% en 2020 selon la DARES). La qualité de ces expériences a aussi été altérée, le télétravail perturbant notamment la transmission de soft skills essentiels. De plus, le report d’une part des stages qui n’ont pas pu avoir lieu entre en collision avec l’afflux de jeunes sur le marché du travail, le stage bénéficiant d’un avantage économique pour l’entreprise. L’insertion professionnelle des jeunes se trouve donc entravée par la crise, ce qui peut leur porter préjudice à long-terme si ce chômage se prolonge (perte de compétences) ou affaiblit leur profil.

L’accroissement du chômage des jeunes est lourd de conséquences.  En effet, les jeunes ayant connu le chômage sont plus susceptibles d’y être confrontés de nouveau et sont moins bien rémunérés que les personnes trouvant facilement un emploi, cet écart de revenu pouvant atteindre 20% et s’étaler sur une vingtaine d’années (Morsy, 2012). Pendant la crise financière de 2008, la hausse du chômage avait produit une hausse des inégalités de revenus dans les économies avancées, notamment parce qu’il a surtout affecté les jeunes et les peu diplômés, déjà en difficulté. Ces inégalités sont préjudiciables entre autres à la croissance économique: la propension à consommer des plus pauvres étant plus élevée que celle des plus riches, la concentration des richesses dans les ménages les plus aisés peut aboutir à une limitation de la consommation, ce qui nuit aussi à l’investissement.

Les mesures à destination de la jeunesse doivent pallier les difficultés conjoncturelles, mais aussi répondre aux difficultés structurelles

Une nécessaire simplification des dispositifs

La simplification des dispositifs existants renforcerait leur efficience. Avec plus de 120 critères d’âges dans les dispositifs publics destinés aux jeunes et avec nombre d’initiatives aux conditions, gouvernances et objectifs divers, ceux-ci affichent un taux élevé de non-recours et peuvent entretenir une défiance vis-à-vis de l’administration (graphique 2).

Image Graphique 2 : % des 18-30 ans interrogés ayant répond oui à la question : « Avez-vous entendu parler des prestations suivantes ? » Source : Injep-Credoc, Barometre Djepva sur la jeunesse, 2016. Champ : ensemble des 4000 jeunes interrogés âgés de 18 à 30 ans
Graphique 2 : % des 18-30 ans interrogés ayant répond oui à la question : « Avez-vous entendu parler des prestations suivantes ? » Source : Injep-Credoc, Barometre Djepva sur la jeunesse, 2016. Champ : ensemble des 4000 jeunes interrogés âgés de 18 à 30 ans

Le dispositif 1 jeune 1 solution est une innovation utile dont un des programmes, l’Aide à l’Embauche des Jeunes, a permis, non pas tant une augmentation de l’emploi des jeunes qu’une amélioration de la qualité et de la stabilité de leur emploi. Pour aller plus loin, la diffusion, dans le cadre scolaire, de supports informant les jeunes de leurs droits, la mise en place de "rendez-vous des droits", la poursuite de la dématérialisation des démarches (en accompagnant par ailleurs les personnes victimes d’illectronisme), ou encore la fusion d’un maximum de seuils d’âge pour les dispositifs à destination des jeunes sont nécessaires. La mise en place de "one stop shop", des stands éphémères dans les universités et écoles pour informer et rassembler toutes les démarches ouvertes aux jeunes en un seul point est une idée qui a fait ses preuves en Finlande.

Il faut donner aux jeunes les moyens de l’autonomie et de l’insertion

Plusieurs solutions ont été proposées pour répondre au besoin de formations des jeunes et à l’absence de minimum social avant 25 ans, leur donner une autonomie effective et les moyens de réussir.

Même avant la crise, un tiers des jeunes déclarait envisager une autre orientation à cause du coût des études, une proportion, que l’accroissement de la précarité des jeunes risque d’augmenter. Aussi, l’idée d’un capital jeunes est-elle revenue dans le débat public. Elle se concrétiserait par un prêt de 10 000€ garanti par l’État, remboursable sur 30 ans dès que le jeune atteindrait un certain niveau de revenu. Il s’agirait là d’une transformation du modèle de soutien de la jeunesse, où la lutte contre la précarité des jeunes ne passerait plus seulement par l’assistance des parents ou des jeunes, mais par leur autonomisation par la constitution d’un patrimoine à même de leur donner les moyens de leurs ambitions. En revanche, le capital jeunes maintient une inégalité en faisant peser sur les plus modestes le poids d’un emprunt peu après leur entrée en vie active. Par ailleurs, s’il sert à financer les études, il est indispensable d’empêcher qu’il se traduise par une hausse des frais de scolarité comme cela a pu être le cas aux États-Unis ou au Royaume-Uni lors du développement massif des prêts étudiants.

Une autre possibilité est l’universalisation de la garantie jeunes : ce dispositif gagnerait à être largement étendu pour s’adresser à tous les jeunes en recherche d’emploi ou de formation et à adapter dans la durée, l’intensité et les modalités de son accompagnement à chaque profil. La garantie jeunes a l’avantage de conjuguer un accompagnement adapté vers l’emploi avec une allocation de 500€ par mois et pourrait également opérer la fusion des multiples dispositifs existants d’aide aux jeunes.

Enfin, l’exemple danois est une piste à étudier : une aide d’État est accordée aux étudiants sous condition de suivi assidu d’une formation reconnue. Son montant varie selon le lieu de résidence de l’étudiant, ses compléments éventuels de revenus salariaux ou encore selon la date de début de ses études. Cette solution illustre que les dépenses publiques pour les jeunes ne sont pas tant une assistance qu’un investissement.