Depuis septembre 2014 (ligne verticale en pointillé), aucun commentaire sur les risques pour l’inflation sauf pour la période de septembre 2015 à mars 2016 (risques à la baisse). La baisse de la DFR du 8 octobre 2008, annulée le lendemain, n’apparaît pas ici.
Quelle est la balance des risques de la BCE pour la stabilité des prix et la croissance ?
« Les risques pesant sur les perspectives de croissance de la zone euro restent orientés à la baisse », selon la dernière évaluation des perspectives économiques présentée par le président de la BCE, Mario Draghi, lors de la conférence de presse du 25 juillet dernier. Cette forme de communication relative à la balance des risques indique la perception par le Conseil des gouverneurs de la BCE des risques pesant sur l’inflation et/ou la croissance du PIB dans un avenir prévisible. La balance des risques représente le jugement qualitatif du Conseil des gouverneurs, tout en restant implicitement liée aux projections macro-économiques trimestrielles pour la zone euro établies par la BCE et les services de l’Eurosystème. Ces projections font généralement état d’incertitudes ou de risques entourant les perspectives de croissance et d’inflation. Le Conseil des gouverneurs indique s’il considère ces risques comme équilibrés, orientés à la hausse ou à la baisse. La BCE commente l’équilibre des risques lors de la conférence de presse qui suit les réunions de politique monétaire, dans la déclaration introductive lue par son président.
Le vocabulaire employé par le Conseil des gouverneurs pour commenter la balance des risques peut changer au cours du temps. Ainsi, une déclaration sur les risques pour la stabilité des prix peut être libellée comme suit « le scénario central concernant l’évolution des prix à moyen terme est conforme à la stabilité des prix » ou « des risques à la hausse pour la stabilité des prix existent à moyen terme ». Concernant la croissance, la formulation peut être « Les risques pesant sur la croissance économique semblent globalement équilibrés à court terme » ou « les risques associés aux perspectives de croissance économique sont orientés à la baisse ». L’horizon sur lequel les risques sont évalués peut également varier. Les risques pour la stabilité des prix sont généralement évalués à moyen terme, alors que l’horizon des risques pour la croissance peut varier du court au moyen terme.
Nous avons minutieusement collecté et analysé les évaluations qualitatives de la BCE concernant la balance des risques pour la stabilité des prix et la croissance entre juin 2003 et juin 2019. Avant juin 2003, la balance des risques pour la croissance n’était communiquée que sporadiquement. En revanche, depuis septembre 2014, la balance des risques sur l’inflation n’est plus systématiquement communiquée. Nous distinguons plusieurs types de périodes (graphique 1) : risques à la hausse pour l’inflation (en rouge), risques à la baisse pour la croissance (en bleu), risques à la hausse pour l’inflation et risques à la baisse pour la croissance (en rouge clair) et périodes de risques à la baisse à la fois pour l’inflation et pour la croissance (en bleu foncé). Les périodes durant lesquelles les risques tant pour la stabilité des prix que pour la croissance sont jugés équilibrés restent en blanc. Rarement, lorsque la formulation de l’évaluation des risques était ambiguë, nous avons dû trancher. Selon notre analyse, la BCE n’a jamais communiqué sur des risques à la hausse pour la croissance.
L’évolution de la balance des risques montre que, du milieu à la fin des années 2000, le Conseil des gouverneurs de la BCE estimait que les risques pour la stabilité des prix étaient à la hausse (graphique 1). Cette situation était principalement due aux fluctuations du prix du pétrole, pouvant potentiellement entraîner des effets de second tour sur l’inflation résultant du processus de fixation des salaires et des prix. Pendant ces années, on observe également des périodes durant lesquelles des risques haussiers pour la stabilité des prix ont coïncidé avec des risques baissiers pour la croissance. Ainsi, en 2008, la BCE estime que « les perspectives économiques sont soumises à des risques accrus à la baisse […] les risques à la hausse pesant sur la stabilité des prix ont quelque peu diminué, mais ils n’ont pas disparu . » À partir de septembre 2011, la BCE a fait état de risques baissiers sur la croissance (avec une pause de mi-2017 à fin 2018). Depuis septembre 2014, la BCE a cessé de commenter les risques pesant sur la stabilité des prix, sauf de septembre 2015 à mars 2016, période au cours de laquelle elle a jugé que ces risques étaient à la baisse.
Quel est la relation entre la balance des risques et les décisions de la BCE en matière de taux directeurs?
Pour répondre à cette question, nous avons étudié l’évolution de la balance des risques pesant sur la stabilité des prix et sur la croissance en relation avec celle de deux taux directeurs de la BCE, le taux des opérations principales de refinancement (main refinancing operations rate, MRO) et le taux de la facilité de dépôt (deposit facility rate, DFR) entre juin 2003 et juin 2019. Notons toutefois que, dans cette analyse, nous avons tenu compte uniquement des changements des taux d’intérêt en examinant la relation entre la balance des risques de la BCE et ses décisions de politique monétaire. Dans un souci de simplicité, nous n’avons donc pas considéré un possible lien entre la balance des risques et les décisions concernant les outils de politique monétaire non conventionnels, tels que la forward guidance ou le programme d’achat d’actifs (Asset Purchase Programme). Ces derniers ont été introduits pour faire face aux risques d’une période trop prolongée de faible inflation alors que les taux directeurs étaient proches de leur plancher effectif (effective lower bound).
Globalement, le graphique 1 montre que les parties en rouge sont associées à des hausses des taux d’intérêt et les parties en bleu à des baisses des taux. De manière plus détaillée, le tableau 1 croise plusieurs combinaisons de balance des risques avec le nombre de décisions par la BCE de baisser, relever ou maintenir inchangé le taux MRO. Quelques constantes se dégagent : a) aux risques à la hausse pour l’inflation sont associées des périodes de hausses des taux d’intérêt ; b) aux risques à la baisse pour la croissance sont associées des périodes de baisses des taux ; et c) lorsque les évaluations des risques pesant sur la croissance et l’inflation sont de sens opposé (risque à la hausse pour l’inflation et risque à la baisse pour la croissance), on observe quelques hausses des taux mais aucune baisse.
Ce dernier constat suggère que les risques pour la stabilité des prix auraient plus de poids que ceux pesant sur la croissance, en cohérence avec le mandat de la BCE. Le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne fait de la stabilité des prix l’objectif principal de l’Eurosystème, mais indique également que « sans préjudice de l’objectif de stabilité des prix », l’Eurosystème apporte également son soutien aux politiques économiques générales dans l’Union, y compris « un niveau d’emploi élevé » et « une croissance économique équilibrée ».