Bulletin de la Banque de France

Inflation et activité économique aux États-Unis : le retour de la courbe de Phillips ?

Mise en ligne le 26 Avril 2024
Auteurs : Nicolas Châtelais, Annabelle De Gaye

Bulletin n°251, article 4. La dynamique de l’inflation américaine post-Covid a ravivé les interrogations sur le lien entre inflation et cycle économique (dit « courbe de Phillips », 1958). Les ruptures d’approvisionnement, le rebond de la demande après les confinements et la pénurie de main d’œuvre dans certains secteurs ont bouleversé la dynamique de l’inflation. Afin d’illustrer ces mécanismes et les incertitudes qui en découlent, nous estimons plusieurs courbes de Phillips avec différentes métriques d’inflation et de cycle, avec ou sans contraintes d’approvisionnement. Nous trouvons en moyenne une légère hausse de la sensibilité de l’inflation au cycle, même en incluant des contraintes d’offre. Un exercice de projection montre le rôle important du relâchement des contraintes d’approvisionnement, à côté de la politique monétaire, dans le repli de l’inflation en 2023 et 2024. Le reste du chemin pour ramener l’inflation à la cible de la Fed fin 2025 dépendrait des évolutions sur le marché du travail, et notamment d’un repli des postes vacants.

Image Inflation et activité économique aux États-Unis : le retour de la courbe de Phillips
Sensibilité de l’inflation américaine au cycle économique

Les dix années précédant la pandémie ont vu une inflation peu volatile dans les pays avancés notamment aux États-Unis. Cette période a alimenté divers travaux académiques sur l’aplatissement de la courbe de Phillips (qui décrit la relation positive entre l’inflation réalisée et l’activité économique passée). Certains ont été jusqu’à affirmer que cette relation n’exis¬tait plus (« dead Phillips curve » ; cf. Ratner et Sim, 2022). La forte hausse et la persistance de l’inflation post-Covid a remis en cause les analyses précédentes, questionnant l’aspect structurel ou transitoire des tendances récentes. Cet article revient sur les dynamiques de l’inflation et ses potentiels déterminants. Il décrit par ailleurs quelques éléments du débat sur la courbe de Phillips, en les illus¬trant à l’aide d’estimations.

1 Une dynamique d’inflation américaine très perturbée après la pandémie

Une dynamique asynchrone des prix des biens et services

En un an et demi, période post-Covid, l’inflation améri¬caine s’envolait. Celle-ci, mesurée par l’indice des prix à la consommation (IPC), passait ainsi de 1,3 % à 9 % entre décembre 2020 et juin 2022. Cette augmentation de 7,7 points de pourcentage (pp) s’est accompagnée d’une hausse de 5 pp de l’inflation sous-jacente qui attei¬gnait 6,3 % (cf. graphique 1 a). Depuis, l’inflation totale et sous-jacente s’est repliée, à respectivement 3,4 % et 3,9 % en décembre 2023. 
Post-Covid, l’inflation des biens a augmenté plus rapi¬dement que celle des services, du fait des ruptures d’approvisionnement dans le commerce des biens (et son impact sur des segments symptomatiques comme les voitures d’occasion) et de la déformation de la consom¬mation en faveur des biens. L’inflation des services a suivi dans un second temps, tirant à la hausse l’inflation sous-jacente (cf. graphique 1 b) et ceci de manière plus persistante. En 2023, la dynamique s’est inversée : un repli de l’inflation des biens, revenue à 0 % fin 2023, sous l’effet de la fin des problèmes d’approvisionnement, mais une persistance de l’inflation des services à 5,3 % en partie due aux loyers. Hors loyers, l’inflation des services est revenue à 3,4 % en décembre, soit 1,3 pp au-dessus de sa moyenne pré-Covid 2010-2019).

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