Bloc-notes Éco

Inégalités de revenu entre départements français : un recul séculaire

Mise en ligne le 7 Mai 2021
Auteurs : Florian Bonnet, Hippolyte d’Albis, Aurélie Sotura

Billet n°215. Depuis cent ans, les écarts de revenus interdépartementaux par adulte n’ont cessé de diminuer. La diagonale des faibles revenus, autrefois très marquée du nord-ouest au sud-est, a laissé place à une "diagonale des faibles densités de population" qui s’étend aujourd’hui du nord-est au sud-ouest.

Image Coefficient de Gini du revenu par adulte entre les 90 départements, 1922-2015
Graphique 1. Coefficient de Gini du revenu par adulte entre les 90 départements, 1922-2015 Source : archives fiscales et calculs des auteurs.

Note : L’indicateur de Gini rend compte de la distribution des revenus dans une population ; il varie entre 0 (l’égalité parfaite des revenus) et 1 (cas limite ou un seul individu disposerait de la totalité des revenus). Les coefficients de Gini des revenus fiscaux moyens par adulte des départements de la France métropolitaine sont calculés avant et après impôt sur le revenu, sans pondération de la population (afin de se focaliser sur les différences entre départements et ne pas supposer implicitement que les revenus sont également distribués au sein d’un département).

La question des inégalités spatiales suscite un intérêt grandissant. Ce que l’on qualifie parfois de fracture territoriale décrit un processus de divergence entre des métropoles participant toujours plus à la création de richesse et le reste du territoire. La désindustrialisation et l’avènement d’une économie des services et de la connaissance participe à une polarisation de l’activité sur certains territoires. Ce billet apporte une perspective historique à cette évolution grâce à une reconstitution inédite des inégalités interdépartementales de revenu depuis 1922.

L’échelle du département est utile et pertinente. Utile, car leur périmètre est relativement stable depuis leur création en 1789, ce qui facilite la comparaison historique des données statistiques qui leur sont associées. Pertinente, car c’est à cet échelon que se déploient certaines politiques de développement territorial dans les domaines sanitaires, sociaux, éducatif et de l’aménagement.

Des inégalités entre départements en baisse depuis cent ans

Notre périmètre géographique porte sur 90 départements car nous excluons les départements d’outre-mer et nous conservons les départements d’Ile-de-France et de Corse dans leur définition antérieure aux scissions des années 1960 (passage de 3 à 8 départements dans la régions parisienne) et 1970 (passage d’un à deux départements en Corse).

Pour chaque département, nous avons collecté et numérisé dans les archives et publications officielles du ministère des Finances, le nombre de foyers fiscaux imposables, le revenu imposable que ces derniers ont déclaré ainsi que le montant total d’impôt qu’ils ont acquitté. Nous faisons appel également aux distributions départementales de revenu par foyer fiscal pour les périodes 1960-1969, 1986-1998 et 2001-2015 calculées par Bonnet et Sotura (2020). Enfin, nous utilisons les populations départementales par âge annuelles calculées par Bonnet (2020). Nous reconstruisons à partir de ces statistiques le revenu fiscal moyen – nominal hors parité de pouvoir d’achat – par département, avant et après paiement de l’impôt sur le revenu, pour chaque année depuis 1922.

Les inégalités interdépartementales de revenu fiscal moyen sont clairement à la baisse depuis un siècle (cf. Graphique 1). En début de période, le coefficient de Gini était supérieur à 0,14 tandis qu’il est aujourd’hui inférieur à 0,06. On observe deux périodes de baisse quasi continue : entre 1922 et 1939 et entre 1948 et 2015. Entre 1948 et 1990, la diminution se fait à un rythme quasi constant de 1,4% par an. On constate ensuite un ralentissement : depuis 2000, la baisse se poursuit mais est en moyenne de 0,3% par an.

D’une diagonale des faibles revenus à une diagonale des faibles densités

Comment s’est traduite cette convergence, département par département ? En 1922, le nord de la France était particulièrement riche : à l’exception du Pas-de-Calais, tous les départements bénéficiaient d’un revenu fiscal moyen supérieur à la moyenne nationale, avec un maximum atteint dans les départements de la Seine et de la Seine-et-Oise (cf. Graphique 2). Les départements limitrophes (Eure, Eure-et-Loir, Loiret, Meuse, Haute-Marne et Côte-d’Or) présentaient un revenu fiscal moyen proche de la moyenne nationale. Au sud de cette zone, la quasi-totalité des départements se caractérisaient par un revenu fiscal moyen inférieur à 90 % de la moyenne nationale. Les zones géographiques où la faiblesse des revenus était la plus marquée (soit un revenu fiscal moyen inférieur à 75% de la moyenne nationale) se trouvaient en Bretagne, dans le Sud-Ouest ainsi que dans les Alpes du Sud et la Corse. Au sud, les exceptions significatives étaient le Rhône et les Bouches-du-Rhône, abritant de grandes métropoles régionales, ainsi que les Alpes-Maritimes.

Image Revenus moyens relatifs des départements en 1922
Graphique 2. Revenus moyens relatifs des départements en 1922 Source : archives fiscales et calculs des auteurs. Note : Le revenu fiscal moyen par adulte est calculé relativement aux 90 départements métropolitains en 1922. Une couleur foncée indique un revenu fiscal faible par rapport à la moyenne nationale.

En 1948, la géographie des revenus en France n’a pas tellement changé (Graphique 3). Globalement, les départements avec un revenu fiscal moyen supérieur à la moyenne nationale se trouvent toujours au nord de la France. Cette zone est néanmoins beaucoup moins homogène qu’en 1922 ; des départements tels que la Somme, l’Aisne, la Marne ou l’Aube souffraient d’un revenu fiscal moyen inférieur à la moyenne nationale, tandis que des départements frontaliers de la Suisse tels que le Doubs ou le Haut-Rhin bénéficiaient d’un revenu fiscal moyen supérieur à la moyenne nationale. Au sud-ouest, tous les départements ou presque se caractérisaient par un revenu fiscal moyen inférieur à la moyenne nationale. Une vaste zone homogène s’étirant de la Bretagne jusqu’au sud des Cévennes présentait également un revenu très inférieur à la moyenne nationale. Les Bouches-du-Rhône et le Rhône étaient toujours des exceptions, et on notait l’émergence de la Loire, qui abrite Saint-Etienne et ses industries.

Image Revenus moyens relatifs des départements en 1948
Graphique 3. Revenus moyens relatifs des départements en 1948 Source : archives fiscales et calculs des auteurs. Note : Le revenu fiscal moyen par adulte est calculé relativement aux 90 départements métropolitains en 1948. Une couleur foncée indique un revenu fiscal faible par rapport à la moyenne nationale.

Quelle est la situation des départements en 2015 ? On constate, en premier lieu, la disparition des zones de revenus relativement faibles : il n’existe plus de départements pour lesquels le revenu fiscal moyen est inférieur à 75% de la moyenne nationale, ce qui corrobore la baisse des inégalités documentée plus haut. Par ailleurs, il apparait que les départements profitant d’un revenu fiscal moyen supérieur à la moyenne nationale ne se trouvent plus dans le nord de la France, mais près de la frontière suisse, en région parisienne ainsi que dans les départements abritant certaines métropoles régionales telles que Lyon, Nantes ou Toulouse. On observe aussi que les départements dont le revenu fiscal moyen est compris entre 75 et 90% du revenu moyen se trouvent le long d’une diagonale reliant la frontière espagnole à la frontière belge, avec deux excroissances dans le nord du pays et dans l’intérieur normand. Ces départements correspondent à ceux de la "diagonale du vide" (des faibles densités de population), même s’il est ici question de faibles revenus. A l’inverse, la façade atlantique est devenue une zone homogène où les niveaux de vie sont proches de ceux de la moyenne nationale. Les 3 cartes représentées dans les Graphiques 2, 3 et 4 montrent ainsi clairement le mouvement de bascule d’une "diagonale des faibles revenus", qui autrefois allait du nord-ouest au sud-est, à une "diagonale des faibles densités" qui s’étend aujourd’hui du nord-est au sud-ouest.

Image Revenus moyens relatifs des départements en 2015
Graphique 4. Revenus moyens relatifs des départements en 2015 Source : archives fiscales et calculs des auteurs. Note : Le revenu fiscal moyen par adulte est calculé relativement aux 90 départements métropolitains en 2015. Une couleur foncée indique un revenu fiscal faible par rapport à la moyenne nationale.