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Évaluation des risques du système financier français (ERS) – Décembre 2023
Le nouvel environnement de taux élevés constitue un changement de régime pour l’ensemble des agents, financiers comme non financiers. Après une phase d’ajustement rapide de la politique monétaire à partir de juillet 2022, les taux directeurs de la zone euro pourraient avoir atteint un plateau depuis septembre 2023. L’inflation, y compris sa composante sous-jacente, a en effet confirmé son reflux au second semestre 2023 même si elle reste encore trop élevée. Ces perspectives restent néanmoins conditionnées à l’absence de nouveau choc. Par ailleurs, les taux d’intérêt à long terme se montrent plus volatils dans ce nouvel environnement, comme l’a mis en évidence la hausse rapide observée à l’automne 2023 qui s’est plus que corrigée depuis.
Jusqu’à présent, ces ajustements de taux se sont opérés de manière ordonnée pour les acteurs du système financier français, mais de nouveaux chocs macroéconomiques, géopolitiques ou encore des cyberattaques pourraient venir tester la résilience de certains acteurs. Les participants de marché semblent anticiper un atterrissage en douceur de l’économie, à savoir un retour de l’inflation vers sa cible sans récession. Une remise en cause de ces anticipations entraînerait d’importants mouvements sur les marchés, qui pourraient se traduire par des tensions de liquidité pour les intermédiaires financiers non bancaires les plus vulnérables. Une détérioration de l’environnement économique et des conditions de marché accentuerait les vulnérabilités financières des acteurs de l’économie réelle les plus endettés ; elle pourrait accroître le risque de crédit pour les intermédiaires financiers. Les banques et les assureurs français conservent néanmoins des bilans solides qui doivent leur permettre de faire face à ces risques tout en préservant le bon financement de l’économie.
Par ailleurs, la transmission des hausses de taux passées à l’économie réelle est encore en cours, du fait d’un endettement des acteurs non-financiers majoritairement à taux fixes et sur des maturités relativement longues. L’ampleur de leurs effets sur la stabilité financière dépendra de la durée pendant laquelle les taux se maintiendront en territoire restrictif. D’une part, les vulnérabilités de court terme liées à l’endettement élevé de certains acteurs s’accroissent, en raison de la hausse progressive du coût du service de la dette. D’autre part, l’infléchissement de la dynamique d’endettement des sociétés non financières (SNF) et des ménages permet de contenir une partie des vulnérabilités.
En résumé, le resserrement accéléré de la politique monétaire n’a pas entraîné à ce stade d’instabilité financière majeure. Le risque élevé de chocs géopolitiques ou macroéconomiques impose cependant une grande vigilance, d’abord sur les acteurs financiers non bancaires, et ensuite sur les acteurs non financiers – pour lesquels les effets de la hausse des taux sont en cours – plus encore que sur les banques et assureurs eux-mêmes. C’est donc dans cet ordre que la présente Évaluation des risques du système financier français examine les risques.
Dans un contexte de tensions géopolitiques accrues et d’incertitudes macroéconomiques persistantes, les marchés financiers restent exposés à des chocs qui pourraient se traduire par des tensions de liquidité pour les intermédiaires non bancaires les plus vulnérables
Le risque de choc sur les marchés persiste, notamment si les anticipations d’atterrissage en douceur de l’économie se révélaient trop optimistes. La volatilité reste élevée sur les marchés obligataires mondiaux. Les taux de court terme réagissent aux évolutions des anticipations de politique monétaire, et aux incertitudes persistantes sur la trajectoire d’inflation et de croissance. Par ailleurs, dans ce contexte de normalisation des politiques monétaires, la volatilité des taux de long terme augmente, alimentée par les aléas sur la trajectoire des finances publiques. Ainsi, entre fin août et octobre 2023, les taux d’intérêt à long terme ont fortement progressé puis se sont repliés très rapidement, dans un mouvement qui semblait pour l’essentiel lié à une contagion en provenance des États-Unis. Malgré une large hétérogénéité sectorielle et géographique, les niveaux de valorisation des actions et des obligations d’entreprises reflètent des anticipations d’atterrissage en douceur de l’économie. Une réappréciation des risques, en cas de choc macroéconomique ou géopolitique, pourrait se traduire par des mouvements de marchés adverses potentiellement amplifiés par des réactions procycliques de certains agents.
En effet, un choc de marché localisé pourrait se traduire par des tensions de liquidité pour certains acteurs vulnérables de la finance non bancaire, avec des effets de bord potentiels pour l’ensemble du système financier. Ces acteurs pourraient connaître des besoins de financement importants en cas de choc de marché, par le biais d’appels de marges ou de demandes de rachats, et ainsi renforcer les dynamiques adverses de marchés à travers des ventes forcées d’actifs. Un chapitre thématique est dédié à la cartographie des risques des intermédiaires financiers non-bancaires français et à leurs interconnexions avec le reste du système financier. Cette appellation recouvre une diversité d’acteurs aux profils de risques variés. La part de ces intermédiaires dans l’ensemble du système financier reste limitée en France. Par ailleurs, le niveau élevé d’interconnexions, entre intermédiaires financiers non-bancaires d’une part et entre ces intermédiaires et le secteur bancaire d’autre part, augmente le risque de propagation d’un choc. Les risques que représente la finance non-bancaire pour le secteur bancaire français ne se limitent en outre pas aux acteurs résidents, deux-tiers des expositions directes des banques françaises avec des intermédiaires financiers non bancaires étant transfrontalières.
Les vulnérabilités de court terme s’accroissent pour les acteurs les plus endettés de l’économie réelle alors que le repli du marché immobilier se poursuit de façon ordonnée
La transmission de la politique monétaire aux entreprises françaises se poursuit. Alors que la structure d’endettement des sociétés non-financières françaises (SNF) les a protégées d’un choc de taux brutal, la charge de la dette augmente progressivement, au fur et à mesure de la transmission des taux plus élevés aux bilans. Le secteur des SNF françaises dans son ensemble conserve une bonne situation financière, soutenue par les niveaux élevés de trésorerie hérités de la crise Covid et un levier orienté à la baisse après avoir atteint des niveaux historiquement élevés, avec toutefois des situations hétérogènes selon les entreprises et les secteurs. Le financement des SNF reste globalement bien assuré, mais les plus endettées d’entre-elles pourraient faire face à une augmentation de leur risque de refinancement, en raison d’une hausse des volumes de dette arrivant à échéance au cours des deux prochaines années. Ces vulnérabilités pourraient s’accroître en cas de ralentissement macroéconomique ou de nouveau resserrement des conditions de financement.
Les risques pour la stabilité financière liés au repli des marchés immobiliers résidentiel et commercial restent à ce stade contenus. Un chapitre thématique de ce rapport revient sur le recul progressif du marché de l’immobilier résidentiel, qui s’explique principalement par une contraction de la demande dans un contexte de resserrement des conditions de financement. Les risques pour la stabilité financière restent cependant limités en raison de la résilience du modèle français de financement de l’immobilier et de l’action des autorités prudentielles. La contraction du marché de l’immobilier commercial est plus marquée mais les expositions du système financier français dans son ensemble à ce secteur demeurent limitées. Toutefois, pour certains fonds d’investissement immobiliers, des vulnérabilités liées à des asymétries de liquidité entre l’actif et le passif appellent à une stricte vigilance dans ce contexte de repli du marché.
Le taux d’endettement public est durablement plus élevé que la moyenne de la zone euro mais l’État français conserve une bonne capacité de financement. En l’absence de nouvelles mesures, le ratio d’endettement public se stabiliserait autour de 110 % du PIB jusqu’en 2026. La maîtrise de la trajectoire des finances publiques reste fondamentale pour protéger la soutenabilité de la dette publique. Dans le contexte de déficits toujours élevés et de la normalisation du bilan de l’Eurosystème, l’offre de dette souveraine française sur le marché augmente et sa bonne absorption repose sur le maintien d’une demande soutenue de la part des investisseurs privés et non-résidents.
Les banques et les assureurs s’adaptent à l’environnement de taux grâce à une structure de bilan solide
Face à la hausse des coûts de financement, les banques françaises conservent des niveaux de liquidité et de solvabilité robustes. Les revenus des banques françaises ont temporairement moins bénéficié de la remontée des taux que ceux des banques d’autres juridictions. Leur marge nette d’intérêts s’est légèrement contractée en raison d’une hausse plus rapide du coût de leurs passifs que des revenus d’intérêt, mais la remontée des taux d’intérêt leur bénéficiera dans la durée. Les banques françaises maintiennent une structure de financement diversifiée, avec un encours de dépôts globalement stable et un bon accès au financement de marché. Dans ce contexte, les indicateurs de liquidité ne révèlent pas de vulnérabilités, tant au niveau individuel que systémique. La qualité des actifs bancaires se maintient également et le coût du risque reste modéré à ce stade, y compris pour les expositions relevant de l’immobilier commercial. Les ratios de solvabilité des banques françaises restent élevés et cette solidité est corroborée par les résultats des stress tests 2023 de l’Autorité bancaire européenne (European Banking Authority, EBA). Les banques françaises doivent néanmoins rester prudentes dans la gestion de leur risque de crédit.
Les assureurs conservent une structure de bilan solide, mais restent exposés à l’inflation et au risque de rachat. Les risques liés à une hausse des rachats en assurance-vie apparaissent maîtrisés, mais appellent à une vigilance continue. En effet, la remontée des taux pourrait entraîner des réallocations vers d’autres produits d’épargne qui obligeraient à réaliser des moins-values latentes et matérialiseraient des risques de liquidité. Le rythme des rachats reste néanmoins contenu et à ce stade nettement en-deçà du pic historique de fin 2011. Les assureurs non-vie sont quant à eux exposés à l’augmentation du coût des sinistres ainsi qu’au risque d’un durcissement des contrats de réassurance, dans un contexte d’inflation et de hausse de la fréquence et de la gravité des évènements climatiques.
Le système financier doit accélérer son adaptation aux risques cyber et climatique
Les menaces de cyberattaques restent élevées pour le système financier, alors que l’intelligence artificielle générative contribue à la sophistication des attaques. Le 9 novembre 2023, une cyberattaque par rançongiciel contre une filiale aux États-Unis de la Banque Industrielle et Commerciale de Chine (ICBC) a paralysé ses systèmes informatiques et temporairement perturbé la liquidité des marchés des bons du Trésor américain. Cette attaque rappelle la nécessité pour tous les acteurs du système financier d’investir de façon continue pour renforcer la protection de leurs systèmes d’information et met en lumière la dimension systémique du risque cyber, du fait des interconnexions entre les acteurs. De façon indirecte, le risque cyber peut également se matérialiser par des pertes pour les banques et les assurances, en cas d’attaques sur les entreprises auxquelles elles sont exposées financièrement.
Enfin, les institutions financières doivent à la fois gérer leur exposition au risque de transition et soutenir la décarbonation de l’économie. La mise en œuvre de politiques de transition en ligne avec les objectifs de réduction d’émissions carbone pourrait entraîner des pertes importantes pour les institutions financières insuffisamment préparées. Les expositions des institutions financières françaises au risque de transition apparaissent modérées mais leurs portefeuilles restent insuffisamment alignés sur les objectifs de décarbonation. Il est important que les institutions financières établissent et communiquent des plans de transition afin d'établir des objectifs concrets et mesurables de décarbonation de leurs portefeuilles. Elles doivent également poursuivre la réduction de leur exposition aux activités les plus risquées et prendre en compte l’enjeu de la mise en œuvre par leurs contreparties de plans de transition cohérents avec les objectifs européens de réduction des émissions.
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Mise à jour le 25 Juillet 2024