Le commerce mondial a augmenté plus rapidement que le PIB mondial depuis le début des années 1970, et il a progressé deux fois plus vite entre 1985 et la grande crise financière. La façon dont la mondialisation influence la productivité globale et le bien-être, et dont son impact diffère d'un pays à l'autre selon son niveau de développement économique, est d'un grand intérêt pour la mise en œuvre de la politique économique. Dans les économies avancées, la concurrence accrue des pays à bas salaires a exacerbé le débat public portant sur les gains tirés du commerce, dans un contexte de préoccupations croissantes concernant l'emploi, les inégalités et l'expansion spectaculaire de la Chine. Dans les pays en développement, les réformes commerciales interagissent avec les faiblesses structurelles des économies et n’ont pour cette raison pas toujours produit tous les bénéfices souhaités.
Dans cette étude, nous examinons les gains de bien-être et de productivité découlant de la mondialisation grâce à l'ouverture au commerce via la libéralisation des exportations et des importations. Nous nous intéressons particulièrement au rôle joué par les frictions sur les marchés, car elles peuvent potentiellement modifier les gains tirés du commerce en comparaison des cadres théoriques où l'allocation des ressources entre entreprises est optimale. Dans la théorie développée dans l'article, ces frictions prennent la forme de taxes ou de subventions implicites auxquelles font face les entreprises d'un secteur donné, ce qui modifie l’allocation des ressources productives. Nous évaluons l'incidence des scénarios de libéralisation du commerce sur la productivité et le bien-être agrégés en fonction de l'intensité de ces frictions.
Nous montrons théoriquement que, sans distorsion, la libéralisation du commerce bilatéral ou des exportations accroît le bien-être et la productivité agrégés, tandis que la libéralisation des importations a des effets ambigus. Les frictions qu'impliquent une mauvaise allocation des ressources peuvent soit amplifier, soit réduire ou annuler les gains tirés du commerce. Nous quantifions l'ampleur des gains ou des pertes de productivité dans les simulations du modèle.
Nous réalisons ensuite une étude empirique des effets des chocs commerciaux sur la productivité sectorielle, à partir de nouvelles données uniques disponibles pour 14 pays européens et 20 industries, sur la période 1998-2011. Nous établissons empiriquement que les chocs exogènes sur la demande d'exportation et la concurrence des importations génèrent tous deux d'importants gains de productivité. Les estimations impliquent qu'une hausse de 20 % de la demande d'exportation générerait des gains de productivité d'environ 7 à 8 %, tandis que la concurrence des importations augmente la productivité d'environ 1 à 10 %.
L'expansion des exportations accroît la productivité moyenne des entreprises (en particulier par une sélection plus rigoureuse) et déplace l'activité vers les entreprises en place plus productives (canal de la réallocation). La concurrence des importations augmente également la productivité moyenne des entreprises, mais l'efficacité de l'allocation diminue. Ce résultat est conforme aux prévisions du modèle : les rigidités sur le marché du travail réduisent la capacité des entreprises à réagir à un environnement plus concurrentiel par des gains de compétitivité, tandis que les frictions au niveau des entreprises (més-allocation) faussent l'allocation optimale entre les entreprises. Enfin, nous montrons que l'efficacité des institutions sur les marchés des facteurs et des produits modifie les gains au commerce. Les exportations tendent à soutenir la croissance de la productivité au niveau sectoriel en présence de rigidités structurelles. Toutefois, ces dernières peuvent atténuer les bénéfices de la concurrence à l’importation sur la productivité, par exemple en favorisant la survie d’entreprises peu productives.