Le développement et la production de biens et de services sont souvent soumis à une myriade de normes techniques. Des systèmes de paiement aux spécifications des cadres de porte ou des véhicules autonomes, les sociétés industrialisées s'appuient fortement sur les normes techniques dans tous les secteurs de l'économie. En définissant un ensemble commun de règles, de lignes directrices et de spécifications, la normalisation garantit l'interopérabilité des appareils, la compatibilité des intrants ou la sécurité et la qualité des produits, au bénéfice des producteurs et des consommateurs. La normalisation technologique implique également la sélection d'une technologie parmi des technologies concurrentes, car elle vise à assurer la prolifération généralisée des meilleures technologies et pratiques au sein de chaque industrie. En ce sens, le processus de normalisation va de pair avec le progrès technologique : lorsque de nouvelles technologies apparaissent, de nouvelles normes sont définies afin de faciliter leur adoption à grande échelle.
Cependant, la capacité des entreprises à s'adapter à la nouvelle norme - que nous appelons la nouvelle frontière technologique - dépend de leurs choix technologiques passés. En effet, certaines entreprises - compte tenu de leur historique d'innovation - pourraient être technologiquement mieux préparées à déployer les technologies décrites dans la nouvelle norme. Ainsi, les entreprises proches de la nouvelle frontière peuvent avoir un avantage concurrentiel immédiat et bénéficier d'une modification du pouvoir de marché en leur faveur. Cela soulève un compromis bien connu entre récompenser les innovations réussies et éviter la création de monopoles. Cet article contribue au débat. En introduisant une nouvelle mesure de la proximité des entreprises par rapport à la frontière technologique, nous montrons comment la sélection d'une technologie parmi des technologies concurrentes par la standardisation affecte la concurrence, l'innovation et la croissance.
Notre nouvelle mesure de la proximité de la frontière utilise l'analyse de texte pour étudier la mesure dans laquelle le contenu sémantique des brevets des entreprises chevauche le contenu d'une norme nouvellement publiée. Nous utilisons donc cette mesure pour étudier l'impact de la normalisation au niveau de l'entreprise et du secteur.
Nous montrons que, lorsqu'une nouvelle norme est publiée, les entreprises plus proches de la nouvelle frontière technologique gagnent immédiatement en termes de ventes et de parts de marché. Nous trouvons également que, si le marché est compétitif, les entreprises à la frontière investissent plus dans la R&D et la formation de capital alors que ce n'est pas le cas si le niveau de concurrence est trop faible. Ces résultats sont cohérents avec l'interprétation de la standardisation comme un choc qui réduit le niveau de concurrence, ce qui profite aux leaders technologiques. Pourtant, ces effets ne sont que temporaires. En effet, la standardisation vise à créer un terrain d'entente qui permet aux retardataires de rattraper leur retard à long terme par le biais de spillovers. Nous montrons que ce mécanisme est en place et que le rattrapage des suiveurs entraîne finalement une croissance sectorielle plus élevée à long terme.
Nous concluons donc que les normes dans leur ensemble ne créent pas de monopoles permanents et n'entraînent pas de comportement de recherche de rente. Au contraire, elles encouragent l'innovation dans l'ensemble du secteur et contribuent à la croissance économique à long terme.