Face à une mondialisation heurtée, la dimension économique de l'"autonomie stratégique" européenne
Le concept d’autonomie stratégique – ou la "capacité [de l’Union européenne] à agir de manière autonome lorsque cela est nécessaire" (conclusions du Conseil, 2016) – constitue un enjeu crucial pour la sécurité des relations économiques et financières de l’Union, au-delà de la politique de défense et de sécurité européenne où l’expression apparaît pour la première fois en 2013 (conclusions du Conseil européen).
Ce concept demeure complexe du fait de sa proximité avec celui de souveraineté qui éveille des considérations nationales diverses. Les défenseurs de l’ouverture économique s’opposent ainsi aux partisans d’une Europe plus forte sur la scène internationale (van den Abeele, 2021). Le vocable d’"autonomie stratégique ouverte" (Commission, 2020) illustre ainsi une forme de compromis. La préservation des intérêts de l’Union et la réduction de ses dépendances n’empêchent pas son ouverture, mais apparaissent comme des gages de sa sécurité.
Or, les tensions sino-américaines, la pandémie de Covid-19 ou l’invasion de l’Ukraine par la Russie ont révélé certaines vulnérabilités de l’UE liées à ses dépendances économiques et financières, ce qui a progressivement nourri un changement de perception par les États membres des effets de la mondialisation.
Ainsi, sur le plan commercial, ces vulnérabilités résultent de la dépendance à des partenaires non européens dans certains secteurs clefs, tels que les matières premières (notamment énergétiques, 55% de la consommation en énergie étant aujourd’hui d’origine extra-UE, BCE, 2023), le secteur manufacturier (biens intermédiaires comme les composants électroniques, avec une valeur ajoutée chinoise dans les importations européennes de 14% en 2018) et les intrants stratégiques (valeur ajoutée chinoise dans les importations de métaux basiques de 13% par exemple, BCE, 2023).
En matière d’investissements, l’UE est surtout interconnectée avec les pays développés, près de 30% des opérations de fusions-acquisitions dans l’UE provenant des États-Unis (BCE, 2023). Toutefois, les investissements des grands émergents à destination de l’UE augmentent depuis le milieu des années 2000, en particulier dans des secteurs stratégiques comme les infrastructures énergétiques ou de transports.
Des politiques publiques nouvelles sous le signe de l’autonomie stratégique
Dans ce contexte, le concept européen d’"autonomie stratégique" désigne la capacité de l’UE à défendre ses intérêts économiques sur la scène internationale.
Plusieurs initiatives européennes ont ainsi été lancées à ce titre depuis près de dix ans. Elles visent le développement de politiques industrielles et commerciales dédiées (schéma 2). Parmi les mesures récentes, l’EU Chips Act (2022) cherche à doter l’UE de capacités de production de semi-conducteurs, aujourd’hui largement produits hors de ses frontières. S’agissant des flux financiers, un mécanisme européen de coopération sur le filtrage des investissements directs dans l’UE a été mis en place en 2020 afin d’éviter l’appropriation extra-européenne de certains secteurs sensibles pour la sécurité nationale.