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Mise en ligne le 23 Avril 2024
France Inter : « Sur 25 ans, l'euro a aidé le pouvoir d’achat des Français » – François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France
France Inter : « Sur 25 ans, l'euro a aidé le pouvoir d’achat des Français »
Sonia Devillers
Le gouverneur de la Banque de France adresse sa lettre rituelle au président de la République. Le ton a changé, c'est flagrant. L'inflation recule mieux que prévu. Les taux d'emprunt vont commencer à baisser très bientôt. L'Europe aurait ainsi formidablement géré cette crise, vibrant plaidoyer pour la mécanique européenne à six semaines des élections, peut-être que ce n'est pas anodin. Bonjour, François Villeroy de Galhau. Alors inflation, soulagement, satisfaction, victoire, triomphe au regard des presque deux ans qui viennent de s'écouler ? Où doit on placer le curseur selon vous ?
François Villeroy de Galhau
Bonjour Sonia Devillers. D'abord, nous allons éviter le mot triomphe. L'heure n'est pas au triomphalisme, mais il y a une bonne nouvelle : la victoire contre l'inflation est en bonne voie. Rappelez-vous, à l'échelle française, nous avons eu un pic d'inflation à 7 % au début de l'année dernière, aujourd’hui, nous sommes revenus à 2,4% et je redis ce matin que nous serons d'ici l'an prochain au plus tard revenus autour de 2 % d'inflation, ce qui est notre objectif.
Sonia Devillers
Alors, qui dit inflation, dit prix, dit pouvoir d'achat. Or, le pouvoir d'achat est un levier décisif dans les intentions de vote avenir. Graphique stupéfiant, page neuf de votre lettre au président de la République, c'est le gain du pouvoir d'achat des Français depuis 25 ans. Il est bien plus élevé que celui de toute la zone euro, allemands compris. Il était important de le rappeler ?
François Villeroy de Galhau
Nous avons dans cette Lettre, fait un bilan un peu long de l’euro. Parce qu'au-delà du court terme, il est toujours important d'avoir un regard long. Effectivement, on s'aperçoit que sur 25 ans, l'euro a bien aidé les Français puisque nous avons en moyenne plus de gains de pouvoir d'achat, 26 % sur 25 ans, que la moyenne européenne et, c'est vrai, que les Allemands... Je sais que je vais surprendre un certain nombre d'auditeurs en disant cela, mais ce ne sont pas des chiffres de la Banque de France, mais des chiffres établis par les instituts statistiques, ce sont des moyennes. Tout le monde ne se retrouve donc pas forcément dans ce chiffre, mais il y a eu globalement moins d'inflation en France que dans les autres pays européens, cela a aidé. Et puis nous avons eu des transferts publics et sociaux importants, ce qui crée des problèmes de dette publique, on y reviendra sans doute, et des augmentations de salaire. Mais le pouvoir d'achat dépend de deux choses très simples : il faut qu'il y ait moins d'inflation, c'est en bonne voie vers les 2 %, et il faut plus de croissance. Il faut muscler l'Europe sur la croissance.
Sonia Devillers
Pourquoi ce gain mirobolant ? Pourquoi les Français ne le ressentent-ils pas ? Pourquoi l'explosion des intentions de vote pour l'extrême droite traduisent-elles massivement une colère et une colère sur le pouvoir d'achat ? Les Français, sont-ils des crétins qui n'y comprennent rien ?
François Villeroy de Galhau
Pas du tout. Je rejoins ce que Dominique Seux disait à l'instant sur la culture économique des Français. Et vous ne m’entraînerez pas sur le terrain des commentaires politiques. La Banque de France est indépendante, elle représente tous les Français et elle est évidemment indépendante de tous les intérêts politiques ou privés.
Sonia Devillers
Est-ce que les chiffres macro-économiques, sont impuissants à traduire la réalité de ce qui se passe en France ? Est-ce qu'il y a des gagnants et des perdants sur ce gain de pouvoir d'achat ? Et là, Dominique va dire que je suis bien française en posant cette question. Est-ce qu'il y en a qui ont bien profité de cette hausse du pouvoir d'achat et pas d'autres ?
François Villeroy de Galhau
Sur les chiffres, cette moyenne traduit bien ce qui s'est passé pour la grande majorité des Français, y compris les salariés les plus défavorisés. Nous avons en particulier en France l'indexation du SMIC sur l'inflation qui protège les salariés les plus modestes, ce qui est juste et bienvenu. Vous parliez de colère ou de sentiment différent : je crois que la poussée d'inflation récente, évidemment, a changé les choses, parce que nos concitoyens ont vu, notamment sur les achats du quotidien, le prix de l'essence à la pompe ou le caddie dans l'hypermarché qui ont nettement plus augmenté, des augmentations à deux chiffres. Ils ont ressenti une augmentation des prix encore plus forte que la réalité de la moyenne de leurs achats. C'est normal, nous sommes sensibles aux prix qui augmentent le plus et nous faisons un peu moins attention aux loyers ou aux services qui ont moins augmenté. C'est pour cela qu'il était très important de vaincre l'inflation rapidement et cela a été la politique de la Banque de France et de la Banque centrale européenne. Petit à petit cette perception du pouvoir d'achat va redevenir plus positive, y compris parce que, à partir du début de cette année, l'augmentation des prix va décélérer plus rapidement que les salaires. Les salaires vont donc passer devant les prix et dégager du pouvoir d'achat.
Sonia Devillers
Vous rentrez de Washington, l'économie américaine a triomphé en 2023, croissance, plein emploi et inflation maîtrisée, tout cela sous la férule de Joe Biden. Et pourtant, là non plus, je vous parle de corrélation entre l'économie et la politique, ça ne l'a pas aidé politiquement. Ça vous ébranle, ça vous interpelle ?
François Villeroy de Galhau
Revenons sur les chiffres économiques, le rôle de la Banque de France est d'apporter son expertise. Je rentre effectivement de Washington pour ce qu'on appelle les réunions de printemps du Fonds monétaire international. Tout le monde y partage le diagnostic, dans un dialogue franc et très utile. Le diagnostic, pour nous Européens, est assez stimulant, il faut bien dire, c'est que l'économie américaine est en pleine forme, avec une forte croissance. Elle est au plein-emploi, elle dégage une capacité d'innovation impressionnante. Concernant les conséquences politiques américaines, nous verrons au mois de novembre, à l'occasion de l'élection. Il y a là un appel au réveil pour nous, Européens. Je suis d'accord avec ce que disait Yaël Goosz tout à l'heure, l'Europe a très bien géré les crises : celle de la pandémie, celle de l'inflation grâce à la Banque centrale européenne. Mais maintenant, il faut que l'Europe traite ses problèmes de fond, c'est-à-dire muscler sa croissance et sa capacité d'innovation.
Sonia Devillers
Muscler, muscler, muscler comment elle muscle si elle ne dépense pas ? Parce que la croissance américaine, bravo ! Il serait temps que l'Europe s'en rapproche, on vous a bien compris, mais ce que vous ne dites pas dans votre lettre, c'est que les Etats-Unis vivent totalement à crédit, que leur dette est bien plus énorme que la nôtre et que manifestement, personne ne s’en affole.
François Villeroy de Galhau
La dette américaine est effectivement élevée et en augmentation, mais elle est à peu près au même niveau que la nôtre. Il ne faut pas oublier que nous aussi, nous vivons à crédit. Et lorsque nous regardons les leviers de la croissance américaine, la relance budgétaire a pu jouer un rôle, mais c'est un levier parmi beaucoup d'autres. Je vous en cite deux autres très importants, et je crois qu'il faut que l'Europe les active, c'est la taille multipliée par la puissance financière. Si vous me permettez d'insister sur la taille, le marché américain est très attractif, tout le monde dit qu'il faut être sur le marché américain, qui serait le plus grand marché du monde. Il se trouve que le marché unique européen est aussi grand. Simplement, il est moins intégré, il y a encore trop de frottements à l'intérieur, trop de frontières. C’est ce que dit le rapport que l'ancien Premier ministre italien Enrico Letta vient de remettre : il faut vraiment pousser le marché unique européen, y compris dans de nouveaux domaines comme les services et le numérique, qui seraient d'ailleurs assez favorables à la France. Et puis, il y a la puissance financière. L'Europe a un atout qui est une épargne financière abondante, mais il se trouve que nous en exportons une bonne partie justement pour financer les investissements aux Etats-Unis. Faisons cela en Europe, ce serait l'Union pour l’épargne et l’investissement.
Sonia Devillers
Les taux d'intérêt, ça y est, ça va baisser : quand ? Comment ? Combien ?
François Villeroy de Galhau
Les taux d'intérêt vont très probablement baisser en Europe début juin, lors de notre prochaine réunion du Conseil des gouverneurs de la BCE.
Sonia Devillers
Avez-vous une date ?
François Villeroy de Galhau
Ce sera probablement le jeudi 6 juin parce que c'est notre prochaine réunion. L'Europe montrera là un peu la voie, parce qu’elle est en avance sur d'autres, y compris les Etats-Unis, dans ses progrès contre l'inflation. Et puis il y aura sans doute d'autres baisses derrière. Nous verrons comment évolue cette lutte contre l'inflation. Cela soutiendra l'activité, l'emploi, l'investissement en Europe, cela aidera, mais cela ne remplace pas ces réformes de fond, la taille - le marché unique - multipliée par la puissance financière.
Sonia Devillers
De combien cela va-t-il baisser ?
François Villeroy de Galhau
Je vais employer l'adjectif que nous employons habituellement, ce sera une baisse progressive. Pourquoi ? Parce que c'est ce qui permet de s'adapter petit à petit. Nous sommes très pragmatiques. Je plaide pour un gradualisme pragmatique, c'est-à-dire que nous regarderons les données.
Sonia Devillers
Donc, ça va commencer petit ?
François Villeroy de Galhau
Ce n'est pas petit, mais ce sera un pragmatisme agile pour qu'on puisse continuer ensuite.
Sonia Devillers
Merci François Villeroy de Galhau.
Mise à jour le 25 Juillet 2024