Discours

Garder le cap par gros temps : la confiance en soutien de l’innovation

Intervenant

Denis Beau Intervention

Denis Beau, Premier sous-gouverneur de la Banque de France

19 Octobre 2023
Denis Beau Intervention

FINTECH R:EVOLUTION 2023
Paris, le 19 octobre 2023
 

Discours de Denis Beau, Premier sous-gouverneur de la Banque de France.

Mesdames et Messieurs,

Je souhaiterais commencer par remercier l’association France Fintech, et son président Alain Clot, pour leur invitation à participer une nouvelle fois à cet évènement majeur pour l’écosystème français des fintechs.

Le contexte actuel est clairement moins propice aux levées de fonds pour les jeunes entreprises. Ces turbulences dans l’écosystème des fintechs sont le reflet d’un environnement économique et financier qui s’est récemment dégradé. De fait, l’économie de la zone euro a été affectée par une série de chocs sans précédent. Ces chocs, liés en particulier à la guerre injustifiable menée par la Russie en Ukraine et au confinement en Chine, ont eu pour effet de ralentir la croissance et d’accélérer l’inflation

Toutefois, en France, cette configuration, dite de « slow-flation », ne s’est pas pour l’instant transformée en « stagflation », c’est-à-dire en récession. D’après nos prévisions les plus récentes, l'activité économique dans notre pays devrait ainsi croître à un rythme limité en 2023, avant de se redresser en 2024 et 2025. Autrement dit, le scénario central de notre prévision est que l’économie française réussirait à sortir progressivement de l’inflation sans récession, même si le ralentissement économique serait marqué. Si les temps sont moroses, il y a donc lieu de rester confiant quant aux perspectives de moyen terme

Et je voudrais vous dire ce matin que la confiance, ça se construit au quotidien, en consolidant les fondations pour renforcer la résilience de l’écosystème, d’une part, en anticipant sur l’avenir pour développer un secteur financier performant et innovant sur des bases saines, d’autre part.

I/ Consolider les fondations, c’est se préparer du mieux possible aux nombreux risques opérationnels qui guettent les fintechs, et qui vont faire l’objet d’un encadrement réglementaire plus poussé dans un futur proche.

1/ Le risque cyber est un bon exemple de ces risques, comme de la nécessité de se préparer. Le secteur financier européen est de plus en plus ciblé par les attaques informatiques, aussi le risque cyber est-il devenu le premier risque opérationnel pour les sociétés financières. Le règlement européen DORA (publié en décembre 2022) vise dans ce contexte à renforcer la résilience du secteur ; il s’appliquera à l’ensemble des entités financières à partir de janvier 2025. En plus des exigences actuelles de bonne gouvernance du système d’information, les établissements devront mener des tests réguliers de résilience opérationnelle, et déclarer les principaux incidents. 

Malgré de nombreux éléments de nouveauté, DORA réaffirme un principe aussi ancien que fondamental : les établissements financiers demeurent responsables de leurs risques. Ils doivent donc garder la maîtrise de la totalité de la chaîne de sous-traitance, auditer régulièrement leurs prestataires informatiques, et disposer de stratégies de sortie.

La période d’adaptation à DORA est courte ; il nous faut donc collectivement nous préparer. Pour les établissements, cela signifie passer en revue l’ensemble des contrats de prestation existants, en renégocier certains, et lancer au plus vite les développements nécessaires à la production des nouveaux reportings, afin de finaliser la mise en conformité avec DORA avant janvier 2025. L’ACPR, de son côté, continuera à entretenir son dialogue avec la Place, afin d’identifier les difficultés opérationnelles qui pourraient apparaître. À ce titre, je vous encourage à participer à la nouvelle consultation publique sur les textes d’application de DORA qui devrait s’ouvrir avant la fin d’année.

2/ S’agissant des actifs numériques, c’est évidemment l’entrée en vigueur progressive des dispositions du règlement MiCA (entre décembre 2023 et décembre 2024) qui oriente les nécessaires travaux de consolidation. En la matière, mon message principal est qu’il faut anticiper l’entrée en vigueur de MiCA. 

Pour les acteurs ayant le projet d’émettre des stablecoins, anticiper veut dire prendre contact avec l’ACPR et je les invite à le faire dès maintenant. Vous pouvez en effet solliciter le statut d’établissement de monnaie électronique (EME), qui vous permettra de commencer à émettre des actifs numériques dès l’entrée en vigueur de MiCA, dans un cadre sécurisé. C’est d’autant plus important qu’il n’y aura pas ici de phase de transition : à compter du 30 juin 2024, les dispositions du règlement relatives aux émissions de jetons s’appliqueront immédiatement.

Ensuite, aux actuels prestataires de services sur crypto-actifs (PSAN) et aux acteurs ayant le projet de fournir à l’avenir de tels services, je dis qu’il est temps de rechercher l’agrément. Celui-ci permet de satisfaire en avance à la plus grande partie des dispositions de MiCA. Surtout, dans un contexte encore récemment troublé par la multiplication de faillites, c’est la meilleure manière de retrouver la confiance des consommateurs et des investisseurs. 

3/ Toujours dans le domaine des crypto-actifs, il est également nécessaire de consolider les dispositifs de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT), en particulier dans la perspective de l’entrée en vigueur du règlement européen « Transfert de fonds » ou TFR, qui produira ses effets en même temps que MiCA. La traçabilité des fonds et des transactions permises par la technologie blockchain est en effet fragilisée par la facilité à créer de nouvelles adresses – parfois sans vérification d’identité ni contrôle de l’origine des fonds déposés –, ainsi que par différentes techniques de dissimulation.

En la matière, l’innovation pourrait jouer un rôle favorable. Des solutions d’identité numérique, reposant sur les progrès réalisés dans les techniques de preuve cryptographique, pourraient faciliter la mise en œuvre directe, sur la blockchain, des obligations de connaissance du client (« Know your customer » ou KYC). Elles pourraient ainsi permettre de concilier l’identification des personnes impliquées dans les transactions sur blockchain, pour les besoins de la LCB-FT, avec les exigences de protection de la vie privée.

II/ On le voit avec ce dernier exemple : les efforts pour renforcer la résilience opérationnelle, s’ils sont nécessaires, n’empêchent nullement de concevoir les modèles d’affaire et les solutions technologiques de demain.

A/ Dans ce domaine comme dans d’autres, la Banque de France et l’ACPR se tiennent aux côtés de l’écosystème fintech, et ce d’abord en contribuant à l’élaboration d’un cadre réglementaire favorisant l’innovation tout en protégeant les consommateurs. Un bon exemple est celui de la « finance ouverte » ou « open finance ».

La proposition dite FIDA (pour Financial data access), publiée le 28 juin dernier par la Commission européenne, vise à favoriser l’accès aux données financières. C’est évidemment une opportunité pour les fintechs de déployer leur créativité et leur agilité, afin de proposer aux consommateurs des services financiers innovants dans un cadre sécurisé.

Un premier élément de satisfaction, pour la Banque de France comme pour l’ACPR, est que les leçons ont été tirées du bilan contrasté de la mise en œuvre de la politique d’open banking prévue par la DSP2. Ainsi, le cœur de la proposition réside dans les schémas de partage de données, que les détenteurs et les utilisateurs des données devront développer ensemble, et auxquels ils auront ensuite l’obligation d’adhérer. Le dispositif paraît équitable, avec d’un côté le principe d’une rémunération pour l’utilisation des données – ce qui devrait inciter les acteurs à travailler ensemble, en bonne intelligence –, et de l’autre la garantie que les montants seront limités et encadrés.

Dans le même temps, FIDA fixe un cadre protecteur pour la clientèle, ce qui répond à une préoccupation essentielle de l’ACPR. Ainsi, le consommateur pourra choisir ou non de partager ses données, et disposera d’un tableau de bord permettant de visualiser et de gérer plus facilement les droits accordés. De même, le partage des données doit s’opérer dans un cadre sécurisé, ce qui signifie notamment que les utilisateurs de données devront disposer d’autorisations, par exemple sous le nouveau statut de prestataire de service d’information financière (PSIF).

B/ Préparer l’avenir, c’est aussi explorer les possibles apports des nouvelles technologies, telles que l’IA générative. Celle-ci a le potentiel pour engendrer une véritable révolution.

C'est la raison pour laquelle la Banque de France, via une plateforme d'innovation opérée par son Lab, a lancé en mai 2023 un appel à contributions sur les usages et les impacts de l'IA générative sur ses activités. Adressé à l'écosystème innovant, il vise d'une part à affiner notre compréhension de cette technologie et, d'autre part, à accélérer son utilisation potentielle, à travers la proposition de cas d'usage concrets, voire de solutions opérationnelles. Plateforme d’IA générative, solution fonctionnelle spécialisée, et outil permettant d’auditer les IA génératives : les trois entreprises françaises retenues à l’issue de cet appel à contribution vont nous aider à développer des solutions adaptées à nos missions.

Pour le secteur des fintechs, cette nouvelle technologie devrait être à l’origine de nombreux cas d’usage, notamment via les capacités nouvelles d’interaction avec les clients et de personnalisation des produits. Je suis persuadé que vous saurez vous saisir de cette opportunité, et vous en saisir de manière responsable

Car bien entendu, cette nouvelle technologie ne va pas sans risques. Une partie de ceux-ci seront sans doute encadrés par le futur règlement européen sur l’IA (AI Act). Quoi qu’il en soit, à nos yeux, les nouveaux outils qui seront imaginés par le secteur financier devront respecter un certain nombre de principes. J’en citerai au moins un, qui est pour nous fondamental : les algorithmes devront toujours être développés dans l’intérêt du client, ce qui signifie notamment qu’ils devront toujours lui permettre de faire des choix éclairés

À cet égard, il convient de faire attention aux idées reçues. Nos recherches ont par exemple montré que des explications automatisées fournies sur forme conversationnelle, aussi séduisante que soit cette modalité, ne permettaient pas toujours au client d’apprécier convenablement l’adéquation entre les produits proposés et sa situation personnelle.

Il est temps pour moi de conclure, avec un message simple : même si les temps sont moroses, il faut garder confiance, d’autant que l’avenir est porteur de nombreuses opportunités pour le secteur des fintechs. Nous nous engageons en tout cas à être toujours à votre écoute, pour vous accompagner au mieux, dans le calme comme dans la tempête.