Compte rendu de la réunion de politique monétaire du Conseil des gouverneurs de la BCE des 13 et 14 décembre 2023

qui s’est tenue à Francfort-sur-le-Main

1. Examen des évolutions financières, économiques et monétaires et des options possibles

Évolutions sur les marchés financiers

Mme Schnabel a fait remarquer que depuis la précédente réunion de politique monétaire du Conseil des gouverneurs des 25 et 26 octobre 2023, le narratif sur les marchés financiers s’est totalement inversé, prouvant une nouvelle fois sa sensibilité élevée aux données devenant disponibles et à la communication de banque centrale. Les marchés sont devenus haussiers, en raison des anticipations relatives à une désinflation rapide et « immaculée » et à une inversion précoce et brusque de la politique monétaire. Cette réévaluation a soutenu les prix des actifs risqués, avec une envolée des marchés boursiers et une réduction des spreads de crédit pour les emprunteurs souverains et les entreprises dans un contexte de poursuite d’une absorption harmonieuse par les marchés. Le dynamisme des marchés d’actifs risqués et l’appréciation du taux de change de l’euro sont cohérents avec le fait que les investisseurs intègrent dans leurs prix le scénario d’un point bas plutôt que d’une détérioration de la dynamique de la croissance économique de la zone euro.
S’agissant des principaux déterminants des évolutions sur les marchés financiers et des anticipations relatives à la politique monétaire, le premier facteur qui prédomine a été la surprise à la baisse concernant l’inflation dans le monde entier. Deuxièmement, d’autres données macroéconomiques, hors inflation, ont également été meilleures que prévu dans la zone euro, atténuant les craintes d’un « atterrissage brutal » de l’économie. La diminution de l’impact des tensions géopolitiques, accompagnée d’une baisse des prix du pétrole a été le troisième facteur soutenant l’appétence pour le risque des investisseurs.


La fluctuation prononcée de la valorisation des marchés au cours des derniers mois a entraîné de fortes variations des indices des conditions financières. Le durcissement des conditions financières observé dans la zone euro en septembre et octobre en raison des anticipations selon lesquelles les taux d’intérêt seraient élevés durant plus longtemps et d’une décompression des primes de terme s’est plus qu’inversé en novembre et début décembre, quand les investisseurs se sont positionnés pour une désinflation rapide. Presque toutes les composantes des indices des conditions financières standard font état d’un assouplissement substantiel des conditions financières, à des niveaux observés pour la dernière fois au début de l’année.
Depuis la précédente réunion de politique monétaire du Conseil des gouverneurs, les investisseurs ont considérablement révisé leur évaluation des perspectives d’inflation tant à court terme et qu’à plus long terme. Ils s’attendent désormais à ce que l’inflation baisse beaucoup plus rapidement et s’établisse par la suite à un niveau proche de la cible d’inflation de 2 % fixée par la BCE. La courbe à terme des swaps indexés sur l’inflation met en évidence trois caractéristiques de la valorisation par les marchés de la hausse annuelle de l’indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH) au-delà de 2024. Premièrement, les mesures de la compensation de l’inflation totale dans la zone euro extraites des instruments de marché se sont inscrites en baisse sur l’ensemble des échéances. Deuxièmement, les investisseurs ne prévoient pas de scénario dans lequel l’inflation reviendrait à des niveaux inférieurs à la cible. Troisièmement, par rapport à la période qui a précédé la crise financière mondiale, la courbe à terme des swaps indexés sur l’inflation affiche actuellement un profil plus haussier, du fait de l’augmentation progressive des primes de risque sur l’inflation sur l’horizon. En d’autres termes, dans le nouveau paysage économique et géopolitique mondial, les risques à la hausse pesant sur l’inflation à long terme sont considérés comme plus importants qu’avant la crise financière mondiale.
Le narratif sur la désinflation, apparu pour la première fois aux États-Unis, a trouvé un terrain fertile dans la zone euro, se propageant aux marchés des taux à court terme de la zone, en particulier après le niveau moins élevé que prévu de l’estimation rapide de l’inflation dans la zone euro en novembre. Les marchés intègrent actuellement dans leurs prix une première baisse des taux plus précoce par la BCE et un cycle de réduction des taux plus rapide qu’au moment de la précédente réunion de politique monétaire du Conseil des gouverneurs. Une réduction de 25 points de base en avril 2024 a été totalement intégrée par les marchés dès le 13 décembre, avant même la publication de la décision sur les taux directeurs par le Comité fédéral de l’open market (FOMC) aux États-Unis. Les baisses de taux cumulées attendues dans la zone euro d’ici fin 2024 s’élèvent à près de 140 points de base, contre 60 points de base environ lors de la précédente réunion de politique monétaire du Conseil des gouverneurs.
Le fait que les marchés excluent de leurs prix de nouvelles hausses des taux a constitué un facteur important à l’origine de l’ajustement à la baisse marqué des taux à terme. Au moment de la réunion du Conseil des gouverneurs d’octobre, les prix des options indiquaient, dans l’hypothèse d’une neutralité à l’égard du risque, une probabilité de 25 % pour un nouveau relèvement des taux de 25 points de base. Au 13 décembre, les marchés n’attribuaient qu’une probabilité de 8 % à une nouvelle hausse des taux. En revanche, les résultats les plus probables déclarés par les participants à l’enquête sont moins affectés par les variations dans les queues de distribution des réponses. Cela pourrait expliquer en partie la divergence importante entre les anticipations tirées d’enquêtes et celles extraites des instruments de marché, les analystes anticipant des baisses de taux plus tardives et moins nombreuses que les intervenants de marché. Les participants à l’enquête auprès des analystes monétaires (Survey of Monetary Analysts) s’attendent à une réduction cumulée de 75 points de base, à partir de juillet 2024 seulement. Un autre facteur susceptible d’expliquer cette divergence tient à la plus grande lenteur dont les analystes tendent à faire preuve dans la révision de leurs anticipations, attendant une orientation plus marquée de la banque centrale. Des évolutions similaires ont été observées au début du cycle de resserrement, quand les résultats d’enquêtes ont affiché pendant plusieurs mois un décalage par rapport aux courbes à terme dans la zone euro et aux États-Unis.

Sous l’effet de la réévaluation de l’inflation et de la politique monétaire, les taux réels sur la partie très courte de la courbe ont augmenté sensiblement, les investisseurs réévaluant les perspectives d’inflation à court terme, tandis que les taux nominaux à court terme ont été plus « rigides », reflétant la communication de la BCE. Au-delà du court terme, toutefois, les taux à terme réels ont fortement baissé sur l’ensemble des échéances, le recul des taux d’intérêt nominaux ayant été plus important que la révision à la baisse des perspectives d’inflation à moyen et à long terme. En d’autres termes, le resserrement précédent s’est en partie inversé.
Une décomposition des variations des cours boursiers de la zone euro montre que la forte hausse des prix des actions depuis la précédente réunion de politique monétaire du Conseil des gouverneurs a été déterminée par la réévaluation de la politique monétaire accommodante, les anticipations de bénéfices exerçant un faible effet compensateur. Les évolutions sur les marchés de titres à revenu fixe sont cohérentes avec le fait que les intervenants de marché privilégient le scénario d’un point bas plutôt que d’une nouvelle détérioration de la dynamique de croissance de l’économie de la zone euro. La réévaluation des perspectives relatives aux taux directeurs, conjuguée à des nouvelles macroéconomiques légèrement meilleures pour la zone euro, a inversé l’élargissement des écarts de rendement pour les obligations du secteur privé et les obligations souveraines qui avait été observé en septembre et octobre.
S’agissant des ajustements éventuels des réinvestissements dans le portefeuille du programme d’achats d’urgence face à la pandémie (pandemic emergency purchase programme, PEPP), les résultats de décembre de l’enquête auprès des analystes monétaires suggèrent que les marchés s’attendent déjà à une réduction partielle des réinvestissements au titre du PEPP à partir de mi-2024 et à un dénouement intégral du programme après décembre 2024. De plus, la demande soutenue d’obligations sur les marchés primaire et secondaire dans le contexte de la réduction en cours du portefeuille du programme d’achats d’actifs (asset purchase programme, APP) devrait favoriser l’absorption sans difficulté par les marchés d’une fin plus précoce des réinvestissements en totalité au titre du PEPP. Les investisseurs privés sont intervenus, l’Eurosystème ayant réduit son empreinte sur les marchés des obligations souveraines et des obligations d’entreprises. Cette absorption sans heurt a également été favorisée par les gestionnaires de dette qui ont puisé dans la demande de détail et légèrement réduit la durée des nouvelles émissions de dette.
Les conditions de financement des banques ont également bénéficié de la réévaluation de la politique monétaire et de l’amélioration du sentiment à l’égard du risque. Les écarts de rendement des obligations bancaires de la zone euro se sont resserrés, en particulier pour les obligations plus risquées. L’appétence des investisseurs pour les obligations bancaires a entraîné une activité d’émission soutenue sur le marché primaire, y compris sur le compartiment des obligations de fonds propres additionnels de catégorie 1 (Additional Tier 1, AT1). Le recours accru des banques au financement de marché dans un contexte de conditions de financement plus favorables laisse penser que les banques sont en mesure d’absorber sans difficulté les remboursements des opérations de refinancement à plus long terme ciblées (TLTRO), comme le suggèrent également les importants remboursements volontaires. La dynamique de fin d’année sur les marchés de financement devrait être calme. L’empreinte généralement plus faible de l’Eurosystème sur les marchés obligataires et la diminution de l’excédent de liquidité devraient contribuer à réduire les distorsions sur les marchés des pensions aux dates de déclaration.
S’agissant des évolutions des taux de change, après la réunion de politique monétaire d’octobre du Conseil des gouverneurs, l’euro s’est initialement fortement apprécié par rapport au dollar. Cette appréciation a été plus marquée que ne le suggèrent les mouvements des différentiels de taux d’intérêt et résulte en partie de l’amélioration du sentiment des investisseurs liée à la réévaluation mondiale de la politique monétaire, qui a pesé sur le dollar. Depuis fin novembre, l’euro a en partie effacé ses gains. Toutefois, les positions spéculatives vont dans le sens d’une future appréciation de l’euro par rapport au dollar, cohérente avec les anticipations d’un « atterrissage en douceur » de l’économie de la zone euro.

Environnement international et évolutions économiques et monétaires dans la zone euro

Concernant l’économie mondiale, M. Lane a noté qu’en 2023, le PIB en volume mondial a enregistré une croissance plus vigoureuse que dans les projections de décembre 2022, alors que le commerce mondial s’est révélé plus faible. Une des raisons de la baisse de l’élasticité du commerce par rapport à la croissance mondiale est liée à la normalisation post-pandémie de la composition de la demande, passée de biens plus dépendants des échanges commerciaux aux services moins dépendants des échanges commerciaux. Les données les plus récentes indiquent que la consommation de biens et la consommation de services se rapprochent de leurs tendances respectives d’avant la pandémie, suggérant que le processus de modification de la composition de la demande touche à sa fin. Le cycle mondial des stocks renoue également avec des fluctuations plus normales. Pendant la pandémie, les échanges commerciaux ont été poussés à la hausse par une forte accumulation de stocks, dont une grande partie était des stocks importés, en raison de problèmes des chaînes d’approvisionnement mondiales. Avec la résorption des perturbations des chaînes d’approvisionnement et la baisse des nouvelles commandes, le niveau historiquement élevé des stocks a diminué. La normalisation du cycle des stocks devrait contribuer au renforcement de la croissance des échanges commerciaux et à la normalisation des élasticités des échanges au cours de la période à venir.
S’agissant de la zone euro, M. Lane a rappelé que l’estimation rapide de novembre pour l’inflation s’est révélée nettement plus basse que prévu, l’inflation totale s’établissant à 2,4 %, contre 2,9 % en octobre. L’ensemble des principales composantes de l’IPCH a contribué à cette baisse. L’inflation core (c’est-à-dire hors énergie et produits alimentaires) est revenue à 3,6 % en novembre après 4,2 % en octobre. Le ralentissement de la hausse des prix des biens industriels non énergétiques, de 2,9 % à 3,5 %, reflète l’atténuation des goulets d’étranglement au niveau de la chaîne d’approvisionnement et le ralentissement de la croissance de la demande. L’inflation dans le secteur des services est revenue à 4,0 % en novembre, après 4,6 % en octobre. Toutes les mesures de l’inflation sous-jacente ont reculé en octobre. Alors que le taux annuel d’inflation domestique est demeuré élevé, à 5 %, la dynamique de cet indicateur a fortement ralenti au cours des trois derniers mois.
Par rapport à un an auparavant, une très forte désinflation a été observée. L’inflation totale a baissé d’environ 8 points de pourcentage au cours de l’année dernière en raison, tout particulièrement, des baisses massives de la composante énergie. Si l’on considère les projections d’inflation de décembre 2022, les services de l’Eurosystème avaient vu juste en prévoyant le processus de désinflation majeure un an à l’avance. Ce processus désinflationniste au cours de 2023 est dû non seulement aux effets de base des fortes hausses des prix de l’énergie en 2022, mais aussi au ralentissement de la hausse des prix de l’énergie en 2023. Les prix des produits alimentaires ont également contribué à cette désinflation, tout comme l’inflation core récemment.
Pour l’avenir, l’évaluation actuelle est que l’inflation a atteint la fin de la phase la plus forte du cycle désinflationniste. Tandis que l’inflation core et la hausse des prix des produits alimentaires devraient poursuivre leur ralentissement progressif, des effets de base haussiers liés à l’énergie et l’expiration des mesures budgétaires introduites pour compenser les effets de l’inflation ont poussé l’inflation totale à la hausse. S’agissant du momentum de l’inflation, tel que mesuré par la variation en pourcentage en glissement sur trois mois annualisée, la variation des prix des biens est tombée au‑dessous de 1 % en novembre. Toutefois, la dynamique de l’inflation dans le secteur des services, même si elle se ralentit, demeure forte.
Concernant les mesures de l’inflation sous-jacente, M. Lane a rappelé que ces mesures devraient capturer la composante persistante de l’inflation, c’est-à-dire la composante de l’inflation qui devrait persister à un ou à deux ans. Au cours des deux dernières années, toutes les mesures de l’inflation sous-jacente se sont d’abord inscrites en hausse avant de baisser fortement, ne donnant que des indications floues sur les forces inflationnistes sous-jacentes.
Les mesures corrigées des chocs liés à l’énergie et aux goulets d’étranglement du côté de l’offre ont enregistré une hausse et une baisse moins prononcées. Ainsi, même si la baisse de l’inflation sous‑jacente est également visible dans ces mesures corrigées, elles indiquent une amélioration plus faible à partir d’un pic moins élevé. La baisse des mesures corrigées de l’inflation sous-jacente peut être attribuée en partie aux effets de la politique monétaire. En d’autres termes, sans l’action de la politique monétaire, l’inflation sous-jacente serait restée plus élevée.
Une analyse de la dynamique des prix pour les composantes individuelles du panier de l’inflation core montre que les composantes expliquant près de la moitié de l’inflation core sont sensibles à la politique monétaire et que ce sont ces composantes qui ont le plus diminué dernièrement. Cela contribue à expliquer la baisse de l’inflation sous-jacente et démontre que la politique monétaire produit ses effets sur l’économie comme envisagé.
Les anticipations des entreprises relatives aux prix de vente à court terme, telles qu’elles ressortent de la dernière enquête de la Commission européenne auprès des entreprises, font état d’une normalisation de la production manufacturière, la part des entreprises prévoyant de facturer des prix plus élevés à trois mois étant proche de sa moyenne de long terme.
Selon la dernière publication d’Eurostat, le taux de croissance de la rémunération par tête a baissé de 0,3 point de pourcentage pour s’établir à 5,2 % au troisième trimestre, la contribution des bénéfices unitaires au déflateur du PIB ayant également diminué de façon substantielle. Cela suggère que, comme prévu, la modération de la croissance des bénéfices commence à absorber une partie des effets inflationnistes des hausses de salaire. Toutefois, la croissance des salaires est restée forte. Les salaires négociés, y compris les paiements exceptionnels, ont augmenté de 4,7 % au troisième trimestre, après 4,4 % au deuxième trimestre. Les outils prospectifs de suivi des salaires continuent de signaler des tensions élevées, malgré une décélération de l’outil de suivi des salaires d’Indeed.
En ce qui concerne les anticipations d’inflation, la campagne d’octobre de l’enquête de la BCE sur les anticipations des consommateurs (Consumer Expectations Survey) montre que les consommateurs n’ont toujours pas ajusté à la baisse leur perception de l’inflation passée, ce qui représente un facteur de risque pour les négociations salariales à venir. Du côté des prévisionnistes professionnels, en revanche, la dernière enquête auprès des analystes monétaires indique une forte baisse des anticipations d’inflation pour 2024. Les anticipations d’inflation à plus long terme déclarées dans l’enquête demeurent stables, à 2 %.
À court terme, l’inflation totale devrait de nouveau s’inscrire en hausse, en raison d’effets de base liés à l’énergie et de l’expiration des mesures budgétaires visant à limiter les répercussions du choc lié aux prix de l’énergie. Pour 2024, selon les projections des services de l’Eurosystème, l’inflation devrait ne diminuer que progressivement, en raison d’effets de base haussiers et du retrait progressif des mesures budgétaires de compensation, avant de se rapprocher de l’objectif du Conseil des gouverneurs en 2025. Néanmoins, la vigueur du processus de désinflation en cours se reflète dans les projections de décembre : les services de l’Eurosystème ont révisé à la baisse leurs projections d’inflation totale de 0,2 point de pourcentage à 5,4 % pour 2023 et de 0,5 point de pourcentage à 2,7 % pour 2024. La projection pour 2025 est inchangée, à 2,1 %, tandis que pour 2026, l’inflation devrait s’établir à 1,9 %. L’inflation core devrait s’établir à 5,0 % en 2023, 2,7% en 2024, 2,3 % en 2025 et 2,1% en 2026.
M. Lane a mis l’accent sur les taux de croissance d’un quatrième trimestre à l’autre, car ils ne comportent pas d’effets de report. En commençant par l’inflation mesurée par l’IPCH, les projections de décembre font état d’un taux de croissance de 2,8 % au quatrième trimestre 2023 par rapport au quatrième trimestre 2022, qui devrait se ralentir très progressivement pour s’établir à 2,6 % au quatrième trimestre 2024. L’inflation devrait présenter un profil d’évolution relativement atone en 2024. Toutefois, le ralentissement de l’inflation core, moins affectée par des effets de base, devrait être plus rapide, avec un taux revenant de 3,8 % au quatrième trimestre 2023 à 2,7 % au quatrième trimestre 2024.
Les risques haussiers pesant sur l’inflation comprennent les tensions géopolitiques accrues, qui pourraient entraîner un renchérissement de l’énergie à court terme, et les événements météorologiques extrêmes, qui pourraient pousser les prix des produits alimentaires à la hausse. L’inflation pourrait aussi être plus forte qu’anticipé si les anticipations d’inflation dépassent l’objectif, ou si les salaires ou les marges bénéficiaires augmentent plus que prévu. En revanche, l’inflation pourrait surprendre à la baisse si la politique monétaire freinait davantage la demande qu’anticipé ou si l’environnement économique dans le reste du monde se détériorait de manière inattendue, en raison potentiellement de l’aggravation récente des risques géopolitiques.
En ce qui concerne l’activité économique dans la zone euro, le PIB en volume a légèrement diminué au troisième trimestre, la hausse de la demande intérieure ayant été contrebalancée par la nouvelle réduction des stocks. Les indicateurs tirés d’enquêtes suggèrent que l’activité devrait s’affaiblir dans le secteur des services et que la construction devrait se contracter à nouveau au quatrième trimestre, tandis que les premiers signes indiquant que l’activité dans le secteur manufacturier aurait atteint un plancher sont apparus.
Concernant les composantes de la demande, la consommation privée a augmenté de 0,3 % au troisième trimestre, tirée par la consommation de services et de biens durables. Si la consommation de services est demeurée soutenue par les effets résiduels de la réouverture de l’économie après la pandémie, la consommation de biens durables a été stimulée par la livraison de véhicules automobiles commandés précédemment, les goulets d’étranglement au niveau de l’offre se résorbant. Le mouvement haussier de la consommation de biens durables observé au troisième trimestre constitue donc un indicateur retardé de la consommation globale.
S’agissant des anticipations à court terme, la demande de biens plus sensibles aux variations des taux d’intérêt – principalement les biens durables – diminue, tandis que la consommation de services continue d’être soutenue par les effets résiduels de la réouverture. La reprise de la consommation privée intégrée dans les projections de décembre établies par les services de l’Eurosystème est fondée sur le ralentissement de l’inflation et l’augmentation des salaires, qui devraient doper le revenu disponible réel.
L’investissement dans l’immobilier résidentiel comme l’investissement des entreprises devraient rester atones en raison des conditions d’octroi de crédit restrictives. L’investissement des entreprises a été plus important que l’investissement dans l’immobilier résidentiel en 2023, largement en raison de la réduction du stock de commandes en cours. Toutefois, ce facteur ne soutiendrait pas l’investissement des entreprises en 2024, qui serait de plus en plus affecté par le resserrement de la politique monétaire.
La croissance des exportations de biens de la zone euro est restée négative en septembre et la croissance des volumes d’importation s’est encore ralentie. Les perspectives d’exportation sont restées modérées dans un contexte de défis croissants en matière de compétitivité. Selon l’enquête de la Commission européenne auprès des entreprises, les entreprises européennes se considèrent comme étant devenues moins compétitives sur le marché mondial, en raison de facteurs liés aux prix et, de façon croissante, du fait de facteurs autres que ceux liés aux prix.
L’emploi a bien résisté jusqu’à présent. Le taux de chômage s’est établi à 6,5 % en octobre et l’emploi a augmenté de 0,2 % au troisième trimestre. Toutefois, les indicateurs à court terme ont fait état d’un ralentissement sur le marché du travail et l’affaiblissement de l’économie a freiné la demande de main-d’œuvre, les entreprises ayant publié moins de postes vacants ces derniers mois. En outre, le nombre total d’heures travaillées a légèrement diminué de 0,1 % au troisième trimestre.
La séquence de croissance modérée suivie de la reprise attendue, fondée sur la hausse des revenus réels et l’amélioration de la demande extérieure, s’est reflétée dans les nouvelles projections établies par les services de l’Eurosystème. Selon les services de l’Eurosystème, la croissance annuelle du PIB en volume devrait s’établir à 0,6 % en 2023, à 0,8 % en 2024 et à 1,5 % en 2025 comme en 2026. Par rapport aux projections de septembre établies par les services de la BCE, la croissance du PIB en volume a été révisée à la baisse de 0,1 point de pourcentage pour 2023 et de 0,2 point de pourcentage pour 2024, mais demeure inchangée pour 2025.
Les risques pesant sur la croissance économique restent orientés à la baisse. La croissance pourrait être plus faible si les effets de la politique monétaire s’avèrent plus marqués qu’anticipé. Un affaiblissement de l’économie mondiale ou un nouveau ralentissement du commerce mondial pourraient également peser sur la croissance de la zone euro. La guerre injustifiée menée par la Russie contre l’Ukraine et le conflit tragique au Moyen-Orient constituent des sources importantes de risques géopolitiques. Cela pourrait conduire les entreprises et les ménages à se montrer moins confiants en l’avenir. À l’inverse, la croissance pourrait se renforcer si la hausse des revenus réels entraînait une augmentation des dépenses plus importante que prévu ou si l’économie mondiale enregistrait une croissance plus forte qu’anticipé.
S’agissant des politiques budgétaires, les projections de décembre comportent des révisions relativement légères des principaux soldes budgétaires par rapport aux projections de septembre. Pour 2024, le déficit budgétaire devrait revenir à 2,8 % du PIB et l’orientation budgétaire devrait se resserrer. Il est important de continuer à veiller à ce que les gouvernements se conforment à leurs plans budgétaires.
En ce qui concerne l’analyse monétaire et financière, les taux d’intérêt de marché ont nettement diminué depuis la réunion d’octobre du Conseil des gouverneurs, annulant largement les fortes hausses observées plus tôt à l’automne. Les baisses ont d’abord principalement affecté les échéances à moyen et plus long termes, dans un contexte d’effets de contagion provenant d’autres grandes économies. Plus récemment, les taux de marché à plus court terme ont également fortement baissé, principalement en réaction au recul plus rapide que prévu de l’inflation en novembre. Cette évolution s’est traduite par une courbe à terme intégrant un assouplissement plus précoce et plus important de l’orientation de la politique monétaire que celui intégré dans les projections établies par les services de l’Eurosystème.
La transmission de la politique monétaire est restée exceptionnellement forte. Les prêts bancaires aux entreprises et aux ménages sont demeurés faibles. Le fléchissement du taux de croissance annuel des prêts bancaires aux entreprises reflète à la fois la demande de crédit plus faible et les critères d’octroi plus stricts. La modération de la demande de prêts résulte principalement de taux d’intérêt plus élevés et d’un ralentissement de l’investissement fixe nominal. De son côté, le ralentissement du rythme des prêts aux ménages s’explique par les prêts hypothécaires, ce qui est cohérent avec la faiblesse du marché de l’immobilier résidentiel et le durcissement des conditions de crédit.
Les coûts composites de financement des banques ont encore augmenté. La base de dépôts à la disposition des banques a continué de se contracter, les taux de croissance annuels de M3 (l’agrégat monétaire large) et de M1 (les billets et pièces en circulation et les dépôts à vue) s’établissant en octobre à – 1,0 % et – 10,0 % respectivement, niveaux proches de leurs points bas historiques récents.
Dans quelle mesure les tensions liées à la transmission de la politique monétaire ne se faisaient pas encore sentir constitue une question importante. L’analyse réalisée par les services de la BCE montre qu’une augmentation conséquente des taux directeurs sur une courte période tend à entraîner une transmission plus forte et plus rapide aux volumes de crédit, et que l’impact du cycle de resserrement sur la croissance du crédit a tendance à atteindre son point haut plus tôt que ne le suggèrent les relations habituelles. Ces non-linéarités ont semblé pertinentes dans le contexte actuel, une part importante de l’effet supplémentaire des taux d’intérêt étant imputable à une plus grande vigueur des ajustements des taux directeurs par rapport aux régularités historiques. M. Lane a également montré que, d’un point de vue historique, les conditions de financement s’étaient très fortement durcies au cours du cycle de relèvement actuel.

Considérations de politique monétaire et options possibles

Sur la base de l’évaluation des perspectives d’inflation, de la dynamique de l’inflation sous-jacente et de la vigueur de la transmission de la politique monétaire, M. Lane a proposé de laisser inchangés les trois taux d’intérêt directeurs de la BCE.
Malgré les récentes surprises à la baisse concernant l’inflation et l’importante révision à la baisse de l’inflation attendue pour 2024, l’inflation totale ne devrait revenir à sa cible que d’ici le second semestre 2025. La distance qui sépare encore l’inflation de la cible de la BCE, la dissipation des facteurs désinflationnistes favorables du côté de l’offre et, dans l’ensemble, les niveaux toujours élevés de l’inflation domestique continuent de plaider pour le maintien d’une orientation suffisamment restrictive.
Le Conseil des gouverneurs devrait par conséquent conserver son orientation stratégique actuelle, à savoir que ses décisions futures devraient garantir que les taux d’intérêt directeurs de la BCE soient fixés à des niveaux suffisamment restrictifs aussi longtemps que nécessaire, et qu’il maintiendrait une approche s’appuyant sur les données pour déterminer le degré et la durée appropriés de cette orientation restrictive. Plus particulièrement, les décisions du Conseil des gouverneurs relatives aux taux d’intérêt devraient rester basées sur son évaluation des perspectives d’inflation compte tenu des données économiques et financières, de la dynamique de l’inflation sous-jacente et de la force de la transmission de la politique monétaire.
Dès lors, il convient de réexaminer le calendrier des réinvestissements au titre du PEPP. Avec la dissipation des effets de la pandémie et la réduction des risques de fragmentation, M. Lane a proposé d’avancer sur la voie de la normalisation du bilan de l’Eurosystème à un rythme mesuré et prévisible. En particulier, si l’intégralité des réinvestissements devrait être maintenue au premier semestre 2024, le portefeuille au titre du PEPP pourrait diminuer de 7,5 milliards d’euros par mois en moyenne au second semestre, avec un arrêt total des réinvestissements à la fin de l’année. Cette proposition est globalement en ligne avec les anticipations des marchés, telles qu’elles ressortent de l’enquête auprès des analystes monétaires, et serait conforme aux indications du Conseil des gouverneurs selon lesquelles tout « dénouement futur du portefeuille au titre du PEPP sera géré de façon à éviter toute interférence avec l’orientation adéquate de la politique monétaire ». S’agissant des réinvestissements partiels jusqu’à fin 2024, des modalités opérationnelles semblables à celles utilisées lors des réinvestissements partiels au titre de l’APP pourraient être appliquées.
En outre, le maintien de la possibilité de faire preuve de flexibilité dans le réinvestissement des remboursements de titres arrivant à échéance détenus dans le portefeuille du PEPP afin de contrer les risques liés à la pandémie qui pèsent sur le mécanisme de transmission de la politique monétaire reste justifié.
Enfin, conformément à la stratégie de politique monétaire de la BCE, le Conseil des gouverneurs a de nouveau procédé à une évaluation approfondie des liens entre la politique monétaire et la stabilité financière. Les banques de la zone euro ont démontré leur résilience. Elles affichent des ratios de fonds propres élevés et leur rentabilité a significativement augmenté l’année dernière. Toutefois, les perspectives en matière de stabilité financière demeurent fragiles dans l’environnement actuel de durcissement des conditions de financement, d’atonie de la croissance et de tensions géopolitiques. En particulier, la situation pourrait se détériorer si les coûts de financement des banques augmentaient plus que prévu et si un plus grand nombre d’emprunteurs éprouvaient des difficultés à rembourser leurs prêts. Dans le même temps, les répercussions globales d’un tel scénario sur l’économie devraient être limitées si les marchés financiers réagissaient de manière ordonnée. La politique macroprudentielle reste la première ligne de défense contre l’accumulation de vulnérabilités financières et les mesures en place contribuent à préserver la résilience du système financier.

2. Discussions au sein du Conseil des gouverneurs et décisions de politique monétaire

Analyses économique, monétaire et financière

En ce qui concerne l’environnement extérieur, les membres du Conseil ont pris note de l’évaluation présentée par M. Lane selon laquelle la demande extérieure adressée à la zone euro est restée globalement faible en 2023, malgré une révision à la hausse dans les projections de décembre établies par les services de l’Eurosystème par rapport à celles de septembre. Cela s’explique en grande partie par la normalisation post-pandémique de la demande, qui s’est réorientée des biens dépendants des échanges commerciaux vers les services, moins dépendants de tels échanges. Les retombées des risques géopolitiques accrus sont restées contenues jusqu’à présent et les prix de l’énergie ont baissé par rapport aux niveaux élevés atteints récemment. Les prix du pétrole et du gaz ont fortement diminué depuis la précédente réunion de politique monétaire du Conseil des gouverneurs.
S’agissant de l’activité économique dans la zone euro, les membres du Conseil sont convenus avec M. Lane que le durcissement des conditions de financement et la modération de la demande extérieure devraient continuer de peser sur l’activité économique à court terme. Les membres du Conseil ont largement reconnu que la croissance à court terme est plus faible que prévu. Les indicateurs tirés d’enquêtes suggèrent toutefois que l’économie pourrait avoir atteint son point bas, au niveau mondial comme dans la zone euro. Les indices des directeurs d’achat (PMI) ont atteint un plancher et affichent même une légère hausse, ce qui renforce la perspective d’un atterrissage en douceur. Dans le même temps, il a été avancé qu’il serait prématuré de considérer la période de faiblesse de l’activité comme achevée. Plusieurs déterminants de la croissance sont peu susceptibles de soutenir l’économie de la zone euro à court terme. Premièrement, aucun signal clair n’indique une amélioration à venir du commerce mondial, tandis que les risques géopolitiques pourraient accentuer la faiblesse mondiale, au moins dans le secteur manufacturier. Deuxièmement, les volants de liquidité des entreprises et des ménages ont jusqu’à présent retardé les effets de la politique monétaire sur la demande agrégée, mais, ces volants diminuant, en parallèle avec la contraction du bilan de l’Eurosystème, l’impact du durcissement des conditions de financement devrait s’accentuer. La rentabilité des entreprises constituant un moteur important de l’investissement des entreprises, sa détérioration est également considérée comme un risque à la baisse pour l’investissement. Troisièmement, il faut s’attendre à un durcissement généralisé de l’orientation budgétaire, peut-être en partie lié au réexamen de la gouvernance économique de l’UE, ce qui exercerait de nouvelles pressions à la baisse sur l’économie. Enfin, la transmission exceptionnellement forte de la politique monétaire aux prêts aux entreprises et aux ménages est susceptible d’avoir une incidence négative plus forte sur la croissance et l’inflation que celle intégrée dans les projections de référence de décembre établies par les services de l’Eurosystème.
Sur cette base, il a été souligné que les projections de décembre établies par les services de l’Eurosystème pour la croissance à court terme pourraient s’avérer globalement trop optimistes, compte tenu également du fait que les outils mécaniques de prévision en temps réel (nowcasting tools) continuent d’indiquer un ralentissement de l’activité économique et la possibilité d’une récession technique. Même s’il a aussi été rappelé l’apparition récente d’une déconnexion entre les données quantitatives et qualitatives – telles que les indices des directeurs d’achat (PMI) – la prévision de Consensus Economics relative à la croissance du PIB est également nettement plus faible pour 2024 que la projection équivalente des services de l’Eurosystème. La majeure partie de la croissance attendue en 2024 dépend d’une hausse de la consommation, elle-même dépendante de la dynamique des revenus du travail. Même si la croissance de la productivité est actuellement faible, la forte augmentation des revenus du travail dans les projections établies par les services de l’Eurosystème est considérée comme résultant simultanément de la vigueur persistante de l’emploi et du rattrapage des salaires réels. En outre, la suppression des mesures budgétaires mises en œuvre pour soutenir les ménages en réponse aux hausses des prix de l’énergie aura un effet redistributif et sera supportée davantage par les ménages à faibles revenus, dont la plus propension à consommer est plus forte. Cela pèsera encore davantage sur la consommation. Enfin, la hausse récente des taux d’intérêt réels pour les échéances inférieures à un an devrait également avoir un impact négatif sur la consommation privée.
Dans le même temps, il a été mis en avant que les éléments montrant la bonne transmission de la politique monétaire doivent être salués et qu’elle demeure cohérente avec un atterrissage en douceur. L’impact du resserrement de la politique monétaire est de plus en plus visible et se fait sentir globalement comme prévu : les conditions de financement et de crédit se sont durcies, l’activité de prêt s’est ralentie, la demande agrégée a fléchi et l’inflation sous-jacente s’est atténuée. Avec la baisse de l’inflation, l’économie de la zone euro devrait se redresser progressivement en 2024 sous l’effet de la hausse des revenus réels, d’un renforcement de la consommation et d’une hausse de la demande étrangère. L’investissement a bien résisté jusqu’à présent en 2023 et devrait, selon les projections, stagner en 2024. Toutefois, il pourrait afficher de meilleures performances que prévu si les conditions financières s’assouplissent et si la confiance des chefs d’entreprise s’améliore. Les taux des prêts hypothécaires ont déjà commencé à baisser, en particulier dans les juridictions où la prévalence des taux d’intérêt variables est élevée, ce qui pourrait bientôt soutenir à nouveau l’investissement dans l’immobilier résidentiel, car il s’agit de l’une des composantes de la demande qui a également été la première à réagir à la hausse des taux d’intérêt.
Plus largement, du fait de la variabilité des délais et de la force du processus de transmission, il existe plusieurs raisons pour lesquelles la transmission de la politique monétaire reste incertaine et pourrait être moins efficace que ne le suggèrent les profils d’évolution et les modèles historiques. Même si le « premier volet » du processus, c’est-à-dire la transmission aux conditions de financement, a été rapide et forte, la transmission à l’économie réelle est plus incertaine et pourrait être plus faible. À cet égard, plusieurs facteurs ont joué un rôle : la solidité du marché du travail, les bilans relativement solides des entreprises, des ménages et des banques, et le poids plus important des secteurs moins sensibles aux taux d’intérêt, tels que les services, dans la valeur ajoutée globale. Les projections établies par les services de la BCE sont donc restées sujettes à des incertitudes significatives concernant les perspectives à moyen terme relatives à l’activité économique et aux prix. Cela reflète également le manque de clarté concernant les interactions entre facteurs cycliques et changements structurels dans le sillage de la pandémie et d’autres chocs d’offre, ainsi que la possibilité que de nouveaux chocs frappent l’économie.
S’agissant du marché du travail, il a été noté que l’emploi a continué de bien résister et a même encore augmenté, tandis que le nombre d’heures travaillées a été plus modéré. Dans le même temps, les niveaux actuels des indicateurs ne devraient pas inciter à relâcher la vigilance quant à la vigueur du marché du travail, qui pourrait changer brusquement et devrait être suivie attentivement. Il a été fait référence aux évolutions non linéaires potentielles des conditions macroéconomiques si les entreprises devaient ajuster l’emploi de manière synchronisée ou si le degré élevé actuel de maintien de sureffectifs devenait plus coûteux, en particulier à un moment où les bénéfices diminuent, à partir toutefois d'un niveau élevé. Le marché du travail étant le principal mécanisme de soutien de la reprise économique prévue pour la période à venir, une réaction non linéaire potentielle du marché du travail fait peser des risques à la baisse sur les perspectives économiques.
Une question plus large a été soulevée quant à la mesure dans laquelle le ralentissement économique est de nature cyclique ou structurelle. Il a été souligné que, en se fondant sur l’examen annuel régulier du côté de l’offre entrepris par les services de la BCE, la production potentielle a été révisée à la baisse dans les projections établies par les services de la BCE, quoique modérément, reflétant en partie une hausse structurelle des prix de l’énergie et une baisse de formation de capital. Pour de nombreuses sociétés de la zone euro, il a été difficile d’être concurrentielles au niveau international, en raison des coûts de l’énergie élevés en Europe. L’investissement dans les énergies renouvelables s’étant heurté à des problèmes de capacité, la transition énergétique n’a pas permis de réduire beaucoup les prix de l’énergie à court terme. La révision à la baisse de la production potentielle a également des implications pour l’écart de production implicite et pour la dynamique de l’inflation. Dans l’ensemble, les perspectives pour la croissance de la productivité et la croissance de la production potentielle sont considérées comme faibles.
S’agissant des politiques budgétaires et structurelles, les membres du Conseil ont réaffirmé qu’à mesure que la crise énergétique s’estompait, les pouvoirs publics devraient continuer de lever rapidement les mesures de soutien correspondantes. Cela est essentiel pour éviter d’accentuer les pressions inflationnistes à moyen terme, qui exigeraient, sinon, une politique monétaire encore plus stricte. Les politiques budgétaires devraient être définies de manière à améliorer la productivité de l’économie et à réduire progressivement les niveaux élevés de dette publique. Des réformes structurelles et des investissements visant à renforcer la capacité d’offre de la zone euro pourraient contribuer à atténuer les pressions sur les prix à moyen terme, tout en encourageant les transitions écologique et numérique.
Il a été avancé que l’orientation budgétaire devrait devenir globalement plus stricte dans les années à venir, ce qui pourrait freiner l’activité économique. Toutefois, les stabilisateurs automatiques agissant en sens opposé dans un contexte de croissance en baisse et d’inflation plus faible empêcheront probablement une amélioration significative du solde budgétaire, ce qui complexifie les perspectives budgétaires. Il a été souligné que le bon fonctionnement d’une union monétaire dotée d’une politique monétaire axée sur la stabilité nécessite un ensemble de règles budgétaires claires et simples.
Dans ce contexte, les membres du Conseil ont estimé que les risques pesant sur la croissance économique étaient orientés à la baisse. La croissance pourrait être plus faible si les effets de la politique monétaire s’avèrent être plus marqués qu’anticipé. Un affaiblissement de l’économie mondiale ou un nouveau ralentissement du commerce mondial pourraient également peser sur la croissance de la zone euro. La guerre injustifiée menée par la Russie contre l’Ukraine et le conflit tragique au Moyen-Orient constituent des sources importantes de risques géopolitiques. Cela pourrait conduire les entreprises et les ménages à se montrer moins confiants quant à l’avenir. En revanche, la croissance pourrait se redresser si la hausse des revenus réels entraînait une augmentation des dépenses plus importante qu’anticipé, ou si l’économie mondiale devait croître plus fortement que prévu.
S’agissant de l’évolution des prix, les membres du Conseil ont largement partagé l’évaluation présentée par M. Lane dans son introduction. Ils ont souligné le fait que la baisse récente de l’inflation est une bonne nouvelle, car cela suggère un processus désinflationniste plus rapide que prévu. La baisse ne résulte pas seulement de la dissipation des chocs énergétiques, mais elle a été généralisée et reflète également les évolutions des composantes core. À court terme, toutefois, l’inflation devrait se redresser à nouveau au cours des prochains mois, principalement en raison des effets de base liés à l’énergie. Les chiffres de l’inflation restent également affectés par la dissipation des chocs passés dans les composantes produits alimentaires et biens industriels hors énergie, ainsi que le retrait des mesures budgétaires, ce qui a rendu plus difficile de bien discerner une tendance sous-jacente. Il convient donc de considérer avec prudence les derniers chiffres de l’inflation et il est trop tôt pour affirmer avec certitude que l’inflation reviendra à sa cible. Il est nécessaire d’avoir plus de données pour confirmer la baisse, en particulier des données sur la croissance des salaires, qui ne sont attendues qu’au printemps de l’année prochaine. Dans ce contexte, il a également été souligné que les mesures relatives aux anticipations d’inflation extraites des instruments de marché n’ont commencé à diminuer significativement qu’après la publication de données relatives à l’inflation inférieures à ce qui était prévu. Cela souligne l’importance des résultats de l’inflation au cours des prochains mois en tant que déterminants des anticipations d’inflation, notamment parce que les anticipations des ménages sont restées rigides.
Dans le même temps, les mesures du momentum de l’inflation – à savoir les taux de croissance en glissement sur trois mois, corrigés des variations saisonnières – ont suggéré que l’inflation totale et l’inflation core sont globalement revenues à leur cible en novembre. Même si ces mesures sont volatiles, il a été avancé que celles-ci prédisent souvent mieux l’inflation future que les taux de croissance annuels. Cependant, il a également été souligné que l’ajustement des prix était généralement plus fréquent en début d’année et donc qu’en fin d’année, les signaux de ces mesures sur l’inflation future devaient être interprétés avec beaucoup de prudence, en partie en raison des difficultés statistiques liées aux corrections saisonnières dans les conditions actuelles.
Plus largement, il a été souligné que le ralentissement attendu de l’inflation a également interagi avec la vigueur de l’activité économique, ce qui a déterminé, pour les responsables de la fixation des prix, l’ampleur et la rapidité de la répercussion de leurs coûts sur les prix finaux. D’une part, comme les perspectives concernant l’activité économique établies par les services de la BCE semblaient trop optimistes, il a été avancé que la vigueur de la désinflation était probablement sous-estimée. Cette inquiétude semble avoir été confirmée par les récentes anticipations des marchés, dont ressortait une trajectoire d’inflation nettement plus faible que dans les projections établies par les services de la BCE – pour 2024 en particulier. D’autre part, un certain scepticisme a été exprimé sur le fait que la récente tendance baissière de l’inflation pourrait se confirmer au cours des prochains trimestres, notamment parce que la politique budgétaire devrait rester accommodante pendant un certain temps et que les tensions sur le marché du travail devraient continuer de pousser à la hausse les salaires et, indirectement, l’inflation dans le secteur des services. De plus, on ne peut exclure une nouvelle hausse marquée des prix de l’énergie et des produits alimentaires.
En ce qui concerne les évolutions des salaires, les membres du Conseil ont rappelé que les perspectives salariales sont essentielles pour comprendre les tensions inflationnistes à moyen terme. On continue d’observer des pénuries de main-d’œuvre et la croissance des salaires demeure forte, avec une augmentation à un rythme élevé de la rémunération par tête et des signes de stabilisation seulement limités en provenance des salaires négociés et de l’outil de suivi des salaires de la BCE. Conjugués à un ralentissement de la croissance de la productivité, les coûts unitaires de main-d’œuvre ont crû à un niveau record de 6,6 % au troisième trimestre, ce qui a contribué à la persistance de l’inflation domestique à des niveaux qui ne sont pas cohérents avec la stabilité des prix à moyen terme. Il convient donc de rester vigilant. De plus, le fort redressement prévu de la croissance de la productivité pourrait ne pas se matérialiser si une partie de son ralentissement s’avérait être structurel ou si le maintien de sureffectifs persistait plus longtemps. Il serait donc important d’assurer un suivi des prochains cycles de négociations salariales. Dans la mesure où les négociations de plusieurs accords salariaux ne seront conclues qu’en début d’année prochaine, les membres du Conseil ne s’attendent pas à ce que des éléments quantitatifs significatifs corroborant la modération projetée de la hausse des salaires soient disponibles avant le milieu d’année. Si la forte croissance des salaires a donc constitué un risque à la hausse pour les projections d’inflation établies par les services de l’Eurosystème, il a également été reconnu que le nouveau ralentissement de l’inflation récemment observé – et prévu dans les projections– devrait entraîner une baisse des exigences salariales. Si l’inflation continue d’être particulièrement faible, cela pourrait également rendre les effets de second tour moins probables. Dans le même temps, il a été souligné que la baisse de l’inflation ne se reflétait pas pleinement dans les perceptions des entreprises et du grand public jusqu’à présent, et qu’il convient donc de ne pas considérer comme acquis que les chiffres plus faibles de l’inflation se traduiraient immédiatement par une baisse des exigences salariales.
Une des raisons expliquant pourquoi l’inflation domestique a commencé à se stabiliser récemment, malgré la persistance de la rapide hausse des salaires, pourrait être que les entreprises ont modéré leurs marges. Bien que déjà intégrée dans les précédentes projections établies par les services de l’Eurosystème, une importante hypothèse des projections de décembre concernait la diminution de la contribution des bénéfices unitaires à l’inflation telle que mesurée par le déflateur du PIB. Cela soutenait la convergence des tendances de l’inflation à moyen terme vers la cible. L’ajustement à la baisse significatif de la contribution des bénéfices unitaires observé dans les dernières données des comptes nationaux pour le troisième trimestre est venu conforter ces anticipations. Cela semble en ligne avec le retour des bénéfices unitaires à leur tendance précédente, comme supposé dans les projections. Ce retour à la tendance est en partie de nature cyclique, mais il pourrait bien se produire plus ou moins rapidement que prévu dans les projections actuelles, ce qui souligne l’incertitude particulièrement élevée entourant cette composante de désinflation actuelle et projetée.
En ce qui concerne les anticipations d’inflation à plus long terme, les membres du Conseil ont pris note des évaluations réalisées par Mme Schnabel et M. Lane relatives aux dernières évolutions des mesures de la compensation de l’inflation extraites des instruments de marché et des indicateurs tirés d’enquêtes. Les anticipations d’inflation tirées des instruments de marché restent globalement ancrées à 2 %, et ont baissé récemment, reflétant la vision du marché selon laquelle l’inflation diminuerait rapidement et se stabiliserait à 2 %. Dans le même temps, les prévisionnistes professionnels continuent de se montrer plus prudents. Il a également été souligné que les anticipations d’inflation des ménages et des entreprises sont restées rigides et bien supérieures à la cible de la BCE. Plus largement, il a été considéré que l’écart exceptionnellement important qui s’est formé entre la trajectoire de taux d’intérêt tirée des valorisations sur les marchés financiers et les hypothèses concernant les taux d’intérêt intégrées dans les projections établies par les services de l’Eurosystème indique des risques à la hausse pesant sur la trajectoire d’inflation prévus par les services de l’Eurosystème. Toutefois, il a été difficile d’établir dans quelle mesure la diminution tout aussi forte du prix de l’énergie depuis la date d’arrêté des projections donnerait une nouvelle impulsion baissière à l’inflation dans les prochains mois.
Dans ce contexte, les membres du Conseil ont mis en évidence plusieurs risques pesant sur les perspectives d’inflation à moyen terme, dans les deux sens. Les risques haussiers pesant sur l’inflation comprennent les tensions géopolitiques accrues, qui pourraient entraîner un renchérissement de l’énergie à court terme, et les événements météorologiques extrêmes, qui pourraient pousser à la hausse les prix des produits alimentaires. L’inflation pourrait aussi être plus forte qu’anticipé si les anticipations d’inflation dépassaient l’objectif, ou si les salaires ou les marges bénéficiaires augmentaient plus que prévu. En revanche, l’inflation pourrait surprendre à la baisse si la politique monétaire freinait davantage la demande qu’anticipé ou si l’environnement économique dans le reste du monde se détériorait de manière inattendue, en raison potentiellement de l’aggravation récente des risques géopolitiques. Dans l’ensemble, les risques ont été considérés comme globalement équilibrés, certains membres du Conseil évaluant les risques comme étant orientés à la hausse et d’autres membres les jugeant comme s’orientant désormais à la baisse, en ligne avec la persistance des risques à la baisse pesant sur l’activité économique.
Dans ce contexte, les membres du Conseil ont débattu de la notion de « dernier kilomètre » dans la trajectoire de désinflation comme étant la distance la plus difficile à couvrir. D’une part, il a été avancé que cette notion était une manière utile de résumer les défis auxquels est confronté le Conseil des gouverneurs dans la détermination de la persistance des tensions inflationnistes et de la durée nécessaire de restriction de la politique monétaire. Depuis le début, il est admis que ramener l’inflation de niveaux supérieurs à 10 % à un niveau de 2 % serait difficilement possible sans s’exposer à des effets secondaires, tels qu’une baisse de l’emploi et de la production. Étonnamment, jusqu’à présent, les progrès sur le front de l’inflation se réalisent à un coût relativement modeste pour l’activité économique, la perspective d’un atterrissage en douceur se maintenant. Par conséquent, avec l’inflation dans le secteur des services ressortant encore à 4 % et la poursuite de la forte croissance des salaires, un « dernier kilomètre » potentiellement difficile reste possible. À cet égard, il a été réaffirmé que les projections établies par les services de l’Eurosystème reposaient sur une modération de la croissance des salaires, une atténuation de la croissance des salaires par une diminution des bénéfices unitaires et un rebond soutenu de la croissance de la productivité contribuant à réduire le taux de croissance des coûts unitaires de main-d’œuvre. Les nouveaux progrès en matière de désinflation reposent donc sur un certain nombre d’hypothèses favorables et sur des anticipations d’inflation restant solidement ancrées. De plus, des rigidités potentielles des prix et des salaires – résultant par exemple de caractéristiques rétrospectives des négociations salariales – et l’impact des chocs structurels sur l’économie et sur la dynamique d'inflation pourraient bien contribuer à des retards du type « dernier kilomètre » en matière de désinflation. Il y a également un risque de nouveaux chocs, tels que de nouveaux chocs sur les prix de l’énergie et des produits alimentaires, et les effets du changement climatique sur les prix des produits alimentaires, ainsi que des mesures liées au climat telles que des taxes carbone plus élevées, qui pourraient rendre l’inflation plus persistante et plus facilement désancrer les anticipations d’inflation après une longue période d’inflation supérieure à la cible.
D’autre part, il a été mentionné que la notion d’un « dernier kilomètre » difficile pourrait réduire la confiance dans le fait que la cible d’inflation de la BCE sera atteinte au plus tôt. Plus fondamentalement, la raison pour laquelle la nature du processus désinflationniste changerait à mesure que la cible se rapproche n’est pas claire. Si l’on examine les données d’inflation annuelles sur les dernières années, il semble que, à ce jour, la désinflation a effectivement été plus rapide que la précédente hausse de l’inflation, ce qui remet en question la pertinence empirique du narratif du « dernier kilomètre ». Il a été souligné que l’inflation dépendait de l’état de l’économie et de la politique monétaire. Avec l’affaiblissement de l’économie, le resserrement de la politique monétaire et le ralentissement de l’économie mondiale, il ne serait pas étonnant d’observer une diminution rapide de l’inflation. Enfin, il a été avancé que la principale condition qui pourrait rendre l’inflation plus persistante à l’approche de la cible d’inflation serait la perte d’ancrage des anticipations d’inflation, ce qui dépend in fine de la crédibilité de la politique monétaire.
S’agissant de l’analyse monétaire et financière, les membres du Conseil ont largement partagé l’évaluation présentée par M. Lane dans son introduction. L’évolution la plus significative depuis la dernière réunion de politique monétaire du Conseil des gouverneurs étant la baisse marquée des taux d’intérêt de marché, qui s’est intensifiée à la suite des décisions de politique monétaire du Comité fédéral de l’open market (FOMC) et de la conférence de presse du 13 décembre, comme le montrent les évolutions de marché récentes présentées par Mme Schnabel. Les mesures des anticipations d’inflation extraites des instruments de marché ont aussi considérablement diminué sur l’ensemble des horizons, pour se rapprocher de 2 %, reflétant l’opinion des intervenants de marché selon laquelle l’inflation devrait reculer rapidement et se stabiliser à ce niveau. Néanmoins, les taux d’intérêt réels ont fortement baissé au-delà du court terme, car les taux d’intérêt nominaux ont reculé davantage que les anticipations d’inflation correspondantes intégrées dans les prix de marché. Globalement, la baisse des taux d’intérêt de marché et la hausse des prix des actifs risqués ont entraîné un assouplissement des conditions financières selon la plupart des mesures. Toutefois, la récente appréciation de l’euro agit dans le sens opposé.
Les membres du Conseil ont généralement reconnu que cette réévaluation des prix sur les marchés financiers pourrait, au moins en partie, être attribuée à de récentes bonnes nouvelles concernant le ralentissement généralisé de l’inflation dans la zone euro et d’autres grandes économies avancées. Toutefois, le sentiment s’est largement imposé que les anticipations des marchés reflétaient un optimisme significatif et qu’elles ne correspondaient pas aux perspectives figurant dans les projections, qu’il s’agisse des perspectives d’inflation ou de la trajectoire des taux intégrée dans les hypothèses techniques. Reflétant la courbe des taux à terme à la date d’arrêté, les projections n’ont intégré que 75 points de base environ de réduction de taux pour 2024. De plus, il a été rappelé que les analystes, dont les participants à l’enquête auprès des analystes monétaires, restaient nettement plus prudents. Il a également été rappelé que les anticipations de marché étaient volatiles. Les perceptions et les narratifs des marchés ont considérablement évolué depuis la dernière réunion de politique monétaire du Conseil des gouverneurs, inversant largement le mouvement antérieur qui, entre septembre et octobre, a poussé les taux vers le haut en raison d’un narratif « élevé plus longtemps ». Cela augure d’une possible autre inversion du sentiment des marchés au cours des prochains mois.
Des inquiétudes ont été exprimées sur le fait que la forte réévaluation des prix sur les marchés menaçait d’assouplir de manière excessive les conditions financières, ce qui pourrait compromettre le processus désinflationniste. Dans ce contexte, il a été largement considéré comme important de ne pas répondre aux attentes des marchés dans la communication post-réunion.
Globalement, il a été rappelé qu’une certaine humilité était de mise pour juger les anticipations des marchés compte tenu des incertitudes actuelles, notamment l’incertitude qui entoure les perspectives de croissance et d’inflation. Il a également été noté que, si jamais l’inflation devait encore baisser, le niveau actuel des taux d’intérêt deviendrait de plus en plus restrictif au fil du temps.
Les membres du Conseil se sont accordés sur le fait que, jusque-là, la politique monétaire a continué de se transmettre vigoureusement aux conditions de financement au sens large. Les taux d'intérêt moyens des prêts aux entreprises et des prêts hypothécaires ont encore augmenté en octobre. La hausse des taux d’emprunt, l’atonie de la demande de prêts et le resserrement de l’offre de prêts ont de nouveau affaibli la dynamique du crédit. Du fait de l’affaiblissement de l’activité de prêt et de la réduction de la taille du bilan de l’Eurosystème, la monnaie au sens large – mesurée par la croissance annuelle de M3 – a continué de se contracter pour le quatrième mois de suite et la croissance de M1 est restée négative pour le dixième mois de suite. Dans le même temps, il a été noté que la récente réévaluation des prix sur les marchés financiers avait déjà commencé à se traduire par une baisse des taux d’intérêt appliqués aux nouveaux prêts hypothécaires et que, dans certaines juridictions où les prêts hypothécaires à taux flottants prévalent, le taux moyen de l’encours de prêts au logement pourrait commencer à baisser au cours du trimestre prochain.
Globalement, la transmission de la politique monétaire à la croissance des prêts est demeurée très forte. Le taux de croissance annuel des prêts bancaires consentis aux sociétés non financières s’est établi en territoire négatif pour la première fois depuis juillet 2015 et la croissance des prêts aux ménages est elle aussi demeurée atone. Il a été affirmé qu’il existait dans le secteur bancaire des signes de durcissement excessif (« over-tightening »), qui reflètent le double effet de la hausse des taux directeurs et de la baisse des dépôts dans un contexte de recul de l’offre de liquidité, même s’il a également été avancé qu’il n’y avait pas de risque sérieux en matière de liquidité étant donné l’environnement actuel d’excédent toujours abondant. De plus, il a été rappelé que la baisse de la liquidité dans le système avait eu un impact limité et que les banques avaient continué de rembourser les TLTRO volontairement.
Le Conseil des gouverneurs a procédé à son évaluation semestrielle approfondie des liens entre la politique monétaire et la stabilité financière. Les membres du Conseil se sont accordés sur le fait que les banques de la zone euro ont démontré leur capacité de résistance, qu’elles ont des ratios de fonds propres élevés et qu’elles sont devenues nettement plus rentables en 2023. Toutefois, la situation pourrait se détériorer si les coûts de financement des banques ou le risque de crédit venaient à augmenter davantage que prévu, mais d’après les évaluations, ces risques seront contenus si la réaction du marché à ces scénarios est ordonnée. Il a été réaffirmé que la politique macroprudentielle restait la première ligne de défense contre l’accumulation de vulnérabilités financières, et que les mesures en place contribuaient à préserver la capacité de résistance du système financier.

Orientation de politique monétaire et considérations sur la stratégie à mener

S’agissant de l’évaluation de l’orientation de la politique monétaire, les membres du Conseil ont souligné que, si elle était maintenue pendant une durée suffisamment longue, l’orientation actuelle de la politique monétaire était suffisamment restrictive pour ramener au plus tôt l’inflation vers la cible. Sur la base des taux d’intérêt intégrés dans les projections, qui s’établissent au-dessus des taux d’intérêt de marché, les projections suggèrent que la trajectoire des taux est en ligne avec le retour à la cible d’inflation au second semestre 2025.
Dans ce contexte, les membres du Conseil ont évalué les données devenues disponibles depuis la dernière réunion de politique monétaire conformément aux trois principaux éléments de sa « fonction de réaction » communiqués par le Conseil des gouverneurs plus tôt en 2023. Ceux-ci comprennent les implications des dernières données économiques et financières pour les perspectives d’inflation, la dynamique de l’inflation sous-jacente et la force de la transmission de la politique monétaire. Globalement, il a été considéré que les trois éléments de la fonction de réaction évoluaient tous dans la bonne direction, montrant clairement que la politique monétaire fonctionnait comme prévu.
S’agissant tout d’abord des perspectives d’inflation, les membres du Conseil ont largement partagé l’évaluation présentée par M. Lane dans son introduction. Dans l’ensemble, le processus de désinflation semble se dérouler sans heurts et probablement plus fortement qu’anticipé, les estimations rapides de novembre ayant été nettement plus basses que prévu. La baisse de l’inflation est encourageante et a été généralisée, couvrant l’ensemble des principales composantes, y compris les composantes core. Cela indique une faiblesse de la demande et reflète l’impact de la politique monétaire ainsi que l’atténuation des effets des autres facteurs qui avaient poussé l’inflation à la hausse. Cela justifie la confiance accrue dans le fait que l’inflation serait ramenée vers la cible au plus tôt. Mais il a été souligné que l’inflation devrait probablement de nouveau augmenter à très court terme en raison d’un effet de base haussier lié au coût de l’énergie et ne baisserait que lentement courant 2024.
De plus, l’inflation projetée pour 2025 est largement inchangée dans les projections de décembre établies en septembre et reste légèrement supérieure à la cible, notamment pour l’inflation core. Toutefois, il a été noté que la hausse des prix des services avait commencé à se ralentir et que, plus généralement, les tensions inflationnistes s’atténuaient pour l’ensemble des composantes. Cela indique une faiblesse de la demande, affectée en partie par la politique monétaire. Il a été souligné que la dynamique future des salaires demeurait très incertaine, un grand nombre de nouveaux accords devant être négociés début 2024. Aucun signe manifeste d’un retournement durable des salaires n’est encore visible, ce qui est nécessaire pour gagner suffisamment de confiance dans le fait que l’inflation continuera de revenir à l’objectif de 2 % de la BCE. Dans le même temps, il a été noté que les taux d’inflation trimestriels avaient fortement baissé au cours de l’année passée et que les nouvelles projections des services de l’Eurosystème contenaient une importante révision à la baisse de l’inflation pour 2024. De plus, des signes indiquant une stabilisation ou une baisse de la croissance des salaires sont apparus et il a été avancé que les salaires constituaient un indicateur retardé. Toutefois, il a été souligné que les projections pour 2025 étaient globalement inchangées dans la campagne de décembre et que l’inflation core demeurait supérieure à 2 % sur cet horizon. Les risques à la hausse pesant sur l’inflation provenant des perspectives en matière de politique budgétaire, dont la hausse des taxes carbone, et en matière de prix de l’énergie et des produits alimentaires ont également été jugés élevés, tout comme les risques géopolitiques actuels. Si de tels risques à la hausse pesant sur l’inflation se matérialisaient ou si des changements structurels défavorables plus nets devaient apparaître, les tensions sur l’inflation pourraient devenir plus persistantes.
Les membres du Conseil se sont accordés sur le fait que les indicateurs de l’inflation sous-jacente semblaient avoir dépassé leur pic et continuaient de s’inscrire en baisse. Toutefois, la dynamique de l’inflation sous-jacente est demeurée soutenue dans une perspective historique, y compris s’agissant des mesures corrigées des chocs sur l’énergie et des goulets d’étranglement du côté de l’offre. En particulier, l’inflation domestique est restée élevée et s’inscrivait en légère baisse à un rythme lent, la viscosité de la croissance des salaires et de l’inflation dans le secteur des services en particulier reflétant un marché du travail toujours dynamique. Il a également été indiqué que les effets de base et les mesures budgétaires ont rendu encore plus difficile la détermination de la dynamique véritable de l’inflation sous-jacente.
S’agissant de l’évaluation de la transmission de la politique monétaire, les membres du Conseil ont généralement reconnu que celle-ci se poursuivait avec vigueur et contribuait à atténuer les tensions inflationnistes tant sur les biens que les services. De plus, il a été avancé qu’une part significative de la transmission des taux d’intérêt ne s’était pas encore matérialisée, le pic de l’impact global sur l’activité observé début 2024 et l’essentiel de l’effet sur l’inflation étant encore attendus au cours des deux prochaines années. Il a été mentionné que la transmission aux conditions de financement et à l’activité de prêt agissait plus fortement qu’initialement prévu et que des non-linéarités ou une amplification financière pouvaient être à l'œuvre. Ces effets ne sont généralement pas inclus dans les modèles standards ni dans le scénario de référence des projections et pourraient soutenir le renforcement de la transmission à l’activité économique et aux prix.
Il a été fait référence au large éventail d’estimations de l’impact de la normalisation de la politique monétaire depuis décembre 2021, avec d’importantes différences quant à l’ampleur et à la persistance des effets en fonction des divers modèles utilisés pour l’analyse de la politique monétaire et dans les projections, ainsi que selon les différentes hypothèses sous-jacentes. Dans ce contexte, il a été avancé que la désinflation observée ne confirmait pas l’idée selon laquelle la forte hausse de l’inflation avait été transitoire, mais soutenait plutôt l’opinion selon laquelle les mesures de politique monétaire décisives prises par la BCE avaient largement contribué à ce résultat.
Pour l’avenir, il a également été souligné, toutefois, qu’une partie de la transmission devait encore se matérialiser et que les volants de liquidité des entreprises et l’épargne excédentaire des ménages, qui avaient dans une certaine mesure limité l’impact de la politique monétaire sur la demande agrégée, pourraient diminuer parallèlement à la contraction du bilan de l’Eurosystème. Cela a été vu comme suggérant que l’impact des conditions de financement restrictives pourrait être plus fort que prévu au cours des trimestres à venir. Toutefois, il a été avancé que les éléments indiquant un renforcement des effets du resserrement de la politique monétaire étaient limités, l’activité économique évoluant globalement en phase avec les anticipations, le marché du travail demeurant tendu et les ajustements à la baisse des anticipations d’inflation semblant suivre davantage les surprises à la baisse en matière d’inflation que la faiblesse de l’économie.
Globalement, sur la base des projections de décembre établies par les services de l’Eurosystème, les membres du Conseil ont exprimé une confiance accrue dans le fait que l’inflation serait ramenée vers la cible de 2 % en 2025, même si les avis ont divergé quant à la question de savoir s’il existait des raisons d’être suffisamment confiant dans le fait que la cible serait atteinte au plus tôt. Par conséquent, il a été jugé nécessaire de rester vigilant et patient, et de maintenir une orientation restrictive pendant un certain temps.
Il a été souligné qu’il fallait se garder de tout excès de confiance et que ce n’était pas le moment pour le Conseil des gouverneurs de baisser la garde. La prudence est de mise, car l’inflation repartira probablement à la hausse à court terme et des incertitudes persistent en lien avec les salaires et la dynamique de l’inflation sous-jacente. Cela suggère qu’il est encore trop tôt pour considérer la tâche comme accomplie.

Décisions et communication de politique monétaire

Dans ce contexte, tous les membres du Conseil ont approuvé la proposition de M. Lane de maintenir les trois taux d’intérêt directeurs de la BCE à leur niveau actuel. Il a été considéré que les trois éléments de la fonction de réaction du Conseil des gouverneurs soutenaient cette décision. Les membres ont exprimé leur confiance dans le fait que l’orientation de la politique monétaire restait suffisamment restrictive, ce qui donne au Conseil des gouverneurs la possibilité de maintenir les taux à leurs niveaux actuels et de prendre le temps d’évaluer les perspectives d’inflation, la dynamique de l’inflation sous-jacente et la force de la transmission de la politique monétaire. Réaffirmer l’approche dépendante des données adoptée par le Conseil des gouverneurs a été jugé important, en mettant l’accent sur les trois éléments de la fonction de réaction, ce qui fournit une approche structurée de la prise de décision et de la communication en matière de politique monétaire. Cela a également été vu comme faisant partie intégrante de l’orientation réunion par réunion du Conseil des gouverneurs et offre la flexibilité nécessaire.
S’agissant des politiques affectant la taille et la composition du bilan de l’Eurosystème, une très large majorité des membres du Conseil ont approuvé la proposition de M. Lane de procéder à la normalisation du bilan à un rythme mesuré et prévisible.
Cela a été considéré comme une réponse proportionnée au vu des objectifs initiaux du PEPP, qui est un instrument conçu pour contrer les risques graves posés par la pandémie au mécanisme de transmission de la politique monétaire et aux perspectives de la zone euro. La pandémie, ou au moins son caractère d’urgence, étant terminée, maintenir les réinvestissements en totalité n’est plus approprié. De plus, les marchés fonctionnent actuellement sans heurts et les inquiétudes suscitées par la fragmentation sont limitées. Cela signifie que les risques liés à l’arrêt des réinvestissements en totalité sont contenus, notamment parce que le passage à des réinvestissements partiels permet toujours des réinvestissements flexibles si nécessaire. Par conséquent, le moment est opportun pour prendre cette décision, qui constitue une autre étape logique dans la normalisation du bilan de l’Eurosystème.
Étant également globalement en ligne avec les anticipations des marchés, la proposition ne devrait pas surprendre les intervenants de marché. De plus, cette approche permettra un ajustement sans heurts, en particulier du fait que les remboursements au titre du portefeuille du PEPP sont très faibles par rapport aux autres sources de réduction du bilan en 2024. Dans le même temps, il a été jugé fondamental que toute décision de mettre fin aux réinvestissements en totalité plus tôt que ce qui était initialement prévu soit complètement déconnecté des décisions relatives à l’orientation de politique monétaire liées au niveau des taux directeurs. Cela signifie qu’il est important de souligner que les décisions en matière de taux d’intérêt constituent le principal instrument de la politique monétaire du Conseil des gouverneurs.
Tandis que certains membres du Conseil préféraient mettre fin aux réinvestissements en totalité plus tôt que ce qui avait été proposé, suggérant que la réduction (tapering) pourrait commencer plus tôt et être plus progressive, d’autres membres ont avancé que les réinvestissements en totalité devraient se poursuivre jusque fin 2024. Dans ce contexte, il a été avancé que la différence entre commencer la réduction ou mettre fin aux réinvestissements quelques trimestres plus tôt ou plus tard n’affecterait pas l’évaluation de la proportionnalité.
Les membres du Conseil ont unanimement approuvé la proposition de M. Lane de continuer de faire preuve de flexibilité dans les réinvestissements des remboursements des titres arrivant à échéance dans le portefeuille PEPP.

Compte tenu des discussions qui se sont déroulées entre les membres et sur proposition de la présidente, le Conseil des gouverneurs a pris les décisions de politique monétaire présentées plus en détail dans le communiqué de presse de politique monétaire s’y rapportant. Les membres du Conseil des gouverneurs ont ensuite finalisé la déclaration de politique monétaire, que la présidente et le vice-président allaient prononcer, comme d’habitude, lors de la conférence de presse tenue à l’issue de la réunion du Conseil des gouverneurs.

Déclaration de politique monétaire

Déclaration de politique monétaire lors de la conférence de presse du 14 décembre 2023

Communiqué de presse

Décisions de politique monétaire

Réunion du Conseil des gouverneurs de la BCE, 13-14 décembre 2023

Membres

    •      Mme Lagarde, présidente
    •      M. de Guindos, vice-président
    •      M. Centeno
    •      M. Cipollone
    •      M. Elderson     
    •      M. Hernández de Cos
    •      M. Herodotou
    •      M. Holzmann   
    •      M. Kazāks *     
    •      M. Kažimír
    •      M. Knot
    •      M. Lane           
    •      M. Makhlouf     
    •      M. Müller
    •      M. Nagel          
    •      M. Panetta *     
    •      M. Reinesch *
    •      Mme Schnabel
    •      M. Scicluna *
    •      Mr Šimkus *
    •      M. Stournaras
    •      M. Välimäki, qui remplace temporairement M. Rehn
    •      M. Vasle
    •      M. Villeroy de Galhau
    •      M. Vujčić
    •      M. Wunsch

* Membres ne disposant pas de droit de vote en décembre 2023 en vertu de l’article 10.2 des statuts du SEBC.

Autres participants

    • M. Dombrovskis, vice-président exécutif de la Commission **
    • Mme Senkovic, secrétaire, directrice générale du Secrétariat
    • M. Rostagno, secrétaire pour la politique monétaire, directeur général Politique monétaire
    • M. Winkler, secrétaire adjoint pour la politique monétaire, conseiller de haut niveau, DG Questions économiques
  •  
  • ** Conformément à l’article 284 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

Personnes accompagnantes

    • M. Dabušinskas    
    • M. Demarco          
    • M. Garnier
    • M. Gavilán
    • M. Gilbert 
    • M. Haber  
    • M. Horváth
    • M. Kaasik
    • M. Kelly    
    • M. Koukoularides  
    • M. Lünnemann      
    • M. Nicoletti Altimari           
    • M. Novo   
    • M. Pösö   
    • M. Rutkaste          
    • M. Šošić
    • M. Tavlas
    • M. Ulbrich
    • M. Vanackere                               
    • Mme Žumer Šujica

Autres membres du personnel de la BCE

    • M. Proissl, directeur général Communication
    • M. Straub, conseiller auprès de la présidente
    • Mme Rahmouni-Rousseau, directrice générale Opérations de marché
    • M. Arce, directeur général Questions économiques
    • M. Sousa, directeur général adjoint Questions économiques
La publication du prochain compte rendu de politique monétaire est prévue le jeudi 22 février 2024.

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