Bulletin de la Banque de France

Pouvoir de marché et croissance, quoi de neuf ?

Mise en ligne le 10 Décembre 2019
Auteurs : Antonin Bergeaud

Bulletin n°226, article 5. Depuis le début des années 1970, la croissance de la productivité s’est ralentie dans la plupart des économies avancées, en particulier aux États Unis. Dans ce pays, ce ralentissement s’accompagne d’une augmentation du pouvoir de marché des entreprises et d’une diminution de la part du travail dans le revenu national. La littérature macroéconomique a été particulièrement active ces dernières années pour tenter d’identifier ces faits et pour les expliquer. Cet article s’intéresse en particulier à une explication technologique, en lien avec la révolution numérique.

Image Croissance moyenne de la productivité aux Etats-Unis Description Le graphique présente la croissance moyenne de la productivité aux Etats-Unis : -1950-1970 : plus de 2,0% - 1970-1995 : moins de 1,0% - 1995-2005 : plus de 1,5% - 2005-2018 : plus de 0,5% Source : Base de données accessible sur www.longtermproductivity.com, lié à l'article de Beargeaud et al. (2016). Chiffres clés : 0,7% : la croissance moyenne de la productivité aux Etats-Unis depuis 2005 2,2% : la croissance moyenne de la productivité aux Etats-Unis entre 1950 et 1970 10 points de pourcentage : la baisse de la part du travail dans la valeur ajoutée aux Etats-Unis depuis 2001

1. Des changements macroéconomiques marqués depuis vingt ans

Un ralentissement de la croissance

La croissance économique connaît une baisse importante et tendancielle depuis les années 1970 dans la plupart des économies de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Abstraction faite des États Unis durant la courte période 1995- 2004, le produit intérieur brut (PIB) par habitant des pays avancés a ralenti, pénalisé par une baisse marquée de la croissance de la productivité comme le montre le graphique 1. Sur la période la plus récente, la croissance du PIB par habitant est inférieure à 1 % par an en zone euro et à peine plus élevée aux États Unis, quand celle ci était en moyenne de 2 % depuis la fin du XIXe siècle (cf. Bergeaud et al., 2014 et 2016).

Comme l’ont montré Fernald et al. (2017), ce ralentissement précède la crise de 2008 et n’est donc pas uniquement la conséquence temporaire de celle ci. Il n’est probablement pas non plus un artéfact statistique lié à des erreurs de mesures du PIB comme expliqué par Syverson (2017) et comme quantifié en particulier par Aghion et al. (2018a et 2019a) ainsi que par Byrne et al. (2016). Au contraire, ce ralentissement concret semble bien d’origine structurelle : un phénomène au cœur des débats récents quant aux performances futures de la croissance qu’il est raisonnable d’attendre à plus ou moins long terme (cf. à ce sujet notamment Cette et al., 2016).

Une baisse de la part du travail aux États Unis

Il existe de nombreuses explications possibles au ralentissement de la productivité. Dans cet article, nous nous intéressons en particulier au fait qu’aux États Unis, celui ci s’est accompagné d’une baisse de la part du travail dans la valeur ajoutée, mesurée en comptabilité nationale par la somme des salaires rapportée à la somme des valeurs ajoutées. Ce résultat est d’autant plus surprenant que la stabilité de cette part au cours du temps, autour de deux tiers, est l’un des faits stylisés de la croissance économique décrits par Kaldor (1957). Le graphique 2 illustre ce phénomène à partir de données officielles du Bureau of Labor Statistics (BLS) depuis 1947. On y constate en effet une relative stabilité jusqu’à la fin des années 1990, suivie d’une baisse nette de six points environ concentrée sur la décennie suivante.

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