Bloc-notes Éco

Plan de relance américain : quel impact sur le revenu des ménages ?

Mise en ligne le 5 Août 2020
Auteurs : Annabelle De Gaye, Cristina Jude

Billet n°176. À la suite de la crise de la Covid-19, les autorités américaines ont adopté des mesures de soutien d’une ampleur inédite, qui visent en particulier les ménages. Elles permettraient de préserver le pouvoir d’achat des ménages américains, mais moins de la moitié de ces revenus supplémentaires seraient dépensés.

Image Réponses comparées de politique budgétaire 2020/2008
Graphique 1. Réponses comparées de politique budgétaire 2020/2008 Source : Congressional Budget Office (CBO)

La crise de la Covid-19 a entrainé une forte dégradation du marché du travail américain

La crise du coronavirus a envoyé une onde de choc sans précédent sur le marché du travail aux États-Unis. La distanciation sociale et les autres restrictions ont paralysé de nombreuses entreprises, en particulier dans les services. Ainsi, le nombre d’inscriptions au chômage a explosé entre mi-mars et fin mai 2020 : 4 millions en moyenne par semaine, comparé à environ 220 000 en temps normal. La hausse du chômage a été très rapide, concentrant en seulement deux mois l’équivalent des pertes d’emplois étalées sur deux ans lors de la crise financière de 2008-2009.

La dégradation du marché du travail nécessitait une réponse urgente et forte de la part des autorités américaines. Et cela d’autant plus que la consommation des ménages reste le moteur de l’économie américaine et que les filets de sécurité sociale sont très limités aux États Unis. Par exemple, l’absence de dispositif de chômage partiel est une particularité importante qui différencie le marché du travail américain du marché européen.

L’ampleur impressionnante des mesures de soutien…

Le Congrès américain a adopté fin mars un vaste plan de soutien économique chiffré à environ $2200 Mds, soit 10% du PIB (Coronavirus Aid, Relief, and Economic Security Act - CARES). Il s’agit du plan de relance le plus massif de l’histoire des États-Unis (cf. graphique 1). À cela s’ajoutent d’autres mesures de soutien, pour un montant cumulé de plus de $2700 Mds. Lors de la crise financière de 2008, les mesures budgétaires s’étaient élevées à $1800 Mds, échelonnées sur 5 ans. L’ampleur est donc plus importante aujourd’hui et les mesures sont concentrées sur les trois derniers trimestres de 2020 (pour un coût budgétaire estimé de $2050 Mds en 2020, en excluant les garanties de prêts).

Image  Décomposition du stimulus par catégorie de bénéficiaires
Graphique 2. Décomposition du stimulus par catégorie de bénéficiaires (pour un coût budgétaire estimé de $2050 Mds) Source : CBO, Calculs BdF

Si les mesures couvrent l’ensemble de l’économie, elles visent particulièrement les ménages (60%, cf. graphique 2). On peut notamment souligner l’élargissement massif de l’assurance chômage, tant en termes de montants, que de critères d’éligibilité et de durée. Par exemple, une personne au chômage touchera $600 additionnels par semaine, pour une durée allant jusqu’à 4 mois. D’autres mesures consistent en des paiements directs aux ménages de $1200 par individu, l’instauration d’un congé maladie payé en cas de Covid-19, des allégements fiscaux etc.

Par ailleurs, certains dispositifs à destination des entreprises visent également à soutenir l’emploi. Par exemple, le Paycheck Protection Programme (PPP) propose aux PME des crédits garantis par l’État qui peuvent être effacés à condition que 75% des fonds soient utilisés pour payer des salaires. Ce programme a été largement et rapidement souscrit.

… qui permettrait de combler la perte de revenu à court terme

À l’aide du modèle NiGEM, nous réalisons des simulations pour évaluer l’impact des mesures de soutien sur le revenu des ménages américains et plus globalement sur le produit intérieur brut (PIB), dans un scénario de choc Covid-19 incluant une seule vague de contamination mais avec des effets économiques prolongés.

Le revenu disponible des ménages américains ne serait pas pénalisé en 2020 par rapport à la tendance pré-crise, car les mesures du stimulus compenseraient intégralement la perte de revenu entrainée par la crise Covid-19 (cf. graphique 3). Les ménages gagneraient même en termes de pouvoir d’achat (Revenu Disponible Brut – RDB - réel), du fait du repli de l’inflation (cf. tableau 1).

Image Impact du choc Covid-19 et du stimulus sur le revenu disponible des ménages
Graphique 3. Impact du choc Covid-19 et du stimulus sur le revenu disponible des ménages (% de la tendance pré-crise) Source : Calculs BdF (Simulations NiGEM)

La hausse du revenu disponible des ménages faisant suite aux différentes mesures du stimulus commence déjà à s’observer avec une augmentation de 13% en avril par rapport au mois précédent. Cette hausse à court terme n’est d’ailleurs pas surprenante. Elle confirme des études microéconomiques récentes, comme Ganong et al., 2020, qui trouvent pour les allocations chômage un taux médian de remplacement de 134%, avec deux-tiers des chômeurs éligibles recevant des allocations supérieures à leur rémunération antérieure.

En 2021 cependant, le revenu disponible des ménages se contracterait par rapport à la tendance pré-crise, soit un choc de près de -3% sur le pouvoir d’achat, du fait d’une relative persistance du chômage et sous l’hypothèse d’absence de nouvelles mesures.

Tableau 1. Impact du stimulus sur le revenu des ménages (en % du scénario d'avant-crise)
  2020     2021    
En % Choc Covid-19 (sans mesures) Impact du stimulus fiscal Variation nette Choc Covid-19 (sans mesures) Impact du stimulus fiscal Variation nette
Revenu disponible -9.3 9.4 0.1 -12.4 6.6 -5.8
Revenu disponible réel -8.0 8.9 0.9 -6.3 3.6 -2.7

Source : Calculs BdF (Simulations NiGEM)

L’ impact sur le PIB dépendra du comportement d’épargne des ménages américains

Malgré le relatif maintien du revenu des ménages en 2020, il n’est pas dit que ce revenu de substitution soit entièrement dépensé ni même qu’il soit dépensé dans la même proportion qu’avant crise. S’agissant des transferts aux ménages, nos hypothèses impliquent que 40% des revenus supplémentaires perçus seraient consommés, le reste étant épargné. Au final, le taux d’épargne des ménages approcherait 20% en moyenne sur l’année 2020, contre une moyenne de 8% en 2019.

Cela s’inscrit dans un contexte d’épargne forcée importante qui s’est constituée du fait du confinement et des changements dans les habitudes de consommation (le taux d’épargne a atteint un pic de 32% en avril, après 8% en février et 13% en mars). Cependant, les ménages ciblés par le stimulus se situent essentiellement dans la catégorie des bas salaires, qui ont traditionnellement une propension plus forte à consommer et qui, de surcroît, ont bénéficié d’un accroissement net de revenus (Muellbauer, 2020 ; Ganong et al., 2020). Par ailleurs, selon Karger et Rajan (2020), 48% des chèques versés aux ménages dans le cadre du CARES Act auraient été immédiatement consommés.

Dans l’ensemble, nos résultats indiquent que le stimulus permettrait d’amortir partiellement le choc sur la consommation et l’investissement, et ainsi de compenser la perte d’activité à hauteur de 4,5 points de PIB en 2020. Néanmoins, l’économie américaine se contracterait de 6,5 à 8% en 2020 (selon nos estimations et celles des institutions nationales et internationales). L’effet à plus long terme du stimulus dépendra du comportement de consommation et d’épargne des ménages américains.

Nous effectuons une analyse de la sensibilité de nos résultats aux hypothèses de propension à consommer des ménages. Avec une propension marginale à consommer plus faible à 25%, similaire à celle observée lors des mesures de relance en 2001 et 2008 (Sham et al., 2010), le gain final de PIB serait lui aussi plus faible, autour de 3,4 points.

La nécessité de nouvelles mesures de relance se fait progressivement sentir

Les mesures prises par les autorités américaines répondent surtout à une situation d’urgence. En effet, une bonne partie d’entre elles prendra fin en juillet ou à la fin de l’année. Elles sont destinées à remédier de façon temporaire à un manque de filets de sécurité sociale et ainsi à combler les pertes de revenu à court terme. Toutefois, elles semblent insuffisantes pour permettre à l’économie américaine de redémarrer à moyen terme, surtout si le choc lié à la crise s’avère relativement persistant. Ainsi, des propositions ont déjà été présentées au Congrès américain visant à adopter un nouveau plan de relance avant l’élection présidentielle en novembre prochain.