Interview

L’Est républicain « Une guerre des monnaies ? Nous n’en sommes pas là »

François Villeroy de Galhau – Interventions

François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France

Published on the 16th of May 2025

François Villeroy de Galhau intervention

Entretien du Gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, au journal « L’Est républicain » du 16 mai 2025.

Entre les manipulations du dollar par Donald Trump et l’ambition de la Chine avec le yuan, peut-on parler de guerre des monnaies ?

« Je ne crois pas. Il y a malheureusement une menace de guerre commerciale, mais la guerre des monnaies serait une situation où chaque pays utilise très activement son taux de change pour essayer de conquérir un avantage économique. Nous n’en sommes pas là. On avait prêté à certains conseillers de M. Trump des projets complexes sur le dollar, un éventuel accord multilatéral, etc. En fait, les mouvements actuels sur les monnaies sont plutôt une conséquence des révisions des perspectives économiques. »

Vous croyez que le projet de Stephen Miran, le chef des économistes de la présidence américaine, ne sera pas mis en œuvre ?

« Ce n’est pas moi qui le dis, c’est aujourd’hui l’administration américaine. Non, l’essentiel, c’est le protectionnisme commercial et l’imprévisibilité américaine, deux composantes qui jouent négativement sur la croissance, et sur la confiance qu’inspirent les États-Unis. »

Mais la rivalité États-Unis-Chine se joue aussi sur les monnaies, non ?

« Le dollar conserve un rôle central dans le paysage monétaire international. Du point de vue américain, il y a deux questions différentes. La première : les autorités américaines, depuis toujours et quelle que soit leur couleur politique, sont extrêmement attachées à ce rôle central [du dollar]. Et tout ce qui diminue aujourd’hui la confiance dans le dollar entre en contradiction avec ce but. La seconde est le niveau du dollar, fixé par les marchés, mais avec une compétence du Trésor américain, en relation avec la Federal Reserve. Là-dessus, à ce jour, les intentions de l’administration Trump sont moins évidentes. Quant au yuan, on ne voit pas aujourd’hui de comportement monétaire anormal des autorités chinoises. »

Dans ce contexte, l’euro a une carte particulière à jouer ?

« L’euro, il faut le rappeler, est un magnifique succès des Européens. L’Europe a su construire une souveraineté monétaire. La meilleure preuve est que, au moment où la Federal Reserve maintient des taux élevés à 4,25 %, nous avons abaissé nos taux à 2,25 %. L’euro est également devenu la deuxième monnaie mondiale. Il y a dans le monde une attente de diversification du système monétaire, et l’euro y a toute sa place. Cela suppose notamment de développer en Europe une union financière, une union d‘épargne et d’investissement. Celle-ci vise à mutualiser l’épargne des Européens et attirer les épargnants internationaux, afin de pouvoir mieux financer nos besoins d’investissement. »

Les cryptos participent-ils de la confusion sur les monnaies ?

« Les cryptos ne sont pas des monnaies, ce sont des actifs financiers risqués, que l’Europe a heureusement choisi de réglementer. Notre réponse est aussi de préparer un euro numérique, pour permettre à chaque citoyen européen d’avoir une monnaie numérique, avec une garantie publique. »

À quand un euro numérique ?

« Les travaux sont en cours… Disons deux à trois ans après la décision politique. »

La Banque de France a publié mardi son enquête mensuelle de conjoncture 

« Notre enquête confirme une certaine résilience de l'économie française. Pour autant, celle-ci est affectée par les incertitudes, et il semble que l'incertitude internationale ait pris le pas sur l'incertitude nationale. Preuve en est que l'incertitude est plus forte dans l'industrie, plus exportatrice, que dans les services. À ce stade, nous voyons pour 2025 une croissance ralentie, mais sans récession.
Nous ne voyons pas non plus de redémarrage de l'inflation. Le protectionnisme de l’administration Trump entraînera un redémarrage de l'inflation aux Etats-Unis, mais pas en Europe, ce qui permettra sans doute une nouvelle baisse des taux d’ici l’été. Mais, pour lever l’incertitude, et dès lors qu'il n'y a malheureusement plus de cap américain, il est très important de donner un cap économique européen : il est urgent de construire la souveraineté économique et financière de l’Europe. Il y a quelques mois, beaucoup d'entreprises françaises et européennes avaient un rêve américain, associé à l'administration Trump. Aujourd'hui, il est malheureusement devenu clair que la politique américaine est contre-productive. À nous de remplacer ce rêve américain par un grand projet européen, par une mobilisation générale européenne. Cela ne se fera pas tout seul ; il faut agir maintenant et fortement selon les recommandations du rapport Draghi : intégrer plus notre marché unique, investir mieux, innover plus vite avec moins de bureaucratie.
Nous constatons aussi un redémarrage progressif dans le bâtiment, après les difficultés qu'a connues ce secteur. C'est un secteur très cyclique, et très lié aux taux d'intérêt. Quand les taux étaient très bas, jusque début 2022, il y a eu une activité exceptionnellement élevée. Nous avons dû ensuite resserrer temporairement les taux d'intérêt afin de vaincre l'inflation, et on a vu l'activité du bâtiment chuter. Aujourd'hui, le crédit immobilier est revenu à peu près à sa moyenne historique ; avec 12 milliards d'euros sur le mois de mars. Le secteur du bâtiment semble se stabiliser, notamment le gros œuvre, la construction, qui avait plus souffert. »

Updated on the 2nd of June 2025