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France Inter : « Répondre aux deux mauvais ingrédients de la salade américaine par une mobilisation positive européenne »

François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France
Published on the 10th of April 2025

Interview du gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, dans la matinale de France Inter jeudi 10 avril 2025.
Répondre aux 2 mauvais ingrédients de la salade américaine par une mobilisation positive européenne
Sonia Devillers
Bonjour François Villeroy de Galhau.
François Villeroy de Galhau
Bonjour Sonia Devillers.
Sonia Devillers
Énième revirement. Hier soir, Dominique Seux vient d'en parler, Donald Trump suspend la hausse tous azimuts des tarifs douaniers qu'il avait lui-même instaurés, sauf pour la Chine. Est-ce que ce sont donc les bourses, qui ont totalement dévissé pendant au moins 72 heures, qui ont réussi à faire plier Donald Trump ? Est-ce que ce sont les marchés qui l'ont obligé à reconnaître son erreur ?
François Villeroy de Galhau
Ce qui s'est passé hier soir, c'est un peu moins pire, si j'ose dire. C'est un début de retour à la raison économique.
Sonia Devillers
Donc, c'est d'abord une bonne nouvelle.
François Villeroy de Galhau
Disons que c'est une moins mauvaise nouvelle. Mais il reste deux mauvais ingrédients dans la salade américaine, si vous me permettez. Le premier, c'est l'imprévisibilité. L'imprévisibilité, c'est toujours l'ennemi de la confiance et de la croissance, d'abord aux États-Unis. L'autre mauvais ingrédient, c'est bien sûr le protectionnisme. C'est jouer contre l'intérêt américain, que de monter les barrières à l'entrée du marché américain, cela va augmenter les prix. Ce sont les consommateurs américains qui vont payer la facture. Et la croissance américaine va quand même rester négativement affectée. Beaucoup plus qu'ailleurs, plus qu'en Europe, on va en parler.
Sonia Devillers
Je rappelle quand même que chaque fois vous êtes venu à notre micro l'année dernière, y compris en toute fin d'année, Monsieur le Gouverneur, vous avez fait l'éloge, ici-même, de l'économie américaine : une santé de fer, des investissements en veut-tu en voilà, de l'optimisme...
François Villeroy de Galhau
Je vous arrête tout de suite, Sonia Devillers, je ne crois jamais avoir fait l'éloge de M. Trump ! Par contre, le grand paradoxe de cette affaire, c'est que l'économie américaine, à la fin de l'année dernière, était — je cite la presse internationale — « l'envie du monde entier », en termes de croissance, d'innovation. Regardez dans les nouvelles technologies. C'est tout cela qui est, aujourd'hui, mis en risque par l'imprévisibilité de la nouvelle administration américaine.
Sonia Devillers
Donc, Donald Trump est en train de tout piétiner ?
François Villeroy de Galhau
Donc, cela reste un exemple de but contre son camp, même si c’est un peu moins depuis hier : il y a un espace de négociation dans ces trois mois. Au passage, d'ailleurs, le fait que les Européens aient gardé leur sang-froid et leur unité a été une bonne chose. Il va falloir encore montrer ces qualités dans la négociation qui va s'ouvrir.
Sonia Devillers
Mais vous craignez quand même ce que Dominique Seux esquissait il y a un instant dans son édito, c'est-à-dire une réaction en chaîne, des paniques, le risque d'une crise financière en réalité ?
François Villeroy de Galhau
Je crois qu'il reste deux mauvais ingrédients, comme je le disais, dans la salade américaine. Et donc, nous, qu'est-ce que nous devons faire ? Il ne faut pas rester tétanisés à subir ce qui se passe. Il va falloir bien négocier, de façon groupée, entre Européens, mais il faut surtout nous mobiliser pour retrouver davantage de maîtrise de notre destin économique.
Sonia Devillers
Quand vous dites « nous », c'est l'Europe ?
François Villeroy de Galhau
C'est nous, Français, collectivement, et nous, Européens, ensemble. C'est le sujet de la Lettre au président de la République, que j’ai publiée hier, qui est en ligne, et qui trace un certain nombre de mobilisations positives, de bonnes mobilisations pour la recette européenne elle-même. Répondons aux mauvais ingrédients américains par une mobilisation positive européenne.
Sonia Devillers
Je voudrais quand même vous poser une question sur le dollar. Moi, je fais partie de la génération qui a appris à l'école que le dollar, c'était la monnaie de l'heure absolue de la finance mondiale. Est-ce que les États-Unis, devenant cette zone d'instabilité que vous décrivez, est-ce que le dollar va continuer à jouer ce rôle-là ?
François Villeroy de Galhau
D'abord, si vous me permettez, je ne fais malheureusement plus partie de la même génération que vous, mais j'ai appris la même chose à l'école... Et la grande constante américaine depuis des décennies, c'est d'être attaché à ce rôle central du dollar. Je crois d'ailleurs que l'administration Trump l’est aussi, mais là aussi, elle est très incohérente dans sa pratique. Ce qui s'est passé ces derniers jours, ces dernières semaines, peut jouer contre la confiance dans la devise américaine.
Sonia Devillers
Et pour la confiance dans l'euro ?
François Villeroy de Galhau
Cela peut jouer, vous avez raison, tout à fait positivement, pour développer le rôle international de l'euro. Au passage, heureusement que nous, Européens, il y a 25 ans, avons fait l'euro. Nous avons gagné notre autonomie monétaire, nous pouvons agir sur les taux d'intérêt de façon différente des Américains. Ce n'était pas du tout le cas auparavant. Mais quand je parle d'une mobilisation générale des Français et des Européens, c'est construire cette autonomie économique dans d'autres champs. C'est le champ budgétaire, enfin maîtriser la dette chez nous, et puis c'est le champ de la croissance, travailler plus et mieux pour les Français, et muscler l'unité européenne - c'est le rapport Draghi.
Sonia Devillers
Et quand vous dites les taux d'intérêt, justement, comment doit réagir l'Europe en matière de taux d'intérêt face à ce qui se passe là depuis plusieurs jours ?
François Villeroy de Galhau
Je précise que, depuis ce matin, je n'ai rien le droit de dire sur l'évolution future des taux d'intérêt, parce que nous avons la semaine prochaine, mercredi et jeudi, un Conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne, et donc je suis en « période de silence ». Par contre, si je regarde derrière nous, nous avons été les premiers à baisser les taux depuis juin dernier, et ils sont aujourd'hui à 2,5 %, c'est-à-dire beaucoup plus bas que les États-Unis ou l'Angleterre. Cela montre donc le succès de notre lutte contre l'inflation.
Sonia Devillers
Donc ça devrait, mécaniquement, continuer à baisser ?
François Villeroy de Galhau
Je ne ferai aucun commentaire sur ce qui va venir. Je vais par contre relever un point important sur le plan économique. On craint évidemment l'inflation aux États-Unis : je l'ai dit, les consommateurs vont payer plus cher leurs voitures, leurs iPhones, leurs habillements, a fortiori pour tout ce qui vient de Chine. La lutte contre l'inflation en Europe, est par contre beaucoup plus avancée. Nous sommes revenus près de 2 %, qui est notre objectif. En France, l’inflation est même nettement en dessous de ces 2 %. Ça, c'est un succès important, et ce succès veut dire aussi du pouvoir d'achat qui revient : aujourd'hui, en France, les salaires, en moyenne, augmentent plus que les prix.
Sonia Devillers
Revenons aux mauvaises nouvelles. Le Gouvernement qui tablait sur 0,9 % de croissance, je reviens aussi à l'édito de Dominique Seux, qui m'a précédé, a annoncé hier soir baisser ses prévisions à 0,7 %. Or, il y a deux organismes clés : l'INSEE et l'OFCE, qui parlent, eux, non pas de 0,7 %, mais de 0,5 %. Et encore, sans intégrer une guerre commerciale dont on ne sait jamais si elle va finir par avoir le jour ou pas, ni de krach boursier, et là aussi, on n'a aucune précision.
François Villeroy de Galhau
Vous me permettez de citer un troisième organisme clé, modestement, qui est la Banque de France…
Sonia Devillers
J'allais vous poser la question.
François Villeroy de Galhau
La Banque de France a cette prévision de 0,7 % depuis le mois de mars. C'était avant les annonces, les allers-retours de M. Trump. Au vu de l'incertitude aujourd'hui, ce ne serait pas sérieux de faire, à chaud, une actualisation. Nous la ferons au mois de juin. Le protectionnisme américain, l'imprévisibilité américaine sont un choc négatif pour la croissance américaine, mais aussi, à moindre titre, pour la croissance européenne. Pour autant, je dis clairement que nous ne voyons pas de récession en France, mais il y a une croissance ralentie. Par rapport à ce que vous disiez sur le budget, je crois qu'il ne faut pas, dans ce grand basculement mondial, trop se focaliser sur le chiffre après la virgule, exactement, de déficit français. J'ai entendu beaucoup de débats là-dessus. Honnêtement, c'est une petite partie de la mobilisation générale française que je crois souhaitable.
Sonia Devillers
En attendant, je lis votre lettre adressée au président.
François Villeroy de Galhau
Dans cette Lettre, je dis quelque chose de très important, je crois. Tout le monde souhaite retrouver la maîtrise de la dette. Cela passe par une chose : c'est qu'il faut qu'on arrête d'augmenter le total de nos dépenses publiques en France...
Sonia Devillers
« Nous ne pouvons pas, à la fois, avoir les dépenses les plus élevées au monde et les faire augmenter en termes réels » écrivez-vous.
François Villeroy de Galhau
Merci, effectivement, de nous avoir lus avec attention. Pour y arriver, je souligne une condition, c'est qu'il faut qu'on s'y mette sur plusieurs années, parce que si l'effort est programmé, il sera plus réaliste...
Sonia Devillers
Les dépenses sociales...
François Villeroy de Galhau
Et il faut que tout le monde s’y mette, parce qu'on se focalise sur le budget de l'État, et effectivement, il faut que l'État montre l'exemple, mais le budget de l'État, c'est à peine plus du tiers du total. Or, malheureusement, les dépenses sociales et locales, elles, elles continuent d'augmenter de plus de 2 % par an après inflation.
Sonia Devillers
Les retraites...
François Villeroy de Galhau
Il y a la question des retraites, et le dialogue social en cours est bienvenu. Il y a aussi la question de la santé, il y a celle des dépenses locales… Nous avons un modèle social formidable en France, j'y suis attaché comme la grande majorité de nos concitoyens. Mais notre problème, c'est que ce modèle social nous coûte beaucoup plus cher que nos voisins européens. C’est un chiffre qui est aussi dans cette lettre au Président, cela nous coûte 260 milliards d’euros de plus. Je ne suis pas en train de dire, ce matin, que nous pouvons faire 260 milliards d’économies comme cela, d'un claquement de doigts. Mais quand même, qu'on aille regarder chez nos voisins ce qui marche le mieux. Et puis dans la mobilisation générale, il y a un volet pour augmenter la croissance. Il faut qu'on travaille plus collectivement, notamment pour les jeunes et les seniors, et qu'on travaille mieux en gagnant de la productivité.
Sonia Devillers
François Villeroy de Galhau, merci.
Updated on the 22nd of April 2025