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RTL : « L'incertitude politique nationale nous coûte au moins 0,2 point de croissance »
Published on the 10th of October 2025

Interview du gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, sur RTL vendredi 10 octobre 2025
RTL : « L'incertitude politique nationale nous coûte au moins 0,2 point de croissance »
Thomas Sotto
L'invité d'RTL Matin, c'est François Villeroy de Galhau, le gouverneur de la Banque de France. Bonjour et bienvenue sur RTL.
François Villeroy de Galhau
Bonjour Thomas Sotto.
Thomas Sotto
La Banque de France vient de publier son enquête mensuelle de conjoncture. Et là je vais vous dire que je suis un peu surpris car j'ai eu l'impression en la lisant que ça n'allait pas si mal. Comment va notre économie, monsieur le gouverneur ?
François Villeroy de Galhau
Je vous apporte ce matin au fond le dernier bulletin de santé de l'économie française. Les hommes et les femmes de la Banque de France interrogent 8 500 entrepreneurs sur le terrain, dans tous les secteurs. Et si je devais résumer, je dirais que le moral n'est pas très bon, parce que nous en avons tous assez de ce grand désordre politique, mais le physique tient.
Thomas Sotto
Le physique tient. L'économie tient.
François Villeroy de Galhau
La réalité de l'économie, grâce au courage des entrepreneurs, grâce au travail de trente millions de Français, c'est une croissance que nous estimons sur ce trimestre à 0,3 %, comme au trimestre précédent d'ailleurs. Nous confirmons du coup notre prévision sur l'ensemble de l'année à 0,7%.
Ce n'est pas brillant, ce n'est pas suffisant, mais souvenez-vous, il y a quelques mois tout le monde craignait la récession. Si on regarde un peu dans le détail, il y a progression dans les services, pour citer des exemples, notamment les transports ou l'hébergement et les loisirs. Il y en a aussi - un peu moins dans l'industrie -, mais cela va toujours bien dans l'aéronautique et mieux dans les industries agroalimentaires. Cela va un peu moins bien ce mois-ci dans le bâtiment, mais cela suit plusieurs mois de hausse. On est donc dans une situation où les entrepreneurs maintiennent leur cap, les Français sont au travail. Raison de plus pour résoudre notre problème de déficit et de dette.
Thomas Sotto
Justement, on va y venir, mais ça veut dire que la bouillabaisse politique dans laquelle on patauge n'a pas d'impact sur l'économie ou peut-être qu'on pourrait faire mieux encore que ces 0,7% ?
François Villeroy de Galhau
On pourrait faire mieux, si. Malheureusement, l'incertitude a un vrai impact.
Thomas Sotto
Elle coûte combien ?
François Villeroy de Galhau
D’abord, pourquoi cet impact négatif ? L'incertitude, c'est le contraire de la confiance et donc c'est le premier ennemi de la croissance. Les ménages épargnent plus quand ils sont inquiets, donc ils consomment moins. Les entreprises attendent pour investir et, effet important, nos emprunts nous coûtent nettement plus cher depuis un an et demi. Il y a un certain consensus pour estimer qu'au total, l'incertitude coûte 0,4 ou 0,5% de croissance.
Thomas Sotto
Ça fait combien en milliards, ça ?
François Villeroy de Galhau
0,1 de croissance en moins coûte trois milliards, donc pas mal de pouvoir d'achat et d'emploi en moins. Il y a un débat ensuite : dans ce total de 0,4-0,5 % de coût de l'incertitude, quelle est la part internationale ? Il y a la guerre en Ukraine, malheureusement, il y a la politique de M. Trump, il y a les pressions de la Chine, il y a Gaza. On observe aussi la remontée du taux d'épargne d'ailleurs. Et quelle est la part nationale ? Nous estimons à la Banque de France que l'incertitude politique nationale nous coûte au moins 0,2 point de croissance.
Thomas Sotto
Donc ça nous coûte cher quand même.
François Villeroy de Galhau
Je vais le dire d'ailleurs positivement dans l'autre sens. Si on pouvait ramener la confiance des ménages, y compris en réduisant les déficits, si le taux d'épargne des ménages diminuait de 1 % - il est aujourd'hui à 18 %, si on revenait à 17 % où on était en 2023- cela nous rapporterait 0,4 point de croissance supplémentaire. Donc voyez que la confiance est quand même un vrai levier pour booster la croissance.
Thomas Sotto
Mais je vous entends et je me dis qu'on n'est pas au bord de la faillite. Quand le patron du MEDEF, Patrick Martin, dit : « Le décrochage économique est enclenché », vous n'êtes pas complètement d'accord ?
François Villeroy de Galhau
Je crois que 0,7% de croissance, ça ne suffit pas. Je vais prendre l'ensemble de l'Europe, parce que la croissance insuffisante est un problème européen. Si on se compare aux États-Unis, a fortiori à la Chine et aux grandes économies émergentes, on n'y est pas.
Thomas Sotto
On est faible.
François Villeroy de Galhau
Donc il faut des réformes fortes, c'est le rapport déposé par M. Draghi l'année dernière pour muscler l'Europe. M. Trump, on en pense ce qu'on veut, et je crois qu'il y a beaucoup à critiquer sur ses politiques, mais il y a une volonté pour l'Amérique. Regardez aussi la Chine, qui est extrêmement offensive. Il faut que l'Europe compte sur ses propres forces. C'est une raison de plus pour qu'on s'occupe sérieusement de notre problème de dette.
Thomas Sotto
Justement, on y vient...
François Villeroy de Galhau
Permettez-moi d'insister là-dessus. Dans ce monde chahuté, incertain, nous avons besoin d'une Europe forte. Or, la France, traditionnellement, c'est la locomotive de l'Europe. Aujourd'hui, c'est le wagon de queue.
Au moment où nous aurions besoin de la France pour tirer le train, il ne faut pas que notre pays s'installe dans la position du wagon de queue.
Thomas Sotto
Justement, la lutte contre la dette, elle va passer par un budget. Un projet de budget qui doit arriver lundi à l'Assemblée nationale pour 2026. Déjà, pour commencer, respecter le calendrier pour le budget, c'est important pour vous, ou vous dites, oh là là, on n'est pas un ou deux mois près ?
François Villeroy de Galhau
Je crois que ce serait beaucoup mieux d'avoir un budget avant la fin décembre.
Thomas Sotto
Et c'est fondamental ?
François Villeroy de Galhau
Le contenu du budget est encore plus important. On va en parler. Mais s'il n'y a pas de budget, il faut prendre ce qu'on appelle une loi spéciale.
Thomas Sotto
Ça nous coûterait cher ?
François Villeroy de Galhau
D'abord, cela fait plus de déficit. Et puis cela veut dire que les crédits ne sont pas au bon endroit : vous reconduisez simplement les crédits de l'année précédente. Or par exemple on sait qu'il faut dépenser plus sur la Défense, et qu’il faudra faire des économies ailleurs. La loi spéciale est une espèce de minimum qui représente un non-choix, ce n'est pas une solution durable. Il faut qu'on parle du contenu. Et il faut qu'on continue à réduire les déficits.
Thomas Sotto
Justement, les déficits. Sébastien Lecornu, avant-hier à la télévision, disait : « On n'est plus vraiment sur un projet qui vise 4,7 de déficit, mais autour de cinq ». Ça changerait vraiment beaucoup de choses ou pas ?
François Villeroy de Galhau
Je crois qu'il faut regarder simplement. On part de 5,4% de déficit cette année en 2025 ; c'est un tout premier progrès parce qu'on a un peu réduit, heureusement. L'objectif, c'est 3 % en 2029. C'est un engagement pris vis-à-vis de l'Europe. Je rencontre beaucoup mes collègues européens : toute l'Europe nous regarde aujourd'hui et les investisseurs qui, sinon, peuvent nous sanctionner sur les marchés. Mais il y a une autre raison : c’est que 3 % de déficit en 2029 c'est le seuil qui nous permet, enfin, de stabiliser le poids de la dette par rapport à la taille de notre économie.
Thomas Sotto
Parce qu'au-dessus de 3 %, la dette augmente quoi qu'on fasse.
François Villeroy de Galhau
Exactement, alors que si on est en dessous de 3 %, on commence, comme l'ont fait tous nos voisins, à réduire le poids de la dette. Ensuite, on peut faire un calcul très simple. Nous avons quatre ans pour diminuer donc le déficit de 2,4 %. Il faut faire la première année le quart de ce chemin. Il faut réduire d'au moins 0,6 %. Il serait donc souhaitable que le déficit ne dépasse pas 4,8 % en 2026.
Thomas Sotto
4,8 % de déficit, dernier seuil acceptable pour vous. Quel est le meilleur moyen de faire rentrer de l'argent dans les caisses ? Est-ce que c'est l'impôt ? Est-ce qu'il est trop inégalitaire l'impôt ? Est-ce qu'il faut taxer les riches ? Qu'est-ce que vous en pensez ?
François Villeroy de Galhau
Il y a un grand débat entre ceux qui disent qu'il faut agir du côté de la maîtrise des dépenses et ceux qui disent qu'il faut augmenter les impôts. Je vais vous dire quelque chose avec un grand pragmatisme. Il est temps de faire des compromis. Moi je suis comme beaucoup de Français, j'en ai assez de ce grand gâchis. La France a des atouts économiques, on l'a dit tout à l'heure, et il y a des solutions budgétaires. Je ne dis pas qu'elles sont faciles, mais elles sont possibles…
Thomas Sotto
Lesquelles ? Les taxes ?
François Villeroy de Galhau
Il faut les deux, sur les dépenses et les impôts, mais pas dans les mêmes proportions. Il faut d'abord agir via les dépenses, je dis pour au moins les trois quarts de la solution. Pas pour des raisons politiques ou idéologiques, mais pour des raisons pratiques. Notre problème, comparé à nos voisins européens, c'est que nous avons à peu près le même modèle social qu'eux, mais il nous coûte beaucoup plus cher. Notre écart total de dépenses, c'est plus de neuf points de PIB. 9 % du PIB, si je convertis en milliards, ça fait 270 milliards d'euros.
Thomas Sotto
On ne va pas être trop technique, mais vous dites trois quarts de l'économie sur les dépenses de l'État, un quart sur les impôts.
François Villeroy de Galhau
Pour préciser sur les dépenses, il s'agit de les stabiliser globalement après inflation. Ce n'est pas faire reculer les dépenses, ce n'est pas l'austérité…
Thomas Sotto
Est-ce que l’impôt est juste ?
François Villeroy de Galhau
J'insiste un peu sur ce point, parce que le débat vient trop vite sur l'impôt. On peut en parler, mais le cœur de la solution, ce sont les dépenses et ce n'est pas l'austérité.
Thomas Sotto
Est-ce qu'il faut faire davantage payer les riches ou est-ce que c'est un faux débat ?
François Villeroy de Galhau
Je crois que les mesures fiscales peuvent agir à titre complémentaire, mais il faut des mesures ciblées et exceptionnelles. Il n'y a pas d'impôt magique que paieraient juste les autres, qui n'aurait aucun effet négatif sur l'économie et qui résoudrait notre problème. Ça, ça n'existe pas. Ciblées, c'est qu'il ne faut pas toucher ni aux classes moyennes ni aux entrepreneurs. Ce serait pénaliser notre économie. Et exceptionnelles : des mesures plutôt temporaires, jusqu'à ce qu'on soit revenu sous les 3 % de déficit. Après, ce n'est pas à la Banque de France de choisir. Je pense qu'effectivement, des mesures dans le sens de la justice fiscale seraient bienvenues.
Thomas Sotto
Si vous étiez au Gouvernement, hypothèse, est-ce que vous…
François Villeroy de Galhau
Je n'y suis pas. Vous me permettez là-dessus, Thomas Sotto ? On m'a parfois posé la question. À chacun sa mission pour servir son pays. La mienne est à la Banque de France.
Thomas Sotto
Votre téléphone n'a pas sonné ?
François Villeroy de Galhau
Je ne réponds pas à cette question, mais je vous ai dit où est ma mission.
Thomas Sotto
Mais si le chef de l'État vous proposait d'être Premier ministre ou ministre de l'Économie, est-ce que votre sens de l'État vous porterait à vous poser la question ?
François Villeroy de Galhau
Il faut que chacun puisse à sa place servir son pays. C'est vrai de tous ceux qui travaillent dans les entreprises dont on parlait tout à l'heure. Je crois qu'avec tous les hommes et les femmes de la Banque de France, nous faisons un travail très utile.
Thomas Sotto
Vous savez que votre nom circule. Vous savez que quand Sébastien Lecornu dit : « Il faut quelqu'un qui n'a pas d'ambition pour 2027, il faut un vrai technicien, quelqu'un qui est un spécialiste du budget ». Pardon, mais vous cochez les cases.
François Villeroy de Galhau
Je crois que j'ai répondu à cette question, là où était ma mission pour servir mon pays. Comme tous les Français, j'aime notre pays. Et j'en ai vraiment assez de ce gâchis politique. Je regarde ce qui se passe chez nos voisins européens. Il est temps de passer des compromis - ce n'est pas un mot injurieux - voire de faire des coalitions. Vous savez, il n'y a pas que l'Allemagne qui a résolu son problème budgétaire : il y a les pays du nord de l'Europe, il y a le Portugal, il y a même la Grèce, il y a l'Italie désormais. Donc, la France devrait y arriver.
Thomas Sotto
Monsieur le Gouverneur, en dix secondes, la réforme des retraites, est-ce qu'il faut la suspendre, la décaler, ou est-ce que ça vous fait hurler ?
François Villeroy de Galhau
Là, ce n'est pas à la Banque de France de se prononcer.
Thomas Sotto
Non mais ça coûte cher.
François Villeroy de Galhau
C'est un débat difficile. Parce que d'un côté, il y a une réalité qui est le déficit des retraites, et avec l'allongement de la durée de vie, cela va encore se dégrader. Et de l'autre côté, il y a des attentes politiques et sociales fortes de correction de la réforme de 2023. Là aussi il faudra des compromis. Je relève que quand on parle de suspension, le mot que vous avez employé, cela recouvre des réalités très différentes. On peut avoir un vrai regret, c'est l'échec du conclave des partenaires sociaux au mois de juin. Et il y a diverses pistes sur lesquelles on peut agir. Je vous renvoie à la lettre annuelle de la Banque de France publiée en avril dernier.
Thomas Sotto
Vous avez la prudence d'un ministre, Monsieur Villeroy de Galhau. Merci d'être venu sur RTL.
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Updated on the 10th of October 2025