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Le Figaro : « Dépenses et services publics : y a-t-il encore un espoir ? »
François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France
Published on the 21st of July 2023
Tribune de François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France
« Oui, on peut améliorer les services publics sans accroître les dépenses ! »
Texte inspiré d’une Conférence à l’Académie des Sciences Morales et Politiques, le 19 juin 2023 à Paris
Sur les services publics, notre pays semble s’enfoncer dans une « étrange défaite ». Trop de services publics souffrent aujourd’hui de l’insatisfaction à la fois de leurs acteurs - les fonctionnaires -, de leurs usagers - les citoyens - et de leurs financeurs - les contribuables. Ces doutes concernent des services aussi fondamentaux que la santé, l’éducation, la justice ou la police. Depuis plus de quarante ans, nos finances publiques n’ont cessé effectivement de se dégrader. En 1980, notre dette publique ne représentait que 20 % du PIB… contre près de 112 % aujourd’hui, une proportion qui ne diminue guère malgré la fin du Covid.
Cette augmentation s’explique par celle du ratio de dépenses publiques, qui est passé de 46 % en 1980 à 58 % aujourd’hui. Même si la préparation du budget 2024 semble marquer une prise de conscience salutaire, la France évolue ici à rebours de ses voisins européens, qui partagent pourtant le même - et bienvenu - modèle social.
Ce « mal français » se traduit par deux symptômes plus politiques. D’une part, nous multiplions les engagements pluriannuels de redressement mais ne les tenons jamais. Comparaison cruelle: l’Allemagne fait systématiquement mieux que ses prévisions, et nous, systématiquement moins bien. Ces manquements répétés nuisent à notre crédibilité. D’autre part, nous concentrons le débat public sur les impôts plutôt que sur les dépenses. Avec, à la clé, un « triangle des Bermudes » des frustrations fiscales : des baisses d’impôt successives depuis 2014 qui nous coûtent 50 milliards d’euros, des Français qui ne les jugent jamais suffisantes, et un changement constant des dispositions fiscales (spécialité française) inefficace, car il accroît l’incompréhension des ménages comme des PME.
Durant ces quatre décennies, les gouvernements successifs ont pourtant essayé: « renouveau du service public » sous Michel Rocard, « RGPP » de Nicolas Sarkozy, « MAP » sous François Hollande, « Cap action publique » du premier quinquennat d’Emmanuel Macron… Nous faisons collection d’acronymes, mais plus personne n’en attend grand-chose.
Et pourtant, loin d’un pessimisme fataliste, je crois au redressement des services publics. Il ne passe pas toujours par l’augmentation des ressources dont nous n’avons plus les moyens, mais au moins autant par le management public et les simplifications. Le gisement des dépenses de fonctionnement est significatif : près d’un tiers des dépenses publiques (475 milliards d’euros, soit 18 % du PIB), et les emplois publics ont crû de 23 % entre 1996 et 2020, et même + 47% pour les collectivités locales après correction des transferts de compétence.
Je crois au service public comme ferment d’unité, de modernité et même de productivité. La transformation publique peut et doit encore contribuer à la compétitivité de notre pays. Vœux pieux ? Non: les exemples de modernisation abondent à l’étranger mais il en existe en France. L’actuelle Direction générale des finances publiques a su augmenter la qualité du service rendu avec le développement massif de la télédéclaration préremplie puis la retenue à la source, et une satisfaction élevée des usagers (82 % !) tout en diminuant ses coûts.
La Banque de France constitue, modestement, un autre exemple de transformation publique. Depuis 2015, nous avons ainsi augmenté les services rendus (éducation économique et financière des publics depuis 2016, engagement dans la finance verte depuis 2017, médiation nationale du crédit depuis 2019, offre multicanale…), en maintenant notre présence territoriale avec au moins une succursale par département. Et nous avons réduit significativement nos effectifs (- 25 %) et nos coûts (- 3,5 % par an de dépenses d’activité en volume… soit au total 200 millions d’euros « rendus » aux contribuables en 2022 par rapport à 2015).
Mais cette exigence a pour contrepartie la délégation des responsabilités. À la Banque de France, chaque directeur général est en charge de l’enveloppe de ses effectifs, de celle de ses frais généraux et de ses investissements, contractualisée sur plusieurs années. Une logique largement reproductible dans l’État, aux ministères et aux grandes administrations. On doit parallèlement s’y donner des objectifs précis de résultats : ils refondent la lisibilité des missions pour nos concitoyens, et leur fierté pour les agents publics. Qu’on arrête au passage la critique systématique des fonctionnaires: oui à l’exigence envers eux, non à leur ostracisation démagogique.
Naturellement, la Banque de France n’est pas la France, et tout n’est pas transposable. Mais notre expérience peut constituer un espoir: rénover le service public, c’est possible !
Updated on the 25th of July 2024