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Le Parisien : « Il faut traiter enfin sérieusement nos problèmes de déficit »

François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France
Published on the 16th of September 2025

Entretien du gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, au journal « Le Parisien » du 16 septembre 2025
Le vote de confiance perdu par François Bayrou retarde l’adoption du budget. Est-ce que cela vous inquiète ?
La crise politique depuis l’été n’a évidemment pas fait disparaître le problème budgétaire, elle l’a plutôt aggravé. Cependant, il y a quand même dans nos prévisions économiques deux points d’appui positifs. Le premier, c’est la victoire contre l’inflation : elle sera à 1 % seulement cette année et à moins de 2 %, notre objectif, en 2026 comme en 2027. Les salaires augmentent désormais en moyenne davantage que les prix. Le deuxième point d’appui, c’est une certaine résilience de l’économie française et de l’emploi. D’ailleurs, nous remontons notre prévision de croissance de 0,6 % à 0,7 % pour 2025. Et pour 2026, nous attendons 0,9 %.
Est-ce suffisant ?
Non ! Mais souvenez-vous qu’il y a un an, beaucoup craignaient la récession. Certes, la croissance est ralentie mais reste positive, le taux de chômage est stable. Si l’on devait comparer la France à une personne, nous pourrions dire que le moral ne va pas bien mais le physique tient malgré tout. Raison de plus pour traiter enfin sérieusement nos problèmes de déficit et de dette.
Malgré la baisse de l’inflation, la consommation patine…
Le pouvoir d’achat ne se transforme pas suffisamment en consommation parce qu’entre les deux les Français épargnent beaucoup. Une des grandes raisons, c’est cette incertitude sur la dette, les déficits, d’éventuelles mesures fiscales…
Comprenez-vous la décision de l’agence Fitch de dégrader la note française ?
Elle était hélas attendue, mais c’est une piqûre de réveil si notre débat politique était tenté de retarder encore le traitement budgétaire. L’agence Fitch rappelle quand même nos atouts, avec une économie française large et diversifiée.
Y a-t-il donc urgence à trouver un accord pour trouver un compromis budgétaire ?
Plus nous attendons, plus ce sera difficile. Lorsqu’on regarde le spread, c’est-à-dire l’écart de taux à 10 ans des différents pays européens par rapport à l’Allemagne, nous en étions avant la dissolution parmi les pays les plus proches. Depuis, nous avons été dépassés par l’Espagne, le Portugal, la Grèce et maintenant rattrapés par l’Italie. Cela augmente le coût non seulement pour les emprunts d’État mais pour l’ensemble des emprunteurs français, les entreprises, les ménages, les banques. L’Allemagne, mais aussi le Portugal, les pays nordiques, et désormais l’Italie ont su redresser leurs finances publiques. À nous Français de suivre ce chemin.
Pour trouver ce chemin, faut-il à tout prix rester sur 44 milliards d’euros d’effort budgétaire pour 2026 ?
Il faut déjà partir du bon endroit, et donc absolument tenir la réduction du déficit en 2025 à 5,4 % du PIB. Et ensuite être clair sur le point d’arrivée : 3 % en 2029. Ce sont nos engagements européens, mais surtout, c’est le niveau où le poids de la dette française va commencer à diminuer. J’insiste : on ne peut plus attendre. Aujourd’hui, nous avons le plus gros déficit de la zone euro et notre ratio de dette augmente encore et toujours.
Pourrait-on envisager un effort moins important en 2026 et se rattraper pour la suite afin de trouver un compromis politique ?
Si dès la première étape du chemin, vous prenez du retard, personne ne croira que vous arriverez à temps. Par contre, il y a différents itinéraires possibles pour avancer : c’est la discussion démocratique légitime.
Quelle est la voie à suivre ?
Il faut commencer par les dépenses, c’est l’essentiel de la solution. Non pas pour des raisons idéologiques, mais pratiques : nous avons à peu près le même modèle social et de services publics que nos voisins européens, mais il nous coûte 9 points de PIB de plus, soit 270 milliards d’euros par an. Il ne s’agit pas de faire reculer les dépenses publiques mais de maîtriser enfin leur hausse, pour que globalement elles n’augmentent pas plus que l’inflation. Ce n’est pas l’austérité.
Où doit-on réaliser des économies ?
Certaines dépenses mécaniquement vont augmenter plus vite que l’inflation : la défense, les dépenses sociales liées au vieillissement, l’Europe à qui nous demandons beaucoup et bien sûr les intérêts de la dette. Il faudra donc chercher des économies ailleurs, mais ça ne peut pas être que chez les autres ! Il faut un effort partagé, de l’État mais aussi sur les dépenses locales et sociales. La dette, c’est notre problème à tous.
L’effort était-il assez partagé dans le budget Bayrou ? Les « boomers » doivent-ils contribuer davantage comme l’a répété l’ancien Premier ministre ?
Ce n’est pas le rôle de la Banque de France de commenter les mesures dans le détail, et elle est indépendante politiquement. Mais les intérêts particuliers de chacun doivent à un moment regarder l’intérêt de tous. L’intérêt national, c’est que la France cesse d’être étouffée par le coût de plus en plus lourd de la dette : de 30 milliards en 2020 à plus de 100 milliards à la fin de la décennie ; 70 milliards de charges annuelles supplémentaires ! C’est autant d’argent qu’on ne peut pas dépenser pour les Français. Alors arrêtons les querelles politiciennes où on se lance à la figure des remèdes quelquefois un peu simplistes.
Vous pensez à la taxe Zucman ?
Pas seulement ! Notre pays rêve périodiquement, comme aussi il y a quelques mois avec la TVA sociale, de régler le problème de la dette par une solution fiscale facile. La vérité, c’est qu’il n’y a jamais d’impôt indolore, ni d’impôt magique qui rapporterait énormément en France alors qu’il ne s’applique pas chez nos concurrents. Pour autant, je crois qu’il ne faut pas exclure certaines mesures fiscales ciblées et exceptionnelles, jusqu’à un quart de l’effort total, même si les trois quarts doivent passer par les dépenses. Ciblées, pour ne pas toucher les classes moyennes ni les PME face au sentiment de ras-le-bol fiscal. Et exceptionnelles, au moins tant que nous ne serons pas revenus sous les 3 % de déficit. Pour citer un exemple, des mesures anti-optimisation fiscales sur les hauts patrimoines seraient justifiées. Pour que l’effort de redressement soit acceptable, il doit être ressenti comme juste. De ce point de vue, ce qui avait été mis sur la table en juillet peut être amélioré.
Après « Bloquons tout » le 10 septembre, une journée de mobilisation sociale est prévue le 18 septembre. Dans ce contexte, n’est-ce pas difficile de faire accepter cet effort de redressement ?
Les Français me semblent extrêmement conscients et inquiets de ce problème de dette : on le voit dans les sondages, et dans leur comportement d’épargne. Nous aimons tous notre pays, nous n’allons pas nous résigner à l’idée que la France reste la lanterne rouge de l’Europe.
Y a-t-il un risque que les mesures budgétaires freinent la croissance ?
Notre prévision considère qu’aujourd’hui, l’impact restrictif du redressement budgétaire sur la croissance sera largement compensé par la diminution de l’incertitude.
Quel est l’impact des droits de douane imposés par Donald Trump ?
L’accord commercial de l’été aura malheureusement des effets négatifs sur la croissance, même s’il était peut-être inévitable. La vraie réponse à l’agressivité américaine — et chinoise — devient cependant urgente : muscler économiquement l’Europe selon ce que proposait le rapport Draghi il y a déjà un an. Qu’attend donc l’Europe pour mobiliser son grand marché, son épargne abondante, et simplifier sa bureaucratie ?
Craignez-vous une hausse des taux de crédit immobilier dans ce contexte ?
Les taux moyens de crédit immobilier sont dans une phase de stabilisation, autour de 3,1 %, un peu inférieurs à la moyenne historique. On ne reverra bien sûr pas les taux exceptionnellement bas de 2021, sous les 1,5 %.
Vous le disiez, vous aimez la France. Seriez-vous prêt à l’aider encore davantage à d’autres fonctions, au ministère de l’Économie par exemple ?
À chacun sa mission, la mienne pour servir mon pays est à la Banque de France. Mais je suis comme beaucoup de Français : j’aimerais qu’on dépasse un certain nombre d’intérêts personnels afin de trouver des compromis pragmatiques. Souvenons-nous qu’il y a un an, nous avions su ensemble étonner le monde entier en réussissant les Jeux olympiques. Et, là, nous serions le seul pays d’Europe à ne pas parvenir à résoudre nos problèmes de déficit ?
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Updated on the 16th of September 2025