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La Croix : « Notre pays n’est pas menacé de faillite, mais d’étouffement progressif »
Published on the 27th of October 2025
Entretien du Gouverneur de la Banque de France au journal La Croix du 27 octobre 2025.
Après la dégradation par Fitch et S&P, l’agence Moody’s a maintenu vendredi la note de la France. Comment réagissez-vous à cette annonce ?
Moody’s est donc la seule agence avec laquelle la France conserve encore un « double A ». Cela dit que notre pays garde des atouts, même si la perspective sur la notation devient négative. Mais toutes les agences s’alarment de l’instabilité politique, et de notre sérieux problème budgétaire. La France part d’un déficit de 5,4 % du PIB en 2025 - un début de progrès, après 5,8 % l’an dernier - mais il faut absolument revenir à 3 % d’ici 2029, en quatre ans. Ceci passe par un déficit maximum de 4,8 % l’an prochain, pour faire un quart du chemin.
L’enjeu du 3% n’est pas seulement la règle européenne ; c’est surtout le seuil pour stabiliser enfin le poids de la dette publique.
Notre pays n’est pas menacé de faillite, mais d’étouffement progressif : d’abord des intérêts de plus en plus coûteux, de 30 milliards par an en 2020 à plus de 100 milliards à la fin de la décennie ; c’est autant d’argent que nous n’avons pas pour la transition écologique ou la défense. Ensuite, par contagion, des emprunts plus chers pour les ménages – le crédit immobilier – et les entreprises. Enfin et surtout, une dette de plus en plus lourde que nous léguons à nos enfants et petits-enfants.
Les agences sanctionnent donc essentiellement un problème budgétaire ? N’est-ce pas la politique économique de la France qui est visée ?
Le reste de notre économie tient, et Moody’s souligne sa solidité. Je confirme une prévision de croissance ralentie mais positive cette année, à au moins 0,7%. Par ailleurs, la France est le grand pays d’Europe qui a créé le plus d’emplois depuis dix ans, alors que nous avions traditionnellement un chômage plus élevé. Notre problème spécifique est donc budgétaire. Là-dessus il faut dire la vérité face à deux grandes illusions. La première consisterait à dire que ce n’est pas si grave et que nous pouvons continuer à dépenser comme avant, la seconde qu’il n’y a pas de solution. Ces deux visions sont fausses : il est urgent d’agir, et nous en avons la capacité.
Faut-il donc faire diminuer les dépenses ou augmenter les recettes ?
Les deux, mais pas dans les mêmes proportions. C’est d’abord une question de dépenses publiques, pour une raison très pratique. Comme la plupart des pays européens, la France dispose d’un bon modèle social, avec des services publics forts, une protection sociale, et une redistribution importante contre les inégalités. Le problème est qu’en France, ce modèle nous coûte beaucoup plus cher avec des dépenses publiques de 9 points de PIB plus élevées -soit 270 milliards d’euros - ! que chez nos voisins. Il faut aller y voir les meilleures solutions pour rendre la dépense publique plus efficace. Comme me l’a dit le maire (écologiste) d’une grande ville, « choisir la sobriété aujourd’hui, pour éviter l’austérité demain ». Si nous arrivons à enfin stabiliser globalement la dépense en volume, c’est-à-dire ne pas l’augmenter plus que l’inflation, cela permettrait de ramener le déficit à 3 % en 2029. Le Parlement va débattre de la répartition des dépenses pour 2026 ; mais il serait donc souhaitable que leur montant total prévu n’augmente pas.
Très souvent le débat se concentre sur l’État, qui représente un gros tiers de la dépense. Il doit donner l’exemple, mais les collectivités locales, qui représentent 20% du total, devraient stabiliser leurs dépenses en volume. Les dépenses sociales représentent elles 45% et vont continuer à progresser, du fait du vieillissement de la population ; mais l’enjeu est de mieux maîtriser leur hausse.
Justement n’y a-t-il pas un risque d’abimer notre modèle social ?
Nos voisins ont réussi ce redressement budgétaire sans abandonner le modèle social européen. Mais il faut pour cela deux vertus : la persévérance sur plusieurs années ; la justice pour que l’effort soit partagé par tous selon ses moyens. Par exemple, demander un effort aux retraités les plus aisés paraît conforme à cette exigence de justice.
En réduisant la dépense publique, n’y a-t-il pas aussi un risque de freiner la croissance ?
Pas dans la situation actuelle : nos travaux montrent que l’incertitude budgétaire et politique pèse beaucoup sur notre économie. Parce qu’ils sont inquiets, les Français épargnent davantage, tandis que les entreprises diffèrent leurs investissements. Si cette incertitude est réduite par une reprise de contrôle de notre dette, et que le taux d’épargne diminuait de ce fait de 1%, la croissance augmenterait de 0,4%. Ceci contrebalance l’effet de freinage traditionnel.
Vous dites qu’une solution juste implique un effort de la part des plus aisés, et en même temps vous êtes opposé à la taxe Zucman. N’est-ce pas contradictoire?
Non ! Je suis convaincu que ceux qui ont le plus doivent payer leur juste part d’impôt. Aujourd’hui, il n’est pas juste que les plus aisés minorent leur impôt via des mécanismes comme les holdings patrimoniales, ou diverses niches fiscales. Ceci doit changer.
Mais il n’y a pas d’impôt magique. Nous rêvons tous d’un impôt payé par les autres, qui rapporterait énormément, alors qu’il ne s’appliquerait chez aucun de nos voisins. Cela n’existe pas ! Ne prenons pas le risque de miner la base même de la prospérité française, c’est-à-dire les entrepreneurs, et ceux qui créent des emplois et qui innovent.
Notre indiscipline budgétaire commence-t-elle à agacer nos partenaires ?
Elle suscite de sérieuses questions et affecte la crédibilité de la France, donc son influence en Europe. Nous vivons hélas dans un monde plus dur, plus dangereux, où nous avons besoin d’une Europe plus musclée. Depuis longtemps, la France plaidait - un peu seule - pour une souveraineté économique européenne. Et au moment où, face à l’Amérique de Donald Trump et à la Chine de Xi Jinping, cette idée s’impose à nos partenaires, nous quitterions le terrain par manque de crédibilité ? Ce serait un grand gâchis. Un autre contresens serait de diminuer notre contribution financière à l’Union européenne, alors que nous en attendons plus de protection.
Mais il est encore temps de nous ressaisir, en trouvant des compromis raisonnables. Lorsque j’entends que la France aurait besoin d’être mise sous tutelle du FMI, je trouve cela blessant. Du sursaut, notre pays a le devoir, mais - si et seulement si il le veut- il a aussi les moyens.
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Updated on the 27th of October 2025