Thomas Sotto : Jean-Pierre ELKABBACH, vous recevez ce matin François VILLEROY DE GALHAU, c’est le tout nouveau gouverneur de la Banque de France. Messieurs, c'est à vous.
Jean-Pierre ELKABBACH : Et c’est sa première intervention publique. Merci et bienvenue. François VILLEROY DE GALHAU, bonjour.
François Villeroy de Galhau : Bonjour Jean-Pierre ELKABBACH.
Le monde est de plus en plus inquiet. L’année 2016, monsieur VILLEROY DE GALHAU, va-t-elle reproduire la crise de 2008 et même en pire ?
Non
Non ?
2016 ne sera pas la répétition de 2008. Vous savez, ce ne sont pas toujours ceux qui parlent le plus fort ou le plus noir qui ont raison après coup. Beaucoup de choses ont changé depuis 2008 et, en particulier, nous avons aujourd'hui un système financier dans le monde qui est plus solide, sur lequel nous avons mis des règles de sécurité plus fortes. Il y a une reprise progressive – nous allons en parler – dans la zone euro et en France ; il y a une transformation en Chine. Mais non, ceux qui nous prédisent des risques financiers comme en 2008 ont tort.
Les leçons de 2008 ont été tirées selon vous, mais la planète avec une croissance d’à peine 2,5 % flirterait avec une récession qui nous pend au nez. C’est ce qu’on lit, qu’on entend. Est-ce que c’est vrai ?
Les chiffres de croissance pour 2016 sont plutôt supérieurs dans l’ensemble à ce 2,5 que vous avez cité. Quand on regarde la zone euro et la France, qui nous intéresse le plus directement, nous aurons plus de croissance en 2016 qu’en 2015.
Mais qui reste faible.
En zone euro, nous devrions être autour de 1,7 % après 1,5 % en 2015. C’est un progrès mais cela n’est pas encore assez. En France, nous devrions avoir 1,4 %. Et au milieu de cela, la Chine se transforme, c’est vrai.
Et en 2017, la Banque de France avait prévu 1,6. Vous confirmez ces chiffres ? On verra si cela permet de lutter ou pas contre le chômage.
Sur 2017, nous aurons le temps d’actualiser la prévision mais nous sommes en Europe et en France dans un mouvement de reprise qui est incontestable, qui tient bon malgré les attentats de novembre dernier mais qui n’est pas suffisant. Il faut amplifier cette reprise pour pouvoir gagner contre le chômage.
Vous avez parlé des attentats, monsieur le gouverneur de la Banque de France. Est-ce qu’il y a un effet du terrorisme sur l’activité économique française ?
Notre analyse - nous avons publié hier une note sur la situation en décembre – est qu’il y a eu un effet temporaire de ralentissement. Mais cet effet est en train de s’effacer et cela ne devrait pas modifier notre prévision à 1,4 % en 2016.
En Chine, les principales bourses dégringolent, en particulier celle de Shanghai. On dit que les capitaux fuient ; la croissance annuelle, qui était de 9 %, descend à 7 et ça c’est officiel, mais elle serait plutôt tombée à 3-4. Est-ce que la peur, c’est que la Chine exporte sa crise vers nous ?
Qu’est-ce qui se passe en Chine ? Il y a une transformation complète du modèle chinois, d’un modèle avant tout tourné vers les exportations - vous vous souvenez qu’on se plaignait d’ailleurs que la Chine inondait le monde - vers un modèle plus tourné vers la consommation intérieure, vers la demande des ménages chinois. Un modèle qui soit aussi moins polluant. C’est plutôt une bonne chose et cela devrait se traduire par une croissance en 2016 qui restera élevée, probablement entre 6 et 7 %. À l’intérieur de cette transformation, la Bourse de Shanghai par exemple a été très mal gérée. Il y a eu sur-spéculation jusqu’à l’été dernier ; elle avait beaucoup trop monté. Puis des coupe-circuits ont été mis en place, qui ne fonctionnaient pas. Mais la Bourse de Shanghai, c’est une petite partie de la transformation chinoise.
Mais vous ne dites pas que la Chine peut être durablement un continent malade. Ce n’est pas ça.
La Chine a plus de 6 % de croissance ; la Chine est une puissance économique mondiale qui ne cesse de monter. Tout cela ne traduit pas une maladie grave.
Un des soucis est : est-ce que la Chine peut stopper ou réduire la croissance française et européenne dont vous venez de parler ?
La France est plutôt moins exposée que d’autres à un ralentissement chinois, parce que nos exportations vers la Chine sont plus limitées. Donc, la croissance française et la croissance européenne, soyons clairs, dépendent d’abord de nous-mêmes, y compris des réformes que nous allons faire.
« Que nous allons faire ». Pourquoi ? Vous êtes sûr qu’on va les faire ?
Des réformes sont souhaitables : un mot à ce propos : la victoire contre le chômage, ce n'est pas une succession de sprints et d’arrêts ; c'est une course qui se gagne dans la durée, avec beaucoup de continuité et beaucoup d’esprit d’équipe. Et comme nous avons des conditions très favorables, avec des taux d’intérêt bas, un prix du pétrole qui est très bas, Jean-Pierre ELKABBACH, trente dollars…
Très bas, le plus bas de l’année.
Cela, c’est une bonne nouvelle pour la croissance française. Nous avons un taux de change de l’euro qui est favorable. Voilà, c’est le moment d’avoir une mobilisation générale pour la croissance et pour l’emploi.
Et vous la voyez venir. Vous avez parlé des taux d’intérêt bas, mais hier dans votre symposium à la Banque de France - vous avez des tas de têtes spécialisées - vous avez dit : « Les taux d’intérêt ultra-bas trop longtemps risquent de créer des bulles. » Et quand on entend le mot « bulle », on tremble et on comprend « crise ».
Ce que j’ai dit, pour être précis, c’est que des taux d’intérêt trop bas trop longtemps – et je souligne le « trop longtemps » - pourraient présenter des risques éventuels pour demain. Cela n’est pas le cas aujourd'hui. Nous avons des taux d’intérêt bas en zone euro parce que c’est cela qu’il faut avoir pour faciliter le bon financement des ménages et des entreprises, pour la croissance en zone euro.
Je reviens au chômage. Le président de la République décrète l’état d’urgence économique pour relancer l’activité, créer des emplois et réduire le chômage. Qu’est-ce qu’il faut pour réussir, monsieur le gouverneur, si vous le savez ?
J’ai dit qu’il fallait d’abord la continuité. Donc il faut tenir sur ce qui commence à bien marcher. Le Pacte de responsabilité, le CICE – cette aide sur les salaires – cela nous permet de rattraper une partie de notre retard de compétitivité face à l’Allemagne. Nous avions laissé se creuser le retard ; nous sommes en train, et c’est très important, de le combler dans le bon sens. Mais après, il faut faire davantage. Les chômeurs et les jeunes n’ont pas le temps d’attendre en France. Je veux vous citer quatre réformes très simples qui marchent chez nos voisins européens, qui sont parfaitement compatibles avec notre modèle social européen et qui seraient efficaces. C’est d’abord l’apprentissage – cela, c'est une évidence. Ensuite ce sont les simplifications, y compris un certain nombre de simplifications en matière de droit du travail.
C'est-à-dire, le Code du travail il faut le réformer vraiment ?
Il y a beaucoup de choses qu’on peut simplifier dans la vie des Français et des entrepreneurs. C’est le choc de simplification mais il faut l’amplifier. La troisième chose, c’est le développement de l’entrepreneuriat. Et puis une dernière réforme qui marche aussi bien chez nos voisins, c’est la décentralisation du dialogue social au maximum au niveau de l’entreprise, parce que c’est cela la réalité économique.
Et quand vous le dites, vous avez de l’expérience. Vous avez travaillé autrefois, tout jeune, avec Pierre BEREGOVOY et puis avec Dominique STRAUSS-KAHN, même si le chômage, on le répète toujours, il faut lutter contre et on va peut-être arriver à créer des emplois.
Oui, mais l’expérience de nos voisins – et là, je parle de nos voisins européens : ils ont le même modèle social que nous parce que nous sommes attachés à notre modèle social et c'est légitime – c'est que cela peut marcher. Cela a marché en Allemagne depuis les années 2000, cela a marché plus récemment dans d’autres pays européens. Simplement, il faut la continuité et la mobilisation de tous. C’est une course d’équipe.
On a entendu, on a entendu. François VILLEROY DE GALHAU, le chiffre Insee de l’inflation sera connu d’ici une demi-heure. Aujourd'hui, si l’inflation reste à zéro comme en 2015, est-ce qu’on peut maintenir le Livret A à + 0,75 ?
Le taux du Livret A a été baissé à 0,75 au 1er août dernier, ce qui était une décision sage. Je ferai ma proposition très prochainement au vu du chiffre d’inflation définitif de fin décembre et au vu de l’inflation estimée des prochains mois. Mais vous avez raison, il est bon que l’ensemble de l’économie française bénéficie de la baisse des taux d’intérêt parce que cela favorise la croissance et l’investissement.
Attendez, 0,75 c’est encore trop élevé ?
Permettez-moi de dire que, par rapport à cette baisse des taux souhaitable, il n’y a pas que le Livret A en jeu. Pour vous citer un exemple, le taux des nouveaux plans d’épargne-logement, à 2 % encore aujourd'hui, est anormalement élevé.
C'est-à-dire ? Ça concerne des millions de Français, des millions d’entre nous.
Je parle des nouveaux plans d’épargne-logement.
C’est combien.
C’est 2 % aujourd'hui et ma proposition très prochainement…
C'est-à-dire que c’est trop ?
Je vous ai dit que c’était anormalement élevé.
Et est-ce qu’on peut descendre plus bas que les 2,75 % ?
C’est 2% pour les nouveaux plans d’épargne-logement alors que la plupart des taux sont moins élevés. Mais ma proposition viendra en temps et en heure, très prochainement.
Dernière remarque : Mario DRAGHI et vous, les banquiers centraux, est-ce que vous allez continuer à arroser l’économie s’il le faut avec des mesures comme vous dites non conventionnelles ?
Nous avons été très actifs et nous avons été efficaces. Nous estimons que la politique de la Banque centrale européenne, dont je suis partie prenante, apporte en 2016 à peu près un demi-point supplémentaire à la croissance française et permet d’avoir une inflation un peu plus forte, ce qui est souhaitable aujourd'hui parce que, vous l’avez dit, l’inflation est trop basse.
Alors vous continuerez.
Si nécessaire nous continuerons, mais nous avons agi comme il faut pour soutenir la croissance et l’emploi.