Bloc-notes Éco

Les quatre saisons du cycle financier et le coussin contracyclique

Mise en ligne le 4 Juillet 2018

 

Billet n°75. Les cycles financiers se décomposent en quatre phases au cours desquelles l’intensité des risques financiers évolue. La crise qui suit le retournement de cycle financier est d’autant plus prononcée que les risques se sont accumulés en phase haussière. La politique macroprudentielle vise à limiter l’impact des crises financières sur l’économie réelle : la décision d’activation du coussin contra-cyclique en France répond à cet impératif.

Image Les quatre saisons du cycle financier
Graphique 1 : Les quatre saisons du cycle financier

Qu’est-ce qu’un cycle financier ?

Si l’on s’intéresse aux cycles financiers, c’est pour mieux comprendre, anticiper et prévenir les conséquences de leur retournement. Néanmoins, il n’y a pas de définition claire et communément admise du cycle financier. Selon Borio (2014), le cycle financier fait référence aux "interactions, qui se renforcent mutuellement, entre les perceptions de la valeur et du risque et les attitudes face aux risque et aux contraintes financières […], qui se traduisent par des booms suivis de crises". En d’autres termes, lorsque tout va bien, les acteurs économiques, collectivement optimistes (mais potentiellement myopes), peuvent avoir des comportements plus risqués pouvant mener à la formation de déséquilibres financiers. À l’inverse, en cas de retournement, les déséquilibres accumulés précédemment se résorbent, de façon parfois brutale, conduisant notamment les banques (investisseurs) à restreindre leur offre de crédit (financements), accentuant l’ampleur et la durée des phases de récession qui suivent. On peut schématiquement découper le cycle financier en quatre phases.

  1. Le printemps est une phase de remontée du cycle quand les perspectives économiques s’améliorent : retour de la confiance incitant à prêter et à investir, allégement des contraintes financières, progression de la dette et hausse des prix d’actifs ; cela s’accompagne d’une remontée des risques mais ils restent maîtrisés.
  2. L’été (voire la canicule) est la phase de surchauffe pendant laquelle un excès de confiance et une sous-estimation du risque entrainent des bulles sur les prix d’actifs et un emballement de la dette dus à un relâchement des contraintes financières. C’est aussi en été qu’on observe des corrélations croissantes entre segments de marchés ou pays, ce qui se manifeste par une synchronisation des hausses des prix d’actifs et des risques.
  3. L’automne, caractérisé par le retournement du cycle : la disparition de la confiance (souvent consécutive aux premiers évènements négatifs dus aux excès de risque de l’été) entraine un durcissement brutal des contraintes financières, une hausse du risque de contrepartie, une chute des prix d’actifs et une réduction de la dette, plongeant l’économie dans un hiver financier au cours duquel les déséquilibres estivaux se résorbent.
  4. Enfin l’hiver, phase pendant laquelle la vulnérabilité des acteurs du système financier, les perspectives conjoncturelles déprimées et de fortes contraintes financières nourrissent un climat récessif pendant lequel le financement de l’économie est contraint. Il faut alors une longue et coûteuse période d’ajustement pendant laquelle les déséquilibres se purgent avant qu’un nouveau printemps financier commence.

La principale difficulté malgré cette répétition des "saisons", est que l’on ne sait jamais combien de temps dure l’été et pourtant, invariablement, il y a un hiver : "Winter is coming". Se pose aussi la question de l’ampleur de chacune des phases, en particulier de l’hiver : la phase descendante du cycle peut avoir lieu en douceur mais aussi dégénérer en une crise financière brutale et coûteuse. Pouvoir observer concrètement la dynamique du cycle au cours du temps et connaitre la position d’un pays dans le cycle financier est donc un exercice très délicat mais d’une importance capitale dans la perspective de la mise en œuvre  d’une politique macroprudentielle adéquate.

Comment statistiquement mesurer le cycle financier ?

La liste des indicateurs utilisés pour capturer le cycle financier n’est pas figée. Deux éléments se retrouvent toutefois dans la vaste majorité des méthodologies : la dette et les prix de l’immobilier (par exemple Merler (2015) ; Graphique 2) car ces deux variables ont été au cœur des principales crises financières des dernières décennies (2008 aux États-Unis, en Irlande et en Espagne, ou au début des années 90 en France ou dans les pays nordiques). D’autres indicateurs "révélateurs" du cycle financier sont de plus en plus intégrés (prix des actions, prix des obligations) pour mieux rendre compte de la diversité du système financier (Schuler, Hiebert, Peltonen, (2015) ; Graphique 3). Une fois la liste arrêtée, différentes méthodes statistiques peuvent être mobilisées à la fois pour agréger ces indicateurs et pour rendre compte de leur dynamique commune. Ces incertitudes de mesure justifient la pluralité des méthodes.

Image  Cycle financier à la Merler (2015)
Graphique 2 : Cycle financier à la Merler (2015)
Note : le cycle estimé est issu d'une Analyse en Composante Principale des variables sous-jacentes ; il n'a donc pas d'unité ni de borne. Zéro correspond à la médiane historique
Image Cycle financier à la Schuler et al. (2015)
Graphique 3 : Cycle financier à la Schuler et al. (2015)
Note : le cycle estimé est la moyenne des fonctions de répartition empiriques des variables sous-jacentes, re-basées sur +/-50 (toutes les composantes sont à leur plus haut/bas historique). Zéro correspond à la médiane historique.

Ainsi, les deux modèles illustrés (Graphiques 2 et 3) montrent qu’après 2008, le cycle financier fondé sur les seuls prix immobiliers et la dynamique de la dette du secteur privé non-financier présente une plus faible amplitude en raison d’un marché immobilier déprimé dans de nombreux pays. Le cycle construit sur des indicateurs plus diversifiés, notamment de marchés actions et obligations, est plus dynamique, notamment sur la période récente pour la France, l’Allemagne et l’Espagne.  

Se préparer aux retournements du cycle financier : l’objectif du coussin contra-cyclique

Le coussin contra-cyclique (ou CCyB dans son acronyme anglais) est une surcharge en capital pour les banques. En France, il est fixé par l’autorité macroprudentielle, le Haut Conseil de Stabilité Financière (ou HCSF, voir Notice de mise en œuvre), sous la présidence du Ministre de l’économie et des finances et sur proposition du gouverneur de la Banque de France. Ce coussin joue un rôle d’amortisseur : le capital accumulé préventivement pendant le printemps et l’été du cycle financier peut être utilisé en automne, et ainsi éviter une rigueur hivernale trop longue.

Une fois constitué, le coussin contracyclique peut être instantanément désactivé par le HCSF lors du retournement du cycle : les banques sont alors moins contraintes de restreindre l’octroi de crédit (notamment pour rétablir la solidité de leur bilan) et cela contribue au financement de l’économie. La dépression économique hivernale est alors moins forte et plus courte. La Suède (fin 2014) et le Royaume-Uni ont été les premiers pays à activer ce coussin. Le Royaume-Uni l’a activé à deux reprises, en 2016 et 2017, après l’avoir désactivé au moment du Brexit. En zone euro, la France est depuis le 1er Juillet 2018, le premier grand pays à avoir décidé l’activation de cet instrument (voir la Décision et le Communiqué de presse). À chaque fois, cette activation a eu lieu lors de la phase montante du cycle financier (Graphique 4).

Image Évolution du cycle financier autour des décisions d’activation du coussin contra-cyclique
Graphique 4 : Évolution du cycle financier autour des décisions d’activation du coussin contra-cyclique
Note : modèle à la Schuler (2015). Sur l’axe des abscisses le nombre de trimestres avant (-) ou après (+) l’activation du CCyB normalisé en date t=0. Le graphique tient compte de l’information à disposition des décideurs au moment de l’activation.