Discours

Croissance et inflation : les grandes prévisions

Intervenant

Denis Beau Intervention

Denis Beau, Premier sous-gouverneur de la Banque de France

7 Septembre 2023
Denis Beau Intervention

Forum Économique Breton
7 septembre 2023
 
Discours de Denis Beau, Premier sous-gouverneur de la Banque de France.

 

 

Mesdames et Messieurs, je me réjouis d’être ici avec vous aujourd’hui pour vous parler de l’évolution de la situation macroéconomique dans la zone euro et en France et de la conduite de la politique monétaire que nous menons à la Banque de France et dans l’Eurosystème, dans le cadre de notre mission de stabilité monétaire.

L’impact économique et financier de la guerre en Ukraine a profondément modifié les perspectives de sortie de la crise Covid dans lesquelles nous nous placions il y a 18 mois, et soumis notre système économique et financier à de nouveaux chocs importants d’offre et de demande, qui se sont traduits par une forte accélération de l’inflation.

Après avoir présenté la situation et les perspectives macroéconomiques telles que nous les analysons aujourd’hui à la Banque de France à partir notamment de nos exercices de prévision, je vous dirai quelles conséquences nous en tirons pour la conduite de la politique monétaire.

 

1      Situation et perspectives macroéconomiques

S’agissant de la situation macroéconomique, je voudrais commencer par rappeler que l’économie de la zone euro a été affectée par une série de chocs sans précédent au cours des dernières années. [slide 2] Il en est résulté une dégradation des perspectives économiques depuis le début de l’année 2022, qu’illustre ce graphique qui montre les révisions successives à la hausse des prévisions d’inflation et à la baisse les prévisions de croissance pour 2023 pour la zone euro. Ces chocs, liés en particulier à la guerre en Ukraine et au confinement en Chine, ont eu pour effet de ralentir la croissance et d’accélérer l’inflation. Cet effet, dit de « slow-flation », va-t-il se transformer en effet « stagflationniste », c’est-à-dire conduire à une récession ? Cette menace ne s'est pas matérialisée jusqu'à présent. Les données et les enquêtes les plus récentes indiquent plutôt un ralentissement significatif de la croissance économique dans la zone euro, suivi d'une reprise. Trois facteurs principaux ont contribué à ce ralentissement, le choc négatif sur les termes de l’échange résultant des prix très élevés de l’énergie, dont le coût économique pour 2022 est évalué à 1,3% du PIB, des contraintes au niveau de l’offre en terme d’approvisionnement et de recrutement et l’environnement géopolitique, avec en particulier la guerre injustifiable menée par la Russie en Ukraine qui a pesé sur la confiance des chefs d’entreprise et des consommateurs.

[slide 3].

En conséquence, selon les projections macroéconomiques de la BCE, la dernière datant du mois de juin, la croissance annuelle moyenne du PIB de la zone euro devrait ralentir à 0,9 % en 2023 (contre 3,5 % en 2022), avant de remonter à 1,5 % en 2024 et 1,6 % en 2025. Concernant l’inflation, celle-ci ne devrait ralentir que progressivement et revenir vers 2 % fin 2025. La prévision d’inflation de la BCE pour la zone euro est ainsi de 5,4% en 2023, 3,0 % en 2024 et 2,2 % en 2025.

[slide 4]

Pour l'économie française, les perspectives sont globalement similaires. L'activité économique devrait croître à un rythme limité en 2023, avant de se redresser en 2024 et 2025. Le PIB devrait croître de 0,7 % en 2023, puis de 1,0 % en 2024 et de 1,5 % en 2025. Autrement dit, le scénario central de notre prévision est que l’économie française réussirait à sortir progressivement de l’inflation sans récession, même si le ralentissement économique est marqué.

Les prévisions de l’Eurosystème et de la Banque de France s'appuient sur des perspectives de consommation des ménages qui se replieraient légèrement en 2023 (‑0,1 %) sous l’effet du tassement du pouvoir d’achat [en 2022 et 2023] puis accéléreraient en 2024 (+1,5 %) et en 2025 (+1,5 %) avec le rebond du pouvoir d'achat, alors que du côté des entreprises les plans d’investissement devraient être modérément affectés.

[slide 5]

Ces prévisions sont fondées sur l’observation que les hausses de prix à la consommation se transmettent déjà en partie aux salaires nominaux, qui alimentent eux-mêmes en retour des hausses des prix selon une relation prix-salaires habituelle et qui ne s’est pas emballée. En outre, l’impact du choc sur les termes de l’échange et en particulier celui de la facture énergétique, sur les revenus réels est largement amorti par les nombreuses mesures budgétaires de soutien au pouvoir d’achat mises en place1.

S’agissant des entreprises, l’augmentation des coûts de l’énergie, l’accélération des salaires nominaux et la faiblesse des gains de productivité, due notamment à la montée de l’alternance et des comportements de rétention de main d’œuvre pour préparer le rebond ultérieur de l’activité, devraient peser sur les marges et donc leur profitabilité. Le taux de marge des sociétés non financières, exceptionnellement soutenu en 2020 et 2021 par les différentes mesures mises en place pour faire face à la crise Covid, n’a pas pour autant contribué de manière globale à l’inflation en France, contrairement à d’autres pays. Ces marges diminueraient légèrement sur la période 2023-2024, avant de se redresser en 2025 à 32 %, soit un niveau légèrement supérieur à son niveau pré-crise (2018).

[slide 6]

Notre enquête mensuelle de conjoncture publiée au début du mois d’août confirme globalement le scénario central que je viens de décrire pour l’activité qui a progressé en juillet dans l’industrie, les services et le bâtiment, et le ralentissement est moins accentué que prévu le mois précédent. Les difficultés d’approvisionnement continuent de diminuer dans le bâtiment et dans l’industrie. Sur la base des résultats de l’enquête, complétés par un ensemble d’autres indicateurs, nous estimons que la progression du PIB au troisième trimestre 2023 serait légèrement positive par rapport au trimestre précédent.

Concernant l’inflation, celle-ci a commencé à refluer après un pic dans la zone euro en octobre 2022. Elle s’est établie à +5,3 % à la fin du mois d’août.

[slide 7]

En France, selon les résultats de l'indice des prix à la consommation harmonisé, l'inflation a atteint 5,7 % en août. Selon notre dernière enquête de conjoncture, pour le quatrième mois consécutif, les industriels jugent que les prix sont en nette baisse pour les matières premières, et se stabilisent pour les produits finis. L’inflation reste néanmoins largement supérieure à la cible d'inflation de l'Eurosystème.

En 2022, l’envolée des prix de l’énergie sur les marchés internationaux a constitué le principal choc inflationniste pour l’économie française. Ce choc s’est répercuté de manière contenue en 2022 sur les prix de détail de l’énergie, en raison notamment du bouclier tarifaire, mais il s’est transmis aussi indirectement et avec un délai de quelques mois aux autres composantes de l’inflation, via les répercussions de l’alourdissement des coûts des producteurs.

[slide 8]

Ainsi, l’inflation en France, et en zone euro, s’est diffusée très largement et revêt désormais un caractère « interne » et « généralisé », avec une hausse de l’ensemble des autres composantes de l’inflation. C’est ce que montre le graphique de gauche sur l’évolution des composantes de l’inflation en France.

C’est cette inflation plus « interne » dont les banques centrales sont responsables, et qu’elles ne doivent pas laisser persister.

En l’absence de nouveau choc, notre prévision est que l’inflation en France comme dans la zone euro reviendrait progressivement vers 2 % en 2025. Cette décrue de l’inflation à l’horizon de la prévision résulterait de l’effet combiné de plusieurs facteurs : la stabilisation en 2023 des prix des matières premières, emportant la dissipation des effets de base associés à leur hausse antérieure, les effets du changement d’orientation de la politique monétaire qu’a décidé le Conseil des Gouverneurs de la BCE pour ramener l’inflation à 2 %, sur laquelle je vais maintenant concentrer mon propos, et, corrélativement le maintien de l’ancrage des anticipations d’inflation à moyen terme au voisinage de la cible d’inflation de la BCE.

 

2       Conséquences pour la politique monétaire 

Quelles sont donc les implications du changement de situation et de perspectives macroéconomiques que je viens de décrire pour la politique monétaire en zone euro ?

[slide 9]

Du point de vue de la politique monétaire, ce changement a eu pour effet de changer la nature du risque principal qu’elle doit réduire : le risque pour la stabilité des prix auquel nous sommes confrontés n’est plus celui d’une inflation « trop faible trop longtemps » mais celui d’une inflation « trop élevée trop longtemps ». Ce changement fondamental appelait un changement d’orientation de la politique monétaire. C’est pourquoi, dans un premier temps, le Conseil des Gouverneurs de la BCE a décidé de démanteler les mesures adoptées pour lutter contre le risque de déflation.

Ainsi, pour ce qui concerne les taux d’intérêt directeurs de la BCE, le Conseil des gouverneurs de la BCE a décidé de les augmenter à rythme accéléré, de 250 points de base au total en 6 mois entre juillet et décembre 2022 pour les ramener au taux neutre, qui désigne le niveau d’équilibre théorique auquel il n’y a ni nouvelle accélération ni ralentissement monétaires de l’inflation.

A la Banque de France, nous estimons que le taux neutre se situe à un niveau proche de 2 % en termes nominaux dans la zone euro.

Il est clair qu'avec les augmentations de taux d'intérêt décidées entre janvier et juillet 2023, le Conseil des Gouverneurs est allé plus loin et fait entrer la politique monétaire dans un territoire « restrictif » au sens technique du terme.

Les questions importantes concernent ainsi désormais l’ampleur et la durée de ce durcissement de la politique monétaire.

Dans la déclaration de politique monétaire du 27 juillet dernier, Christine Lagarde a rappelé que les décisions futures de politique monétaire devront garantir que les taux directeurs seront fixés à des niveaux suffisamment restrictifs aussi longtemps que nécessaire pour permettre un retour rapide de l'inflation à notre objectif à moyen terme de 2 %. Dans ce contexte, le Conseil des Gouverneurs a dit qu’il continuera à suivre une approche dépendant des données pour déterminer le niveau et la durée appropriés du maintien des taux dans ce territoire « restrictif » en se fondant sur trois évaluations :

  • celle des perspectives d'inflation à la lumière des données économiques et financières ;
  • celle de la dynamique de l'inflation sous-jacente ;
  • et celle de la transmission de la politique monétaire.

Dans ce cadre, on peut observer que l'inflation globale a diminué au cours des derniers mois, mais les tensions sous-jacentes sur les prix restent fortes. D’après les premiers résultats du mois d’août, l’inflation sous-jacente qui exclut l’énergie et l’alimentation, s’élève à 5,3% pour la zone euro dans son ensemble et à 4% en France. Dans le même temps, les hausses de taux d’intérêt passées se transmettent progressivement mais pleinement aux conditions de financement et aux conditions monétaires au sein des pays de la zone euro2. Les délais et la force de la transmission à l'économie réelle restent toutefois incertains.

Nous verrons donc quelles conséquences le Conseil des Gouverneurs de la BCE tirera de ces évolutions lors de sa réunion prévue la semaine prochaine.

[slide 10]

Quoi qu’il en soit, dans le contexte que je viens de décrire, un rôle important pour la politique monétaire sera de veiller à ce que les anticipations d’inflation restent ancrées, en particulier tant que l’inflation demeure élevée. Jusqu’à présent, c’est le cas et il n’y a pas de signe qu’une éventuelle boucle prix-salaires est à l’œuvre. Mais la vigilance doit rester de mise.

La prévision et l’engagement du Conseil des Gouverneurs est que l’inflation devrait ralentir pour revenir proche de 2 % en 2025, à mesure que ses moteurs actuels s’estomperont et que la normalisation de la politique monétaire produira ses effets sur l’économie et dans les mécanismes de fixation des prix.

 

1Le montant total de ces mesures à destination des ménages pourrait atteindre ainsi environ 50 milliards d’euros en 2023.

2Les résultats du dernier Bank Lending Survey illustrent ce point.