Interview

BFM Business : « Il est très probable qu'il y ait une première baisse de taux au printemps »

8 Mars 2024
François Villeroy de Galhau intervention

François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France, était l’invité de Good Morning Business sur BFM Business, vendredi 8 mars.

Christophe JAKUBYSZYN

Notre invité est le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de GALHAU. Bonjour. 

François Villeroy de GALHAU

Bonjour Christophe JAKUBYSZYN et Laure CLOSIER.

Christophe JAKUBYSZYN

Il est parfois compliqué de comprendre le langage des banquiers centraux, Alan GREENSPAN lui-même le disait, alors je vous dis : est-ce que les fleurs fleurissent au printemps ? C’est-à-dire : est- ce que vous allez baisser les taux d’intérêt avant la fin du printemps, le 21 juin ?

François Villeroy de GALHAU

Je réponds d’abord à votre question horticole, oui, les fleurs fleurissent au printemps. Maintenant parlons politique monétaire et conseil des gouverneurs. D'abord un mot sur notre discussion d'hier, elle était importante et elle a été très convergente sous la présidence de Christine LAGARDE. Il y a aujourd'hui un large consensus pour considérer que les risques sont équilibrés. Ce que je veux dire c'est qu'au fond, il faut qu'on se garde de deux écueils. Il y a l’écueil de la précipitation, ce serait baisser les taux trop tôt et risquer de manquer notre cible d'inflation de 2%, mais il y a l'écueil de la crispation, c'est agir trop tard et peser trop sur l'activité.

Christophe JAKUBYSZYN

Tuer le malade avec vos saignées ?

François Villeroy de GALHAU

Je rappelle d'abord qu'on a soigné la maladie, c'est-à-dire que la politique monétaire est efficace. L'inflation en zone euro était supérieure à 10% fin 2022, on l’a oublié ! Le dernier chiffre, c'est 2,6%, divisé par plus de quatre. Nous avons maintenant de plus en plus confiance que nous allons ramener l'inflation à 2% d'ici l'an prochain. Je l'ai dit, la Banque de France l'a dit depuis un an. Je crois qu’aujourd'hui autour de la table du Conseil des Gouverneurs, il y a de plus en plus de confiance et un large consensus sur une baisse prochaine de taux. Pour le dire autrement, il y a un large consensus pour préférer ce que j'appellerais le gradualisme à l'attentisme qui serait d'attendre trop longtemps. Le gradualisme est la meilleure façon de s'assurer contre ces deux risques désormais symétriques la précipitation et la crispation.

Christophe JAKUBYSZYN

Donc les fleurs fleuriront au printemps ?

François Villeroy de GALHAU

Je laisse de côté les fleurs et je reviens sur les taux. Il me paraît très probable qu'il y ait eu une première baisse de taux au printemps. Je vous rappelle qu'en Europe comme ailleurs, le printemps, c’est une saison qui va d'avril jusqu'au 21 juin.

Laure CLOSIER

On a bien saisi le message, ce sera plus… début juin ?

François Villeroy de GALHAU

Cela dépendra bien sûr des données, sauf surprise.

Laure CLOSIER

Justement, les données, la présidente de la Banque centrale européenne, Christine LAGARDE, a parlé des salaires, c'est une des données regardée de près. Le risque d'une boucle sur les salaires, on ne la voit pas venir depuis des mois. Est-ce qu'il y a vraiment toujours cette donnée qui est intéressante à regarder pour savoir si l'inflation va oui ou non repartir ?

François Villeroy de GALHAU

En France au moins, nous ne voyons pas de boucle prix-salaires et nous ne voyons pas de risques sur le futur proche. La bonne nouvelle, c’est que les prix vont diminuer plus vite que les salaires, donc on va regagner du pouvoir d'achat et cela devrait d’ailleurs soutenir la consommation et progressivement la reprise.

Christophe JAKAUBYSZYN

Votre collègue allemand est plus inquiet avec les grèves notamment qui se multiplient en Allemagne en ce moment pour réclamer des hausses du pouvoir d’achat.

François Villeroy de GALHAU

Je parle de la France et c'est le cas dans beaucoup de pays aussi de l'Union européenne. Sur les données, nous sommes dans un cockpit et nous regardons les cadrans. Il y a deux cadrans principaux que nous allons regarder dans les semaines et les mois qui viennent. Le premier, c'est ce qu'on appelle l'inflation sous-jacente, c'est-à-dire hors-énergie et alimentation, en particulier l'inflation des services. Elle reste un peu supérieure à 3%, donc un peu plus forte. Les salaires ne sont qu’un des éléments de cette inflation sous-jacente. C'est sur celle-ci que la politique monétaire peut agir. L'autre donnée que nous regardons, c'est bien sûr l'activité, pour éviter la crispation et de peser trop sur l'activité. Permettez-moi d'insister sur ce point. Hier, il y a eu un point d'accord majeur, décisif : c'est que ces risques sont désormais équilibrés entre précipitation et crispation, et donc large consensus sur une baisse prochaine de taux. Il y a ensuite un point relativement mineur, le calendrier précis de cette baisse de taux. J’ai donné une indication en termes de saison.

Christophe JAKUBYSZYN

Est-ce que vous regardez le taux de change quand vous prenez des décisions ? Si on baisse trop vite, par rapport aux États-Unis, on risque d'affaiblir l'euro. Or, on a plutôt besoin d'un euro fort, les Allemands ont plutôt besoin d'un euro fort. 

François Villeroy de GALHAU

Nous n'avons pas d'objectif de change. Nous regardons bien sûr parmi les composantes de l'inflation, les effets du taux de change sur ce que l'on appelle l'inflation importée. Il n’y a pas d’objectif d’euro fort ou d’euro faible ; il se trouve que nous avons un euro quasi-stable d’ailleurs depuis des années. Je ne crois pas d'ailleurs que les intérêts allemands et les intérêts français soient divergents en la matière. Mais Christine LAGARDE l'a redit hier clairement : dans les décisions que nous prenons, nous nous prononçons d'après des données européennes, c’est-à-dire l'inflation sous-jacente et l'activité en Europe, et pas selon les États-Unis. Le président de la Fed Jay POWELL a dit devant le Congrès cette semaine, des choses relativement parallèles à ce que nous disons sur le fait qu'il avait de plus en plus confiance sur la réussite de la politique monétaire et de la désinflation.

Laure CLOSIER

L'activité en zone euro, justement, hier, la Banque centrale européenne a revu sa prévision à la baisse : 0,6% en 2024 contre 0,8% précédemment. Vous avez dit « la baisse des taux, c'est pour le printemps », vous n'avez pas dit de combien : a-t-on besoin d'un choc pour refaire repartir cette croissance européenne ?

François Villeroy de GALHAU

Concernant d'abord l'activité, il est vrai qu'il y a une petite révision à la baisse sur 2024, mais il y a une reprise forte à 1,5% et plus sur 2025 et 2026, aidée par cette désinflation dont nous parlions. Elle va entraîner une progression des salaires réels et donc du pouvoir d'achat, la reprise sera aidée aussi par la baisse des taux à venir. Nous publierons nos prévisions de croissance pour la France la semaine prochaine, mercredi matin. Nous pouvons d'ores et déjà dire que deux années de suite, en 2023 (c’est un fait) et puis en 2024 (ce sera notre prévision), la croissance française devrait être supérieure à la moyenne européenne. C'est une bonne chose pour nous, Français. Comment peut-on pousser la croissance en France et en Europe au-delà de cette reprise conjoncturelle ? La baisse des taux n'est pas là pour agir comme un produit « dopant » sur la croissance. Nous fixons le niveau de taux d'intérêt d'abord, d'après une boussole qui est l'inflation. Mais évidemment, la réussite de la désinflation soutient le pouvoir d'achat et soutient la croissance. Au-delà, il faut des réformes de fond. En particulier, nous avons, hier, pris une position très importante au Conseil des gouverneurs, sur ce qu'on appelle « l'Union des marchés de capitaux » ; cela peut paraître technique, mais mobiliser l'épargne européenne pour financer les transformations européennes.

Christophe JAKUBYSZYN

Nous allons en parler dans un instant, mais sur la France, il y a eu des annonces cette semaine, une sorte d'opération vérité sur la croissance, avec la révision à la baisse des perspectives sur les déficits et sur la dette. Fallait-il le faire ? Est-ce que l'annonce de 10 milliards d'économies cette année, 20 milliards l'an prochain, était nécessaire ? Et est-ce que vous y croyez ? Parce que cela fait 20 ou 30 ans que les gouvernements nous promettent des réformes, des baisses des dépenses publiques et ça ne fonctionne jamais.

François Villeroy de GALHAU

Sur la politique budgétaire, Christophe JAKUBYSZYN, je vais le dire en toute indépendance : il est indispensable, il est impératif de tenir nos objectifs de déficit budgétaire, et donc de réduire ce déficit. Le gouvernement a raison. Pourquoi ? Nous avons un objectif de réduction à 4,4% de déficit cette année : cela reste très élevé, un des plus élevés de la zone euro. Et si nous manquons encore cela, nous perdons notre crédibilité en Europe et puis, nous manquons totalement de responsabilité vis-à-vis de nos propres intérêts français. Parce qu'on ne cesserait dans ce cas d'augmenter la dette et la dette nous coûte de plus en plus cher. Je vais vous donner un chiffre : les intérêts que nous payons sur cette dette vont être multipliés par trois, en six ans, entre l'année 2021 et l'année 2027. Tout ce que nous payons sur la dette, c’est-à-dire le poids du passé, c'est autant que nous ne pouvons pas dépenser sur l'éducation, sur le climat, sur la sécurité, sur les priorités des Français. Donc c'est notre intérêt et c'est notre crédibilité en Europe qui se jouent. Je crois que c'est indispensable, même si ce n'est pas facile. C'est au Gouvernement et au Parlement de décider où faire ces économies. En outre, il s'agit de freiner l'augmentation des dépenses, pas de diminuer les dépenses : on n'est pas du tout dans l’austérité. Dans le contexte conjoncturel dont nous parlions, c’est-à-dire une reprise progressive de l'activité, on peut freiner l'augmentation des dépenses sans ralentir trop l'activité.

Laure CLOSIER

Vous dites « C'est ultra nécessaire », mais Bruno LE MAIRE a prévenu, on sera bien au-delà des 4,9% de déficit donc bien au-delà de ce que nous impose l'Union européenne. Il faudrait aller plus loin ?

François Villeroy de GALHAU

Il y a un plan sur plusieurs années pour descendre sous 3% de déficit qui est l'objectif européen d'ici 2027. Je n'ai pas encore le chiffre 2023. Je vois, comme vous, que le Gouvernement dit qu'il y a eu des mauvaises surprises. Mon message est fort sur l'objectif 2024 : là, il est encore temps d'agir pour tenir l’objectif 4,4%. Il y va de notre crédibilité, du poids de la France en Europe. Comment voulez-vous que nous mettions en avant des idées en Europe, si nous ne les appliquons pas nous-mêmes ? Et il y va de notre marge de liberté, de souveraineté budgétaire.

Christophe JAKUBYSZYN

Justement, le problème est qu'on ne peut pas faire des économies, elles sont sans doute nécessaires, au moment où on a besoin d'investir. On est en révolution économique, la transition écologique, la révolution de l'intelligence artificielle ; il faut des dizaines, des centaines de milliards d'euros d'investissement. Les États n'en ont plus. Où est-ce qu'on les trouve ? Vous parliez tout à l'heure de cette Union des marchés de capitaux en Europe. On a un problème ; on n'arrive pas à trouver l'argent comme les géants américains pour financer l'avenir.

François Villeroy de GALHAU

D’abord, à l'intérieur des dépenses publiques, je crois qu'il faut arriver à dépenser un peu moins sur le fonctionnement courant - il y a des sources d'économies - pour pouvoir investir plus. Mais la grande ressource européenne est l'épargne privée. On ne le sait pas toujours, mais les Européens, collectivement, épargnent beaucoup. L'épargne excédentaire chaque année en Europe, c'est plusieurs centaines de milliards d'euros…

Christophe JAKUBYSZYN

Oui mais ça ne compense pas les déficits publics.

François Villeroy de GALHAU

…Près de 400 milliards d'euros, qui ne vont pas entièrement dans le financement des déficits publics. En face, nous avons des besoins d'investissement pour les deux transitions - la transition verte et la transition numérique – qui sont eux-mêmes de plusieurs centaines de milliards d'euros. L'Union des marchés de capitaux, c'est cela : prendre la ressource européenne qu'est l'épargne privée et l'affecter vers les deux besoins de transformation numérique et écologique. Il faut d’abord marquer cet objectif et il faudrait pour cela changer le nom « Union des marchés de capitaux », trop technique. Est-ce qu’on parle d'Union d'épargne et d'investissement durable, d'Union de financement pour la transition ? Je suis ouvert sur ce point, mais il serait bon que le nom donne l'objectif. Il faut ensuite mettre en place un certain nombre de mécanismes pour affecter cette épargne à cet investissement. J'ai fait des propositions en la matière dans un discours à Gand il y a deux semaines ; et je suis très heureux de cette prise de position unanime des gouverneurs, hier, les 20 gouverneurs des 20 pays autour de Christine LAGARDE. Ceci est très cohérent avec un certain nombre de propositions que j'ai faites sur une titrisation verte, sur le développement des fonds de capital-risque européens, ou sur l’utilisation de la technologie numérique pour faciliter les transactions transfrontières.
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Laure CLOSIER

Certains attendent un IRA européen comme en IRA américain pour financer la transition énergétique. Est-ce que cela veut dire que, étant donné l'État, par exemple, des finances publiques de la France, ça ne se fera jamais ? Et donc le seul moyen, c'est de passer par les capitaux privés, de les unir. C'est ça notre IRA Européen ?

François Villeroy de GALHAU

Je crois qu'il faut que nous sortions un peu de l'autoflagellation européenne. Nous, Européens, nous avons une vertu collective, mais qui poussée excessivement devient un défaut ; c'est la modestie. Il y a eu des dispositions européennes. Je vous rappelle le plan de 750 milliards d'euros décidé en 2020…

Christophe JAKUBYSZYN

Il n'est pas déboursé.

François Villeroy de GALHAU

…Il commence à être dépensé. Plan à l'initiative de la France et de l'Allemagne, et largement affecté aux deux transformations verte et digitale. Et puis, il y a un certain nombre de dispositions nationales, dont la loi industrie verte en France. Il faut qu'on en parle plus, qu'on les « vende » mieux, au sens de les faire connaître aux industriels. Mais il faut compléter ces dispositifs publics par la mobilisation, au service des Européens de cette épargne privée. Aujourd’hui, comme elle ne s'investit pas en Europe, elle va s'investir ailleurs : aux États-Unis ou dans les pays émergents. C'est dommage. C'est cela, l'Union de financement.

Christophe JAKUBYSZYN

Dans un instant, Jean-Marc DANIEL et Marc FIORENTINO vont débriefer vos propos. Jean-Marc DANIEL dit que cette épargne européenne, avec une main d'œuvre trop chère, des pays vieillissants, autant aller justement l'investir ailleurs plutôt qu’en Europe, par exemple aux États-Unis, profiter des subventions américaines.

François Villeroy de GALHAU

Je n'enterre pas du tout l'Europe. Nous avons un certain nombre de réussites. Mais si on veut utiliser l'atout que sont l'épargne européenne, la capacité de travail et l'intelligence des Européens, il faut un certain nombre de réformes pour mettre tout cela en synergie. C'est cela l'Europe : nous n'avons pas de solutions nationales suffisantes prises séparément, mais ensemble, nous pouvons faire des très belles choses. Regardez comment nous avons fait face au covid, je crois que l'Europe est plutôt le continent qui a le mieux réagi. L'Europe peut être aussi pilote face à ces deux grandes évolutions verte et numérique. Au fur et à mesure que l'inflation recule, nous sortons du mode crise, du mode d'urgence, et nous devons regarder plus à moyen terme et réussir en Europe d'abord ces deux transformations.

Laure CLOSIER

Merci, François Villeroy de GALHAU, d'avoir été avec nous ce matin. 
 

BFM Business : « Il est très probable qu'il y ait une première baisse de taux au printemps »

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