Utiliser des données d’enquête pour prévoir la croissance du PIB

Bertrand Pluyaud est adjoint au directeur de la Balance des Paiements à la Direction générale des Statistiques de la Banque de France. Auparavant, il avait dirigé le service du Diagnostic Conjoncturel et le service d’Études sur les Politiques Structurelles à la Direction générale des Études et des Relations Internationales. Il est titulaire d’un Magistère de Modélisation Appliquée et d’un DEA d’économie internationale de l’Université de Nanterre-Paris X. Ses travaux portent sur la prévision macroéconomique et l’analyse de la productivité.

La Banque de France réalise chaque mois une enquête sur les secteurs de l’industrie, des services marchands, du commerce de détail et de la construction (Enquête Mensuelle de Conjoncture – EMC). L’information est collectée par les unités du réseau de la Banque auprès d’un échantillon d’environ 8 500 entreprises ou établissements. Dans le cadre de cette enquête, la Banque présente depuis 2000 un Indicateur Synthétique Mensuel d’Activité (ISMA, ou, en anglais, Monthly Index of Business Activity, MIBA). Celui-ci est une prévision du PIB du trimestre courant réalisée uniquement à partir des données (soldes d’opinions) de l’enquête. Cet indicateur reflète ainsi la capacité de l’enquête à anticiper les fluctuations de l’activité. Matteo Mogliani, Olivier Darné et Bertrand Pluyaud proposent une nouvelle version du modèle économétrique utilisé pour établir l’ISMA. Ils utilisent pour cela les méthodes d’estimation les plus récentes et les plus performantes.

Bien anticiper les évolutions de l’activité est crucial pour les décideurs économiques et notamment pour les banquiers centraux. Le Produit Intérieur Brut (PIB) trimestriel est la mesure traditionnelle pour rendre compte de l’activité économique d’un pays dans le court terme. Cependant, sa première estimation est établie avec un certain délai, de l’ordre d’un mois après la fin du trimestre dans le cas de la France depuis 2016. Toutefois, divers indicateurs peuvent être mobilisés pour proposer une estimation du PIB avant sa publication. Ceux-ci sont de deux types : les données macroéconomiques (« hard data »), qui correspondent à des mesures directes de l’activité économique (production industrielle, échanges extérieurs mesurés par les douanes, etc.) et les données d’enquête (« soft data »). Les premières apportent une information a priori plus fiable et sont pour certaines directement utilisées par l’Insee pour établir le PIB. Les enquêtes de conjoncture ont cependant l’avantage d’être disponibles très rapidement et d’apporter de l’information à la fois rétrospective (activité constatée) et prospective (prévision d’activité par les chefs d’entreprise, par exemple). L’objectif principal de Matteo Mogliani, Olivier Darné et Bertrand Pluyaud consiste à construire un indicateur d’activité utile aux décideurs économiques, à partir de l’enquête de conjoncture de la Banque de France. Les principaux apports de leur travail sont de trois ordres.

 

Un modèle exploitant au mieux l’information disponible, compte tenu de la variable à retracer

En premier lieu, les variables retenues pour le modèle sont sélectionnées suivant une procédure transparente et rigoureuse, s’appuyant sur une approche automatisée, dite « General-To Specific » (GETS). Cette approche permet de retenir des équations à la fois parcimonieuses (peu de variables), performantes. L’enquête étant mensuelle, trois enquêtes, et donc trois estimations du PIB, sont publiées consécutivement pour un trimestre donné. Pour chacun de ces trois mois du trimestre en cours, une équation différente est estimée. La procédure de sélection des variables inclut une étape (dite de « jugement d’expert ») de validation et de mise en cohérence des trois équations, qui sont légèrement modifiées par rapport aux équations sélectionnées spontanément par l’approche GETS, essentiellement afin d’assurer une bonne lisibilité des évolutions de la prévision d’un mois sur l’autre.

Par ailleurs, alors que la version précédente de l’ISMA s’appuyait largement sur des variables issues d’une analyse en composantes principales, c'est-à-dire sur des séries qui résument une partie de l’information contenue dans l’ensemble des variables de l’enquête via une combinaison linéaire des soldes d’opinion, l’approche retenue dans cette nouvelle version exclut ce mode de sélection. En effet, les variables issues de cette procédure incorporent a priori une part d’information non pertinente pour la prévision et sont plus difficilement interprétables d’un point de vue économique que les soldes d’opinion de l’enquête eux-mêmes.

Un autre apport de Matteo Mogliani, Olivier Darné et Bertrand Pluyaud concerne le modèle qui cible explicitement les premières publications du PIB. Le PIB est en effet révisé par l’Insee au fil du temps. Or, si la dernière estimation disponible est a priori le meilleur reflet de l’activité d’un trimestre donné, la première publication est en revanche la plus attendue par les décideurs économiques. Elle est donc celle dont on attend que l’ISMA soit la plus proche. Pour suivre au mieux cette première publication du PIB, le modèle est estimé sur une série de PIB « en temps réel », c’est-à-dire une série composée pour chaque trimestre de la première estimation publiée.

Une utilisation des informations contenues dans l’enquête différente au début et en fin de trimestre

Enfin, troisième apport majeur, ce nouveau modèle utilise la méthode dite du « blocking ». Cette méthode permet de traiter le problème des fréquences mixtes et des données manquantes : lorsque l’enquête mensuelle de janvier est publiée, par exemple, celle-ci apporte des informations sur tous les mois des trimestres passés, mais ne présente des observations que pour le premier mois du trimestre à prévoir. La méthode du « blocking » va consister à établir pour chaque solde d’opinion de l’enquête mensuelle (par exemple pour le solde d’opinion relatif à l’évolution des livraisons) trois séries trimestrielles correspondant aux différents mois du trimestre (par exemple « évolution des livraisons au premier mois de chaque trimestre », « évolution des livraisons au deuxième mois » et « évolution des livraisons au troisième mois »).

Comme attendu, les variables retenues par la procédure de sélection sont différentes selon le mois de la prévision : en début de trimestre, lorsqu’une seule enquête est disponible, l’information pertinente utilisée dans la première équation de l’ISMA est principalement associée à l’activité prévue par les chefs d’entreprise. Ensuite, pour les deux mois suivants, et donc pour les deux autre équations, l’information sur l’activité effectivement constatée par les chefs d’entreprise au cours du mois prend plus d’importance.

Selon les résultats de simulations, ce nouveau modèle délivre des prévisions plus précises que celles associées à plusieurs modèles concurrents, dont la précédente version de l’ISMA. Ces simulations montrent également que pour le troisième mois, l’ajout de données macroéconomiques mensuelles (« hard data ») permet d’obtenir des prévisions plus précises encore. Ceci est essentiellement vrai sur la période de la « Grande Récession » (fin 2008 et début 2009).

Mogliani (M.), Darné (O.), Pluyaud (B.) (2017) “The new MIBA model: Real-time nowcasting of French GDP using the Banque de France’s monthly business survey”, Economic Modelling, Vol. 64, p. 26-39

 

Mis à jour le : 13/04/2018 12:14