Marc Joëts est économiste et chercheur au service de Macroéconomie internationale de la Direction des Études et des Relations internationales et européennes depuis 2015. Docteur en économie (Paris Nanterre), il est chercheur associé à l’Université Paris Nanterre. En outre, il enseigne l’économétrie à l’Institut Français du Pétrole et des Énergies Nouvelles. Ses travaux de recherche portent notamment sur la dynamique des prix des matières premières et le risque systémique. Ils ont été publiés dans des revues telles que Energy Economics, Economic Modelling, European Journal of Operational Research, Journal of Economic Integration, International Economics.
Après ma thèse, je me suis d’abord orienté vers une carrière académique dans une école de commerce. Mon ambition était alors d’approfondir mes connaissances sur certains thèmes de recherche et d’en développer de nouveaux. Par la suite, avec l’idée d’associer mes travaux de recherche à des questions plus opérationnelles, j’avais opté pour la Banque de France qui correspond bien à mes nouvelles perspectives. Je suis maintenant économiste et chercheur au sein du service de Macroéconomie internationale à la DGEI, dans lequel je tente de concilier mon objectif de recherche académique avec des travaux « d’aide à la décision ».
Mes thématiques de recherche sont assez variées. Elles tournent, pour l’essentiel, autour de la macroéconomie, la finance internationale, l’économie de l’énergie et l’économétrie des séries temporelles. Comprendre les causes et effets des fluctuations des prix des matières premières, dans un contexte de changement climatique et d’épuisement des ressources, a été une de mes priorités de recherche de ces dernières années. Plus récemment, je me suis intéressé aux phénomènes d’interdépendance des marchés financiers en cherchant à mettre en évidence les éléments susceptibles de fragiliser le système financier international. Cela m’a amené à me poser la question du rôle central de l’incertitude dans la propagation des chocs financiers mondiaux et le risque systémique.
Comme je l’ai déjà mentionné, ce sont essentiellement des projets qui s’inscrivent dans une perspective de plus long terme. Ils font écho, soit à des travaux passés, soit à des idées que j’avais et qui ont pris forme récemment. Bien sûr, le contexte opérationnel dans lequel j’évolue, les questions d’intérêts d’une banque centrale, et les diverses rencontres ont alimenté ma manière d’appréhender certains projets. Je pense en particulier à la question du rôle de l’incertitude sur la sphère financière. J’aurais peut-être pris un angle d’analyse différent si je n’avais pas eu en tête ce point de vue « recherche institutionnelle ».
La littérature sur l’incertitude est en fait relativement ancienne puisqu’elle date des travaux théoriques de Knight (1921). Celui-ci a proposé une distinction entre la notion de risque et celle de l’incertitude. Sa popularité s’est progressivement accrue avec le développement d’approches économétriques « sophistiquées », capables de modéliser de manière formelle ce concept : incertitude macroéconomique, politique, ou financière (voir Bloom 2014 ; et Ferrara et al. 2016 pour une revue de littérature récente). Fondamentalement, la littérature académique sur cette question comporte deux grandes catégories. Il y a les travaux qui modélisent l’incertitude, afin d’en comprendre les causes (voir Scotti, 2016 et Baker et al., 2016 notamment), puis ceux qui tentent d’en appréhender les effets sur l’économie (par exemple Bloom, 2009 et Bussière, Ferrara et Milovich, 2015). Mes travaux se situent un peu à la frontière entre les deux catégories, en proposant une mesure d’incertitude du prix du pétrole et des matières premières (Joëts, Mignon et Razafindrabe, 2017) et, plus récemment, en montrant que la contagion financière internationale a tendance à s’accroître lorsque l’économie mondiale est dans une phase de forte incertitude (Candelon, Ferrara et Joëts, 2018).
Je n’ai pas de plan de carrière prédéfini mais disons que cette double casquette d’économiste/chercheur est une position intellectuellement stimulante et satisfaisante car elle permet de faire le lien entre le milieu académique et les aspects plus institutionnels de la recherche au sens large. Dans la mesure du possible, un mix entre l’académique et une recherche de type institutionnel est certainement l’équilibre que je cherche.
Mon expérience à la Banque m’a appris que le travail à caractère opérationnel et celui plus académique étaient en fait indissociables. Même s’ils obéissent parfois à une logique d’analyse et à des horizons distincts, les aspects institutionnels et académiques d’un chercheur en banque centrale s’autoalimentent inévitablement. C’est justement, je pense, tout l’enjeu d’une banque centrale que de permettre à ces deux mondes de coexister. De manière plus individuelle pour le chercheur, l’objectif est d’adapter son discours, rendre audible et clair des éléments parfois techniques et complexes, et contextualiser son analyse. La jonction des deux exigences n’est cependant pas chose aisée, mais je pense que le service de macroéconomie internationale et, plus généralement, la DGEI a une organisation qui permet de stimuler les échanges institutionnels et académiques, notamment via les différents séminaires qui s’y organisent.
La plupart des travaux académiques sur l’incertitude ont mis en lumière son effet négatif sur l’activité économique, en particulier sur les décisions des entreprises et des ménages. En revanche, la littérature est encore limitée sur les questions relatives à son impact sur la finance (marchés ou actifs financiers, etc.). Dans la continuité de mes derniers travaux, j’espère pouvoir explorer plus en profondeur le lien entre l’incertitude et la stabilité financière. Tout d’abord, en étendant la réflexion à de multiples classes d’actifs (produits dérivés, obligations, immobilier, …), types d’acteurs (banques, compagnies assurances, …) et zones géographiques. Ensuite, en identifiant formellement si le niveau d’incertitude peut constituer un « early warning signal » pour le risque systémique. Enfin, il convient de se poser la question inverse, à savoir si l’incertitude n’est pas un phénomène latent du système financier.
Il est fondamental que perdure et se renforce un lien étroit entre le monde académique et celui plus institutionnel de la Banque de France. Comme évoqué précédemment, ces deux mondes obéissent souvent à des logiques et des niveaux de discours différents mais complémentaires. Selon moi, ces deux niveaux de discours sont essentiels à l’examen de phénomènes économiques et financiers complexes qui régissent l’économie globalisée d’aujourd’hui. De la recherche, la Banque de France doit tirer parti d’une analyse de plus long terme des phénomènes et des méthodes permettant de les appréhender, d’autant plus qu’elle dispose de bases de données extraordinaires. La recherche académique peut tirer profit de l’opérationnel pour améliorer sa compréhension des enjeux, contextualiser son analyse, mieux ancrer ses modèles dans la réalité économique et rendre plus audible son discours.
Je dirais sans hésitation : associer le travail de recherche avec celui plus opérationnel d’économiste. Cela passe inévitablement par une capacité à s’adapter à des cadres d’analyse et à des horizons de réflexion différents.
Baker S., N. Bloom, et S. Davis, (2016) “Measuring economic policy uncertainty”, Quarterly Journal of Economics 131, p. 1593-1636.
Bloom, N. (2009) “The impact of Uncertainty Shocks”, Econometrica 77, p. 623-685.
Bloom, N. (2014) “Fluctuations in Uncertainty”, Journal of Economic Perspectives 28, p. 153-176.
Bussière, M., L. Ferrara et J.Y. Milovich, (2015) 3Explaining the Recent Slump in Investment: the Role of Expected Demand and Uncertainty”, Banque de France Working Paper n°571.
Candelon, B., L. Ferrara et M. Joëts, (2018) “Global financial interconnectedness: A non-linear assessment of the uncertainty channel”, Banque de France Working Paper n°661.
Ferrara, L., S. Lhuissier et F. Tripier, (2017) “Uncertainty fluctuations: Measures, effects and macroeconomic policy challenges”, CEPII Policy Brief n°20.
Joëts, M., V. Mignon et T. Razafindrabe, (2017) “Does the volatility of commodity prices reflect macroeconomic uncertainty?”, Energy Economics 68, p. 313-326.
Scotti, C. (2016) “Surprise and Uncertainty Indexes: Real-Time Aggregation of Real-Activity Macro Surprises”, Journal of Monetary Economics 82, p. 1-19.
Mis à jour le : 13/04/2018 11:23