La France peut-elle atteindre l’objectif du Facteur 4 ? Une évaluation à l’aide d’un modèle stylisé énergie-économie

Nicolas Maggiar est diplômé de l’École Centrale Paris et titulaire d’un Master en économie de Paris School of Economics. Il travaille actuellement à la Direction Financière et du Contrôle de Gestion. Auparavant, il a été adjoint au chef du service d’études des politiques structurelles (DGEI), où il a notamment travaillé sur l’impact économique des politiques publiques liées à l’environnement. Il a été rapporteur du groupe de travail « les instruments économiques du développement durable » et de la Commission pour la libération de la croissance française présidée par J. Attali (2010).

La France peut-elle atteindre l’objectif du Facteur 4 ? Une évaluation à l’aide d’un modèle stylisé énergie-économie

 

Quel devrait être le niveau de la taxe carbone à introduire dans l’économie française pour atteindre l’objectif du Facteur 4, c’est-à-dire la division par quatre des émissions de CO2 à horizon 2050 ?  Fanny Henriet, Nicolas Maggiar et Katheline Schubert tentent de répondre à cette question à l’aide d‘un modèle stylisé de l’économie française, simple et transparent sur les hypothèses de progrès technique et les possibilités de substitution entre l’énergie fossile et les autres biens et facteurs. Ils montrent que l’objectif du facteur 4 ne peut être atteint à l’aide d’une taxe carbone seule, sauf à retenir des hypothèses extrêmement optimistes sur l’efficacité énergétique et les énergies de substitution.

 

« Quel devrait être le niveau de la taxe carbone à introduire dans l’économie pour atteindre l’objectif du Facteur 4 ? »

Comme de nombreux pays, la France s’est engagée à diviser par quatre ses émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050 par rapport au niveau de 1990. D’importantes incertitudes existent sur le coût de cet objectif ambitieux et sur la combinaison adéquate d’instruments à mettre en place pour l’atteindre : instruments s’appuyant sur l’augmentation du prix des énergies fossiles, normes, investissements publics, Recherche et Développement. Quelle que soit la combinaison retenue, l’introduction de mécanismes fondés sur l’augmentation des prix des combustibles fossiles semble incontournable, qu’il s’agisse d’une taxe ou d’un marché de permis. Une situation où les prix des énergies émettrices de gaz à effet de serre n’augmenteraient pas apparait en effet incompatible avec une diminution sensible de leur utilisation. Fanny Henriet, Nicolas Maggiar et Katheline Schubert posent alors la question suivante : quel devrait être le niveau de la taxe carbone à introduire dans l’économie pour que les émissions soient divisées par quatre à horizon 2050 ?

 

«Un modèle macroéconomique stylisé avec des hypothèses de substitution et de progrès technique explicites »

En France, cette question a déjà été posée, notamment en 2008 par la commission Quinet. Cette Commission  avait  conclu que l’introduction d’une taxe égale à 32€ par tonne de CO2, augmentant d’environ 5% par an, serait suffisante pour assurer la division par quatre des émissions à horizon 2050. Ces résultats s’appuient sur des simulations réalisées avec trois modèles intégrant chacun une représentation très fine du secteur énergétique. La complexité et la désagrégation sectorielle de ces modèles nuisent à la lisibilité des résultats et des hypothèses, telles que les possibilités de substitution entre l’énergie et les autres biens ou le taux moyen agrégé de progrès technique permettant des économies d’énergie fossile. Compte tenu de l’importance de ces hypothèses sur les résultats, Fanny Henriet, Nicolas Maggiar et Katheline Schubert font le choix de construire un modèle macroéconomique stylisé, suffisamment agrégé pour que les hypothèses de substitution et de progrès technique soient parfaitement explicites.

 

«La taxe Quinet permet de diminuer les émissions de seulement 25% »

Fanny Henriet, Nicolas Maggiar et Katheline Schubert s’intéressent dans un premier temps à l’effet de la taxe préconisée par la commission Quinet sur les émissions de CO2. En s’appuyant sur les taux d’émission des différents combustibles et leurs consommations relatives, ils montrent que la taxe de 32€ par tonne de CO2 correspond à un surcoût de 15% du prix des énergies fossiles hors taxes, puis de 100% en 2050, lorsque la taxe atteint 200€ par tonne. Ce surcoût s’ajoute aux taxes existantes sur l’énergie, qui représentent environ 70% du prix hors taxe. En faisant l’hypothèse que le taux de progrès technique sur l’énergie demeure à son niveau historique estimé sur données françaises, à savoir 2% par an, ils montrent que cette taxe est largement insuffisante : elle permet une inflexion des émissions de seulement 25% en 2050.

Pour accroitre les réductions d’émissions, la première solution envisageable est d’augmenter le niveau de la taxe sur les émissions. Fanny Henriet, Nicolas Maggiar et Katheline Schubert trouvent que la taxe à introduire devrait être de 832€ par tonne de CO2, soit 25 fois plus que la taxe recommandée dans la Commission Quinet. Une taxe de ce niveau, qui représenterait 400 fois le prix de l’énergie hors taxe, apparait de manière évidente trop élevée pour être acceptable. La deuxième solution est de miser sur une amélioration du taux de progrès technique sur la consommation d’énergie. Les auteurs trouvent que ce taux devrait être de 7,4% par an, c’est-à-dire très supérieur au taux de 2% observé sur le passé.

 

« Une taxe carbone seule est insuffisante pour enclencher les inflexions nécessaires »

Compte tenu de ces résultats, Fanny Henriet, Nicolas Maggiar et Katheline Schubert modifient leur modèle en rendant endogène le taux de progrès technique sur la consommation d’énergie : celui-ci est stimulé par l’augmentation du prix de l’énergie fossile. En introduisant ce mécanisme, les réductions d’émissions induites par la taxe Quinet de 32€ par tonne sont sensiblement améliorées : elles s’élèvent à 40%, au lieu de 25% avec un taux exogène à 2% par an. Toutefois, même avec ce mécanisme, l’objectif du facteur 4 n’est pas atteint.

Les résultats incitent donc à la prudence sur les possibilités de réalisation du Facteur 4 : une taxe carbone seule n’apparait pas suffisante pour enclencher les inflexions nécessaires. L’objectif ne pourra vraisemblablement pas être atteint sans la mise en place de politiques publiques complémentaires permettant de stimuler le progrès technique et l’efficacité énergétique.

 

Henriet (F.), Maggiar (N.), Schubert (K), “A Stylized Applied Energy-Economy Model for France”, Energy Journal, Vok. 35, No. 4, 1-37, 2014

Mis à jour le : 08/01/2018 17:11