Gouverneur de la Banque de France depuis 2015, François Villeroy de Galhau, ancien conseiller européen du premier ministre Pierre Bérégovoy au début des années 90, pilote trois missions : la stratégie monétaire, la stabilité financière et les services économiques vers les ménages et les TPE et PME. L’ex-PDG de Cetelem et directeur général délégué de BNP Paribas fait le point sur la cotation des entreprises et leurs trésoreries. RECUEILLI PAR GRÉGORY LECLERC
Vous rencontrez aujourd’hui les salariés de la Banque de France de Toulon. Quel est le but de votre visite ?
La Banque de France attache une grande importance à son réseau et à sa présence dans l’ensemble des territoires. Notre présence dans le Var est très significative car la succursale de Toulon, c’est autour du directeur Christian Fankhauser près de 25 hommes et femmes engagés au service des PME et des particuliers. Il y a deux spécificités dans le Var : nous avons nommé Laure La Motte, directrice déléguée responsable du pôle économique de Draguignan et du Var Est. Et nous avons également deux bureaux d’accueil et d’information (BAI) à Draguignan et à Hyères. Il s’agit donc d’une présence importante de la Banque de France dans le Var, qui est tout aussi présente dans les Alpes Maritimes avec un BAI à Cannes et une succursale départementale à Nice. Vendredi (aujourd’hui), je viens échanger avec les équipes de la Banque de France. Je vais rencontrer notre conseil consultatif. C’est-à-dire une douzaine d’entrepreneurs, de patrons de PME et d’entreprises de taille intermédiaire. Ces échanges sont très précieux, surtout dans les temps incertains que nous vivons, car ils donnent l’éclairage du terrain sur la réalité économique.
La Banque de France assure une cotation des entreprises régionales : combien sont concernées dans le Var et les Alpes-Maritimes ? Quelle est leur santé économique ?
Nous avons au total près de 24 000 entreprises cotées sur l’ensemble de la région Paca, dont 4500 dans le Var et 5300 dans les Alpes-Maritimes. Nous avons eu des interrogations lors de la crise Covid. Les choses se sont finalement mieux passées qu’on ne le craignait. Le " quoi qu’il en coûte " a été efficace pour soutenir la situation financière des entreprises. La tendance, c’est qu’en 2021, il y a eu une légère amélioration de la cotation. Pour 2022, nous ne constatons pas de changement sur cette tendance. Sur la situation de la trésorerie des entreprises, nous restons mobilisés mais nous ne sommes pas inquiets. Globalement les entreprises françaises sortent de la crise Covid avec une situation financière solide. Si je prends une autre tâche que nous assurons, celle de la médiation du crédit, nous avions beaucoup plus de dossiers en 2020. En 2021 puis 2022 le nombre de dossiers est revenu à un niveau faible.
Quelle est la situation financière de la région Sud ?
Globalement, la région est assez proche de la situation nationale. La part des PME et TPE est plus forte, comme celle du secteur tertiaire, mais la région a plutôt bien résisté. Il y a eu un choc Covid très fort au printemps 2020, mais le rebond a été exceptionnel en 2021. On a retrouvé le niveau pré-Covid dès l’été dernier, beaucoup plus tôt que prévu. Là-dessus est arrivé le choc Ukraine de février dernier. Il touche plus l’industrie que les services. Le secteur du tourisme avait été très touché par la Covid, il l’est moins cette fois. Il est un peu tôt pour se prononcer sur ce que va donner la conjoncture dans la région. Ce qui est sûr c’est que la guerre en Ukraine représente un peu moins de croissance, plus d’inflation, et surtout plus d’incertitudes pour les entrepreneurs. C’est donc essentiel de les rencontrer.
Les faillites des entreprises ont connu un rebond en fin d’année 2021. Faut-il vraiment s’en inquiéter ?
Il y a une surinterprétation des chiffres. Les faillites des entreprises étaient tombées en 2020 à un point historiquement bas, beaucoup plus bas que dans une année normale. On revient à un niveau qui est encore beaucoup plus faible que 2019. Il n’y a pas de signe d’inquiétude sur les défaillances d’entreprises. Il faut comparer à des années " normales ", et pas à des années exceptionnellement basses.
Le début du remboursement du prêt garanti par l’État pourrait-il accélérer les défaillances ?
Les choses se passent plutôt bien, même si nous sommes mobilisés et vigilants, car il peut y avoir des difficultés individuelles de certaines entreprises. Globalement la situation est bonne. La très grande majorité des entreprises est en situation de rembourser le PGE. Plus de la moitié a commencé à le faire ou l’a déjà remboursé. Nous estimons à moins de 5 % les entreprises qui auront des difficultés de remboursement. À Toulon, comme à Nice, on reste début 2022 sur des chiffres très bas : six dossiers seulement de PGE en difficulté reçus à la Médiation, sur près de 40 000 PGE accordés.
Parlons des particuliers. Ces deux dernières années, selon vos chiffres, le nombre de dossiers de surendettement a diminué de 15 % : comment l’expliquer ?
Dans le Var comme dans les Alpes-Maritimes, le nombre de dossiers a baissé de plus de 40 %. Là aussi il faut distinguer une année exceptionnelle, 2020, et ce qui se passe depuis. Ce qui est plutôt rassurant, c’est qu’en 2021, quand la vie a retrouvé son cours normal, nous n’avons pas vu de remontée significative des dossiers de surendettement. On poursuit, au contraire, cette tendance à la baisse. Cela s’explique par la situation économique qui s’est améliorée, les créations d’emplois qui sont à un niveau élevé, le taux de chômage qui est plus bas. C’est l’efficacité du quoi qu’il en coûte aussi du côté des ménages.
L’impact premier de la guerre en Ukraine sur notre économie est l’inflation. Votre institution a évoqué une inflation élevée en 2022 et 2023. Vous avez planché sur deux scénarios, un normalisé, un autre dégradé. À quoi s’attendre ?
Il y a une bosse d’inflation incontestable aujourd’hui que nos concitoyens ressentent. Elle est moins forte en France que dans la moyenne européenne ou aux États-Unis. Nous sommes dans une inflation qui est autour de 4, 5 %. C’est toujours trop, mais c’est moins car le " bouclier tarifaire " sur le prix de l’électricité et du gaz est puissant. Le poids du nucléaire réduit aussi notre sensibilité aux prix du pétrole et du gaz. L’inflation devrait revenir d’ici 2024 sous 2 % en France. C’est très important pour la confiance de nos concitoyens dans leur monnaie. Une bonne monnaie c’est celle dont on préserve la valeur.
Votre rôle en matière d’éducation financière ?
Il est central. Depuis 2016, nous sommes opérateur national de la stratégie d’éducation financière. une sorte de chef d’orchestre. C’est une priorité dans toutes les grandes économies. La semaine d’éducation financière organisée à l’échelle internationale est l’occasion d’apporter à nos concitoyens et aux plus jeunes des outils pour mieux gérer leur situation financière. Et mieux participer aux grands débats économiques. À Toulon, à Nice, nos agents sont extrêmement attachés à cette nouvelle mission. L’éducation financière, c’est aussi de la prévention. L’idée est d’aider les jeunes à ne pas être victimes d’arnaques financières ou les familles à mieux gérer leur budget.
La France a réélu Emmanuel Macron pour cinq ans, comment a réagi l’économie ?
La Banque de France est indépendante de tout parti politique. Elle est au service de tous les Français, et je ne ferai évidemment pas de commentaire politique. Que nous ayons maintenant une période de stabilité y compris économique, est plutôt un atout dans l’environnement d’incertitude dont nous parlions.