Newslist
InterventionInterviews

L'Est Républicain : « L’économie française avance sur une route devenue plus glissante ; veillons donc à éviter les embardées économiques »

Quel est aujourd’hui le rythme de la croissance française ?

Nous venons de faire une enquête de conjoncture auprès de plus de 8000 entrepreneurs et PME dans tous les territoires, tous les secteurs. Ils nous disent qu’après un beau redressement post-Covid, notre environnement est aujourd’hui plus incertain . Le premier trimestre devrait encore enregistrer une croissance autour de 0,25 %, mais on voit les premiers effets du choc Ukraine.

 

Comment la guerre en Ukraine affecte notre économie ?

Le choc est beaucoup moins brutal que le choc Covid d’il y a deux ans, mais il pourrait durer plus longtemps et affecter notre croissance et l’emploi. Il y a d’abord certes la hausse des prix de l’énergie: elle est cependant moins élevée en France que dans d’autres pays, avec un « bouclier tarifaire » puissant qui amène deux points d’inflation en moins. Mais il y a aussi les difficultés d’approvisionnement, au plus haut dans l’industrie et en hausse dans le bâtiment: elles entrainent une nette montée des incertitudes chez les chefs d’entreprises. 

 

L’inflation, qui est déjà là, est-elle durable ?

Cette inflation trop élevée à 4 ou 5 % -même si elle est nettement inférieure à la moyenne européenne- va demeurer pour un certain nombre de mois, en fonction de l’évolution du prix du pétrole et du gaz. Elle devrait ensuite diminuer en 2023 et revenir à 2 % d’ici 2024.

 

Vous aviez présenté fin mars des scénarios de croissance annuelle, dont un « scénario dégradé » à 2,8 %. Faut-il craindre une dégradation plus forte ?

Nous actualiserons nos scénarios en juin. La croissance française semble résister mieux que chez nos voisins, mais incontestablement, nous allons devoir traverser des temps économiques plus difficiles. L’économie française avance sur une route qui est devenue plus glissante. Veillons donc à éviter les embardées économiques: notre économie a besoin de stabilité.

 

La France a une dette importante, égale à 113 % de son PIB. Or, le sujet est assez absent du débat de la campagne présidentielle…

Dans cet environnement économique plus fragile et face à cette dette élevée, notre pays a des atouts qu’il est essentiel de garder. Mon devoir est de rappeler deux boussoles simples; la première, c’est de garder la confiance de ceux qui prêtent à la France. Aujourd’hui, la France emprunte à seulement 0,5 % d’intérêt de plus que l’Allemagne. Si notre pays était amené à dépenser trop et pour cela à emprunter encore davantage, il inspirerait moins confiance et ce surcoût pourrait augmenter rapidement. Pour vous citer un exemple : l’Italie, en 2018, avait suscité des doutes sur son engagement européen ; elle avait vu en quelques semaines le coût de tous ses nouveaux emprunts augmenter de 1,5 %, pour la dette publique mais aussi pour les particuliers et les entreprises.

 

C’était après les élections de mars 2018 et la victoire des populistes de la Ligue et Mouvement 5 Etoiles…

La Banque de France est indépendante et n’a pas à faire de commentaire politique. Elle est là pour redire avec constance les faits, et l’importance que la politique économique d’un pays inspire confiance.

 

Et la seconde boussole ?

C’est la solidarité avec nos voisins européens. Tout le monde veut désormais garder l’euro. C’est très bien, car il protège mieux notre épargne et le pouvoir d’achat en limitant l’inflation; mais pour cela il faut jouer résolument le jeu collectif européen, y compris la sécurité qu’est le marché unique. Nous avons le contre-exemple de la Russie : elle représente seulement 1% du commerce extérieur français, mais son arrêt perturbe déjà notre économie. Le marché unique, c’est plus de 50% de notre commerce, garanti par des règles communes : ce serait donc un choc nettement plus fort si on imaginait de remettre certaines frontières à l’intérieur du marché unique.

 

Le risque d’une embardée économique existe selon vous aujourd’hui en France ?

Le débat démocratique est évidemment souverain. Je n’ai pas à parler de couleur politique mais de confiance économique, encore plus nécessaire dans un environnement devenu plus incertain.

Propos recueillis par Francis BROCHET

Download the PDF version of this document

InterviewsFrançois VILLEROY DE GALHAU, Gouverneur de la Banque de France
L'Est Républicain : « L’économie française avance sur une route devenue plus glissante ; veillons donc à éviter les embardées économiques »
  • Published on 04/13/2022
  • FR
  • PDF (679.48 KB)
Download (FR)