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BFM Business : « La politique monétaire face à l’incertitude géopolitique »

Sandra GANDOIN

L'interview ce matin c'est François VILLEROY de GALHAU, le Gouverneur de la BANQUE DE FRANCE, bonjour.

François VILLEROY de GALHAU

Bonjour Sandra GANDOIN

Sandra GANDOIN

Merci d'être avec nous ce matin dans Good Morning Business. Donc, on va évidemment commenter cette décision, ces annonces de la Banque centrale européenne, Christine LAGARDE hier qui ne renonce finalement pas à ses intentions de sortir progressivement des mesures extraordinaires mises en place il y a plusieurs années, c'est l'inflation qui prime, elle a écouté les « faucons » finalement…

François VILLEROY de GALHAU

Si vous permettez de réagir tout de suite, je n'ai jamais aimé ces noms d'oiseaux, ces catégories ornithologiques…

Sandra GANDOIN

Les faucons, les colombes, ce n’est pas votre truc…

François VILLEROY de GALHAU

Je ne suis ni faucon, ni colombe, Christine LAGARDE non plus. Je crois que nous sommes tous des hommes et des femmes responsables et c'est cela qui est important pour ceux qui nous écoutent, garants de la stabilité des prix, c'est-à-dire d'éviter la spirale inflationniste.

Sandra GANDOIN

Justement, voilà, la priorité c’était là, c’était de lutter contre cette inflation galopante. Votre réaction, vous, vous réclamiez, avant cette réunion, de la flexibilité, François VILLEROY de GALHAU.

François VILLEROY de GALHAU

Il faut d'abord partir de la situation économique dans laquelle on est, qui est effectivement très changée par la guerre en Ukraine. Cette guerre c'est d'abord un drame humain, je veux dire toute ma solidarité et mon admiration pour le peuple ukrainien, mais c'est aussi un choc économique négatif. Il faut se dire les choses très directement : beaucoup plus négatif pour la Russie, qui va souffrir des sanctions, mais pour l'Europe cela signifie plus d'inflation, à travers la montée du prix de l'énergie, moins de croissance, et beaucoup plus d'incertitudes. Ces incertitudes, nous avons essayé hier de les réduire, en tout cas de donner un certain nombre de repères en publiant trois scénarios. On n’en n’a pas beaucoup parlé, mais je crois que c'est une des informations très importantes d'hier : nous avons pris un scénario modéré, un scénario dégradé, et puis un scénario sévère, avec des hypothèses différentes parce qu'il y a beaucoup d'incertitudes. On y voit les effets négatifs dont je parlais, mais il y a quand même deux repères de confiance si j'ose dire, deux réducteurs d'incertitudes que nous avons donnés. C’est d’abord que dans tous les scénarios la croissance reste positive en Europe chacune des années, il n’y a pas de récession. Le deuxième repère c'est que l'inflation, après un sommet en 2022, vous le disiez, -on devrait être entre 5 et 7 % d'inflation-, devrait revenir d’ici 2024 autour de 2 %, qui est notre objectif. Nous regardons bien sûr l'ensemble de la zone euro, mais je relève au passage que pour la France l'inflation, tout en étant élevée, à un peu plus de 4 % en indice européen cette année, est significativement inférieure à la moyenne de la zone euro, environ 2 points de moins. La France est le grand pays de la zone euro qui a le moins d'inflation aujourd'hui.

Sandra GANDOIN

L’idée c’est donc la patience, c'est pour ça que vous ne réduisez pas finalement ce soutien monétaire en réduisant les achats d'actifs, c'est ce que Christine LAGARDE a annoncé hier, on garde ce cap, la crise ukrainienne finalement ne change pas cet objectif ?

François VILLEROY de GALHAU

Nous avons fait hier une chose probablement assez proche de ce que nous aurions fait en l'absence de crise ukrainienne, alors même que le choc ukrainien rajoute de l'inflation. C'est une réaction mesurée, et au fond, si je prenais une image très simple, la seule décision que nous avons prise hier, autour de Christine LAGARDE, et à l'unanimité, c'est de lever le pied de l'accélérateur à inflation, pour éviter justement à l'avenir d'avoir à appuyer brutalement sur le frein. Cet accélérateur dont nous avons décidé de lever le pied, sous conditions, c'est ce qu'on appelle les achats d'actifs : selon des mesures exceptionnelles introduites depuis 2015, nous achetions de plus en plus de titres de dettes parce qu'il n'y avait pas assez d'inflation. Aujourd’hui il y a trop d'inflation, donc continuer à appuyer sur l'accélérateur n'aurait pas de sens. Ces achats d’actifs, c’est ce qu'on appelle le QE, mais pour autant nous allons garder un montant très important de titres que nous détenons. Pour être tout à fait précis car nous sommes sur BFM Business : nous allons, sous conditions, arrêter au troisième trimestre, d'augmenter ce QE, mais nous en stabilisons le montant. Ce montant restera très élevé, à environ 5000 Mds d’euros, donc nous resterons présents sur les titres de dettes publiques et privées. Ensuite, il y a des mesures que nous n'avons pas décidées, je voudrais y insister parce que…

Sandra GANDOIN

C’est quoi, relever les taux par exemple ?

François VILLEROY de GALHAU

Exactement.

Sandra GANDOIN

Cela arrivera après !

François VILLEROY de GALHAU

Cela arrivera peut-être après…

Sandra GANDOIN

Ou pas.

François VILLEROY de GALHAU

Ou pas, exactement.

Sandra GANDOIN

En tout cas ce n’est pas le même calendrier en effet.

François VILLEROY de GALHAU

Non, non, mais vous avez raison, Sandra GANDOIN, de souligner ce point : quand on compare à ce que font les autres banques centrales de par le monde, les Banques centrales américaine, canadienne, britannique, pour ne citer que celles-là, elles prennent des mesures nettement plus dures par rapport à l'accélération de l'inflation. Il y en a notamment certaines qui ont déjà relevé leurs taux d'intérêt, il semble que la Banque centrale américaine s'apprête à le faire la semaine prochaine. Nous, ce que nous avons dit hier c'est qu'il n'y avait plus aucun automatisme entre l'arrêt de ces achats nets d'actifs et une éventuelle hausse de taux d'intérêt. C'est un changement qui n'a peut-être pas été assez noté par les marchés hier. Qu’est-ce qu’on disait jusqu’à présent ? C’est qu’on arrêtait les achats d’actifs, « immédiatement avant » le relèvement de taux d’intérêt. Là nous allons sans doute, sous conditions, arrêter les achats d'actifs, mais nous disons que la question des taux d'intérêts se posera quelque temps après, en anglais, parce qu'on travaille en anglais, « some time after ». Qu’est-ce que cela veut dire, some time after ? C'est complètement ouvert, il n’y a aucun automatisme, ce peut être long, et nous prendrons tout le temps qu'il faut. Nous jugerons à ce moment-là, en fonction des données de l'inflation et de la situation économique. Nous avons par ailleurs dit que si ce relèvement de taux commençait, il serait très progressif. J'insiste donc sur ce 2e volet de la décision : nous décidons de lever le pied de l’accélérateur, mais nous cassons l'automatisme, l'enchaînement, que l’on voit dans d'autres banques centrales, avec un éventuel relèvement de taux d'intérêt. Cela veut dire une chose qui est très importante pour ceux et celles qui nous écoutent, c'est que la politique monétaire de la BCE, comparée à celle de toutes les autres grandes banques centrales, reste très accommodante. Quand on regarde les taux d'intérêt réels, déduction faite de l'inflation parce que c'est cela qui compte, ils restent fortement négatifs, et historiquement favorables. C'est vrai pour le crédit immobilier, c'est vrai pour les emprunts de l'État, ou pour l'investissement des entreprises.

Sandra GANDOIN

Vous êtes garant du bon fonctionnement des institutions financières en France, elles sont finalement assez peu exposées aux risques en Russie. Est-ce que vous avez quand même des inquiétudes pour certains établissements français ou pas du tout ?

François VILLEROY de GALHAU

Non.

Sandra GANDOIN

Non.

François VILLEROY de GALHAU

Voilà, la réponse courte c'est non.

Sandra GANDOIN

Non, même pas ROSBANK, la SOCIETE GENERALE.

François VILLEROY de GALHAU

L’ensemble des grandes banques françaises est supervisé de très près par l’ ACPR en France, liée à la BANQUE DE FRANCE, et puis par l'Union bancaire européenne. Chaque établissement a rendu publics ses risques sur la Russie. Ce sont des risques qui ne sont pas insignifiants, mais qui sont tout à fait gérables, y compris pour la banque que vous avez citée, la SOCIETE GENERALE, qui a une filiale en Russie. Au passage,  c'est le résultat de la bonne gestion des banques, mais aussi du renforcement des sécurités financières, des règles que nous avons imposées à la suite de la crise financière, ce qu'on appelle Bâle 3.

Sandra GANDOIN

Face à la situation en Ukraine, par ailleurs, l'exécutif donc va annoncer de nouvelles mesures de soutien dans le cadre de ce plan de résilience dont a parlé hier Jean CASTEX. Est-ce que vous craignez, vous, qu'on laisse filer à nouveau les finances publiques après ce qui s'est passé suite à la crise sanitaire ?

François VILLEROY de GALHAU

Oh, je crois que les diverses autorités au niveau français et européen vont s'adapter face à ce choc. Nous avons dit hier que nous souhaitions qu’il y ait un soutien budgétaire européen, c'est l'enjeu du Sommet de Versailles qui se réunit aujourd'hui. Je crois qu'il est important aussi que nous veillions à la bonne résilience de chacun des pays de la Zone euro, chacun des 19, face à ce choc. C'est-ce que nous appelons dans notre langage éviter la fragmentation. Certains pays risquent d’être touchés plus que d'autres, et puis il peut y avoir des tensions sur les fameux spread, les écarts de taux d'intérêt entre les pays. Nous avions déjà dit au mois de décembre, et je veux le redire ce matin, que nous ferions ce qu'il faut en termes de flexibilité. C’est le terme que nous employons : le risque c'est la fragmentation, la réponse c’est la flexibilité, c'est-à-dire être prêt si nécessaire, s'il y avait des écartements de taux d'intérêt injustifiés, à agir plus sur les titres de certains pays ou sur certaines classes d'actifs. Nous l'avions dit en décembre, nous le confirmons et nous ferons davantage s'il le faut. Ce dispositif de flexibilité accompagne les mesures que nous avons prises hier, c'est-à-dire l'arrêt programmé des achats d’actifs.

Sandra GANDOIN

Merci beaucoup, François VILLEROY de GALHAU, d'être venu ce matin dans Good Morning Business, gouverneur de la BANQUE DE FRANCE.

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BFM Business : « La politique monétaire face à l’incertitude géopolitique »
  • Published on 03/11/2022
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