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CFDT Magazine : « Viser une stabilité fiscale »

François Villeroy de Galhau : « Viser une stabilité fiscale »

Pour le gouverneur de la Banque de France, auteur de « Retrouver confiance en l’économie », l’optimisme des ménages sera une des clés du rebond de l’activité.

L’économie française a-t-elle tenu le choc de la crise sanitaire ?

L’économie française a beaucoup souffert lors du premier confinement et a reculé davantage que celles de nos voisins européens. En revanche, depuis l’été dernier, l’économie française fait mieux que la moyenne européenne. C’est le signe de deux choses : les mesures de soutien public ont fonctionné (c’est le « quoi qu’il en coûte » du gouvernement et le soutien monétaire des banques centrales) et les Français ont gardé une forme de confiance dans l’économie. C’est frappant de voir que lors des deux précédents épisodes de levée partielle des restrictions, à l’été 2020 et au mois de décembre, les consommateurs ont très vite retrouvé le chemin des magasins – comme aujourd’hui semble-t-il – et ils soutiennent ainsi l’activité et l’emploi. Ceci dit, nous ne sommes pas encore sortis de la crise.

Le plan de relance de 100 milliards d’euros, vous l’écrivez dans votre livre, vous paraît « bien positionné ». Pourquoi ?

Certains regrettent que le plan de relance soit du côté des entreprises, mais il faut rappeler que les mesures d’urgence déjà prises en 2020, pour environ 100 milliards d’euros aussi, étaient très fortement dirigées vers les ménages, comme le chômage partiel. Ces mesures ont permis dans cette rude crise de préserver le pouvoir d’achat en moyenne des ménages, et de limiter la montée du chômage. Le plan de relance, c’est la « deuxième jambe », la partie reconstruction, ciblée sur les entreprises. Là où il me paraît bien positionné, c’est quand on regarde ses composantes. Il y a un fort volet écologique, 30 % des investissements, un volet sur la transformation numérique et la compétitivité des entreprises, et enfin un volet qui me paraît essentiel, celui des compétences. Nous ne parlerons jamais assez, comme le fait Laurent Berger, des chances qu’il faut donner aux jeunes, à travers l’éducation, l’apprentissage et la formation professionnelle. C’est une des clés de la reconstruction, et de la lutte contre les inégalités.

D’ailleurs, est-ce que l’on constate une augmentation des inégalités avec cette crise ?

C’est une question importante et encore difficile à juger. Une grande partie de l’économie a continué à fonctionner et, grâce au chômage partiel, ceux qui ont souffert de la récession économique ont été soutenus par la collectivité nationale. Il n’y a donc pas aujourd’hui dans les chiffres, de creusement évident des inégalités de revenus. Mais il y a à coup sûr des inégalités d’opportunités : ceux qui ont un statut fragile, comme les micro-entrepreneurs ou les jeunes, ont pu souffrir beaucoup plus que les autres. Certains ont en plus vu s’arrêter le peu de formation qu’ils avaient et ils auront une difficulté encore accrue à trouver un emploi. Là, le plan du Gouvernement « 1 jeune, 1 solution », en essayant de booster l’apprentissage, me semble adapté.

Comment sortir du « quoi qu’il en coûte » pour arriver, selon vous, au « quand ça vaut le coup » ?

J’espère que les choses vont se faire assez naturellement, au fur et à mesure de la levée des restrictions sanitaires. Quand un secteur est empêché de fonctionner ou freiné, c’est normal qu’il y ait le « quoi qu’il en coûte », la solidarité nationale. Mais quand ce secteur fonctionne à nouveau à un rythme quasi normal, ce n’est plus légitime. Heureusement, beaucoup des mécanismes (activité partielle, fonds de solidarité) sont prévus pour s’adapter automatiquement selon l’activité. Restent les quelques secteurs pouvant avoir des problèmes plus durables comme le tourisme ou l’aéronautique : là, il peut y avoir la nécessité de les soutenir plus longtemps.

Le FMI propose une taxation exceptionnelle des hauts-revenus et des entreprises. Joe Biden propose lui aussi d’augmenter l’impôt. Qu’en pensez-vous ?

De ce côté-ci de l’Atlantique, il me paraît préférable de viser une stabilité fiscale car nous avons un niveau d’imposition élevé en France. Donc quand Joe Biden propose des hausses d’impôt, le niveau américain reste inférieur au niveau français actuel. Nos concitoyens ne souhaitent pas globalement de hausses d’impôt. Mais soyons clairs, la stabilité fiscale, ce serait aussi d’arrêter les baisses d’impôts non financées, dont certaines ont plutôt bénéficié aux plus favorisés et aux grandes entreprises. Durant les deux dernières décennies, ces baisses d’impôts ont contribué à augmenter la dette et diminuer la solidarité.

A défaut de nouveaux impôts, doit-on s’attendre à une période d’austérité budgétaire et à une régression des services publics ?

Il y a un paradoxe : nous sommes un pays qui parle le plus de l’austérité mais un de ceux qui la pratiquent le moins. Je crois au modèle social français et européen, qui a trois caractéristiques : un haut niveau de service public, une redistribution sociale et fiscale forte et enfin un modèle de dialogue social qui prend des formes différentes selon les pays. Pour autant, ce même modèle coûte bien plus cher en France que chez nos voisins européens. Quand on regarde les chiffres, le total de nos dépenses publiques avant la pandémie représentait 55 % du PIB en France contre 45 % chez nos voisins de la zone euro. La question n’est donc pas l’austérité, mais l’efficacité. Cela ne veut pas dire diminuer les dépenses publiques, cela veut dire maîtriser leur croissance. Car nous ne pouvons pas être durablement le pays du monde qui a les dépenses publiques les plus élevées et la plus forte croissance de celles-ci. Tôt au tard, notre modèle deviendrait non finançable.

Pour que l’économie reparte, vous estimez qu’il est crucial que la confiance des ménages revienne. Comment faire ?

Le premier élément de la confiance, c’est bien sûr le recul de la pandémie. Mais je parle aussi dans mon livre de confiance économique : la maîtrise de notre dette publique ; le maintien de notre filet de protection sociale (assurance chômage, retraite) ; et une confiance dans l’emploi, en garantissant à chaque jeune une formation. Notre modèle social rassure, et c’est un atout pour que les Français utilisent leur épargne supplémentaire liée au Covid-19 en raison de la baisse forcée de la consommation ces derniers mois. Si les ménages ont confiance, ils se diront qu’ils peuvent utiliser cette réserve, qui pourrait représenter jusqu’à 165 milliards d’euros à la fin de cette année, soit 6 points de PIB.

Qui payera cette crise ?

Pour l’instant, ce sont les États qui l’ont payé en s’endettant, en jouant le rôle d’amortisseur. Ensuite, il n’y a pas de solution miracle : on ne peut pas faire disparaître l’addition. Cette dette publique supplémentaire a surgi en une année et ne pourra s’effacer rapidement. Je plaide pour avoir une stratégie de désendettement à 10 ans. Une stratégie juste, où tous les citoyens participent par l’impôt stabilisé, mais aussi avec une meilleure efficacité de la sphère publique. Je crois qu’à ces conditions nous pourrons maîtriser cette dette.

 

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InterviewsFrançois VILLEROY DE GALHAU, Gouverneur de la Banque de France
CFDT Magazine : « Viser une stabilité fiscale »
  • Published on 05/28/2021
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