YVES CALVI
François VILLEROY de GALHAU, bonjour.
FRANÇOIS VILLEROY DE GALHAU
Bonjour Yves CALVI.
YVES CALVI
Merci beaucoup d'être avec nous en direct ce matin sur RTL. Vous êtes Gouverneur de la BANQUE DE FRANCE, vous venez de publier des prévisions de croissance extrêmement optimistes pour l'économie française en 2021, +5,5 %, c'est plus que ce que vous aviez prévu en décembre dernier. Quelles sont les raisons objectives de cet optimisme ?
FRANÇOIS VILLEROY DE GALHAU
Je me méfie toujours du mot optimisme : nous disons objectivement, effectivement, ce que nous croyons pour l'économie française en 2021. Ce sont d'ailleurs des prévisions totalement indépendantes du gouvernement, qui est lui-même un peu au-dessus de ce chiffre. Au fond, par rapport à décembre dernier, nous avons une confirmation, et une bonne nouvelle. La confirmation c'est que, après l'année 2020, qui a été très difficile, avec une récession de 8 %, la pire depuis la dernière guerre, l'économie française devrait connaître en 2021 un fort rebond, nous disons donc +5,5 %. Il reste bien sûr beaucoup d'incertitudes, de variations entre secteurs, on va en parler, mais +5,5 % ce serait la plus forte croissance depuis 1973, depuis près de 50 ans et le premier choc pétrolier…
YVES CALVI
Mais ce serait un événement historique, par définition.
FRANÇOIS VILLEROY DE GALHAU
Ce serait historique, mais la récession de 2020 est aussi historique, malheureusement. Ce serait une des croissances les plus fortes d'Europe, je crois que c'est important aussi de le dire, parce que la moyenne européenne serait à +4 %.
YVES CALVI
Tous les secteurs sont concernés ?
FRANÇOIS VILLEROY DE GALHAU
Il y a des grandes variations entre secteurs. En gros, nous avons appris à travailler et à nous protéger en même temps, dans l'industrie et dans le bâtiment, la plupart des secteurs industriels sont revenus à la normale, sauf l'aéronautique, qui continue à souffrir durablement. La principale difficulté est dans le secteur des services, et notamment des services à la personne, bien sûr l'hébergement-restauration, tout ce qui est lié au tourisme, tout ce qui est lié à l'événementiel et la culture. Là il reste des grandes difficultés liées aux restrictions. Je précise d'ailleurs que notre prévision est assez prudente, en ce sens que nous avons prévu que les restrictions actuelles resteraient à peu près jusqu'à la moitié de l'année.
YVES CALVI
Où placez-vous le commerce de détail dans cette situation générale que vous nous décrivez et qui, honnêtement, fait ce matin du bien au moral ?
FRANÇOIS VILLEROY DE GALHAU
Oui, je ne le dis pas pour faire du bien au moral, je crois que…
YVES CALVI
Non, non, mais j’entends bien, ce sont des critères objectifs et indépendants.
FRANÇOIS VILLEROY DE GALHAU
…à votre micro, et je vous en remercie, je suis toujours venu donner les chiffres tels que nous les prévoyons. Les prévisions de la BANQUE DE FRANCE se sont, je le dis au passage, avérées assez justes, dans tout le brouillard économique des derniers mois.
YVES CALVI
Le commerce de détail ?
FRANÇOIS VILLEROY DE GALHAU
Sur le commerce de détail, nous publions aussi ce matin les chiffres du mois de février, et là les ventes sont stables en février par rapport à janvier, alors même qu’il y a eu, souvenez-vous, le couvre-feu à 18h, les restrictions locales, etc. Donc là aussi c'est plutôt une bonne résistance, mais avec des grandes variations sectorielles, c'est intéressant pour ceux et celles qui nous écoutent. Les produits vedettes, de la période actuelle, c'est tout ce qui est lié à la maison, le bricolage, les appareils électroménagers ou électroniques, en sens inverse, ce qui souffre aujourd'hui plus c'est l'habillement ou l'automobile, dans notre consommation à nous Français.
YVES CALVI
Croissance à deux chiffres dans le commerce de détail ?
FRANÇOIS VILLEROY DE GALHAU
Non, c'est une stabilité par rapport à janvier, et si on regarde par rapport à l'année précédente, nous sommes toujours en recul, à -3,5 %. On retrouve toujours à peu près ces ordres de grandeur, quand on apprécie par rapport au niveau d'activité pré-Covid on est entre -4 et -5 %.
YVES CALVI
Je reste sur la photographie, François VILLEROY de GALHAU. Qu'est-ce qui porte cette croissance française de façon générale ?
FRANÇOIS VILLEROY DE GALHAU
C'est un rebond par rapport à un point bas, et au fond, pour décrire d'une phrase ce qui se passe, on passe progressivement de dispositifs de soutien public massifs en 2020, qui ont été nécessaires et efficaces, à la confiance privée. La confiance privée, c'est d’abord notre confiance à nous consommateurs : dès qu'on lève un peu les restrictions, les Français retrouvent le chemin des commerces et du soutien à l'activité, on l'a vu l'été dernier et en décembre, on le verra cette année. Et puis la confiance des entrepreneurs : il y a plutôt une bonne résistance de l'emploi, et une bonne résistance de l'investissement. Si vous me permettez de dire tout de suite un mot de l'emploi, parce que là c’est vraiment une bonne nouvelle…
YVES CALVI
C’est très important, j’allais vous demander, est-ce que le chômage va baisser ?
FRANÇOIS VILLEROY DE GALHAU
Le chômage ne va pas baisser tout de suite, mais il y a eu des bonnes nouvelles sur l'emploi à la fin de l'année 2020. Cela montre le succès du dispositif de chômage partiel : il y a eu beaucoup moins de pertes d'emplois que prévu, parce que les entreprises, grâce au dispositif de chômage partiel, ont gardé leurs salariés, dans la plupart des cas, malheureusement pas dans tous. Par contre, elles se sont ajustées sur le nombre d'heures travaillées par salarié, pour tenir compte du recul de l'activité. Donc, si on résume ce qui s'est passé en 2020, les aides, les PGE, le fonds de solidarité, ont permis de maintenir à flot la plupart des entreprises, et le chômage partiel a permis de son côté de maintenir le lien entre les entreprises et les salariés.
YVES CALVI
Il me vient une bouffée d'angoisse en vous écoutant. Alors, oui, à tout ce que vous venez de nous dire, si on ne reconfine pas, et ensuite que va-t-il se passer quand toutes ces aides vont disparaître ?
FRANÇOIS VILLEROY DE GALHAU
Il y a d'abord une sensibilité aux restrictions sanitaires, pour répondre à la première partie de votre question. Nous avons de ce point de vue une prévision relativement prudente puisque, je le disais, nous supposons que les restrictions seront maintenues au niveau actuel jusqu'au mois de juin : on aura peut-être aussi des bonnes surprises, mais il reste beaucoup d'incertitudes. Une fois que ces restrictions sanitaires seront progressivement levées, il faudra que ces dispositifs publics soient progressivement réduits et que le relais soit pris par la confiance privée, à commencer par notre confiance à nous consommateurs. Les Français, dans cette crise, ont accumulé beaucoup d’épargne.
YVES CALVI
Alors, c’est la question logique qui venait, et vous l’annoncez, celle de l'épargne des Français, que faire de leur épargne et que dire à ceux qui ne veulent pas y toucher, et ils sont visiblement assez nombreux ?
FRANÇOIS VILLEROY DE GALHAU
D'abord pour situer les chiffres, cela fait partie de nos prévisions ce matin : l'épargne supplémentaire Covid, par rapport à ce qu'aurait été l’épargne normale en l'absence de pandémie, est, pour l'année 2020, de 110 milliards d'euros. Cela paraît peut-être un peu abstrait, mais cela fait un peu plus de 4 % de réserve de croissance, pour l'avenir. Nous estimons qu'en 2021 on ajoutera à peu près la moitié, environ 55 milliards, donc au total un peu plus de 160 milliards. Cette épargne sert déjà au soutien de l'économie, c'est important de le dire : elle est sur des dépôts bancaires ou sur le Livret A, qui financent les crédits à l'économie, ou le logement social pour le Livret A. Elle sera au fur et à mesure du retour de la confiance, transformée en consommation, et c'est le premier soutien de l'activité. Pour le reste, si cette épargne devait durer, je crois qu'il serait souhaitable qu'elle soit de plus en plus investie à long terme et du côté des fonds propres des entreprises et des actions. C'est à la fois ce qui est le plus efficace pour notre compétitivité française, et notre croissance future : cela aide les entreprises à investir, et c'est ce qui rapporte plus dans la durée pour les épargnants.
YVES CALVI
Comment donner confiance aux Français pour qu'ils investissent dans leurs entreprises, dans ce pays qui est le pays de l’écureuil, et des noisettes qu’on met petit à petit au fond de son coffre ?
FRANÇOIS VILLEROY DE GALHAU
L'épargne à court terme aujourd'hui, les dépôts et le Livret A, sert effectivement à l'économie. Sur cette confiance dans l’épargne de long terme, il faut aussi offrir des produits correspondants : c'est l'épargne-retraite, c'est ce qu'on appelle euro-croissance du côté de l'assurance-vie, c'est un certain nombre de dispositifs de la loi Pacte. C'est une transformation qui prend du temps. C'est un défi, d'ailleurs, qui n'est pas seulement pour la France, qui est pour nos divers voisins européens. Quand nous nous comparons aux Américains, les épargnants y ont beaucoup plus confiance dans l'avenir et dans leurs propres capacités de création, d'investissement, d'innovation. C'est un des points que je souligne dans le livre que je viens de publier : nous manquons collectivement, nous Européens, un peu de confiance dans l'avenir.
YVES CALVI
Livre intitulé « Retrouver confiance en l’économie » chez Odile Jacob. Monsieur le Gouverneur de la BANQUE DE FRANCE, c'est la fête à la Bourse de Paris en ce moment, vendredi dernier on passait le cap des 6000 points, qu'en pensez-vous ?
FRANÇOIS VILLEROY DE GALHAU
Je n'ai pas à apprécier quel est le bon et le mauvais niveau de la Bourse, mais elle a été, depuis la crise, extrêmement sensible aux nouvelles sanitaires, c'est-à-dire qu'elle a beaucoup baissé au printemps dernier, puis elle a remonté, si vous vous souvenez, à partir de l'automne dernier et l'arrivée des vaccins. Cela correspond à un point de vérité qui est que la clé de ce rebond économique réussi : le fait que les vaccinations aillent au terme. Là-dessus, il y aura des hauts et des bas, mais on est, au fond, dans une étape de faux plat dans l'année devant nous, c'est-à-dire que notre prévision repose sur une remontée en pente lente. On a connu depuis un an une étape de montagne, avec des descentes vertigineuses, des belles remontées. Là on est plus sur un faux plat et l'arrivée au terme de l'étape est déterminée par le rythme des vaccinations. Dans notre prévision actuelle, nous voyons un retour au niveau pré-Covid au printemps de l'année prochaine, au printemps 2022 : c’est un peu mieux que ce que nous voyions en décembre dernier où nous le prévoyions à l'été 2022. Mais nous avons devant nous une année de faux plat, sans doute moins accidentée que ce que nous avons vécu depuis un an, mais qui reste une étape exigeante.
YVES CALVI
Alors, je connais certains cyclistes de l'élection présidentielle qui seront ravis de savoir qu'au printemps 2022 éventuellement les nouvelles puissent être bonnes…
FRANÇOIS VILLEROY DE GALHAU
Je l’ai dit, la BANQUE DE FRANCE est indépendante de toutes les joutes politiques.
YVES CALVI
Oui, oui, vous faites bien de le rappeler, mais en ce qui me concerne je n’avais pas de doute. Avant de nous séparer, « Retrouver confiance en l’économie », le titre de votre livre qui paraît chez Odile Jacob, c’est un crédo ou c’est d’ores et déjà, au moment où nous parlons, pour l’économie française, une réalité ?
FRANÇOIS VILLEROY DE GALHAU
Je crois que c’est à la fois un impératif et une possibilité, voire une réalité. Cela va jouer deux fois, si vous me permettez : cela va jouer tout de suite, ce relais du soutien public massif de 2020, par la confiance privée, celle des consommateurs et des entrepreneurs, dans les mois qui viennent. Et puis cela doit jouer plus durablement, parce qu’au fond c’est cela qui nous manque par rapport aux Américains, d’être prêt à prendre plus de risques, à innover. Il y a, vous savez, deux grands économistes européens du XXe siècle : il y a KEYNES, qu’on connaît en général, l’économiste du soutien et de la solidarité, et il était nécessaire. Et puis il y en a un qui est moins connu, un Autrichien, SCHUMPETER qui est l’économiste de l’innovation. SCHUMPETER a émigré aux Etats-Unis, dans sa vie. Eh bien nous, Européens, il faut que nous arrivions à réconcilier davantage KEYNES et SCHUMPETER si nous voulons, dans la bataille économique mondiale, avec les Etats-Unis et la Chine, tenir notre rang, tenir notre place ; on peut y croire.
YVES CALVI
Autrement dit, passer de « quoi qu’il en coûte » à ce que vous appelez ce matin sur l’antenne de RTL la confiance privée. Merci beaucoup François VILLEROY de GALHAU, je rappelle la publication par ailleurs, en dehors de ces prévisions, de votre livre chez Odile Jacob, « Retrouver confiance en l’économie », bonne journée à vous, bon travail.
FRANÇOIS VILLEROY DE GALHAU
Merci. 08:32:39. FIN-